Ne m'appelez plus personne

Alexis Venifleis

Début de roman, semi-fictionnel, mettant en exergue le mal-être d'un homme vivant dans la société actuelle

Prologue

 

 

« Faut-il partir, rester ? Pars s'il le faut, reste si tu peux »

Charles Baudelaire

 

 

Mercredi 23 septembre 2015, c'est la première fois que je pénètre de l'autre coté du miroir. Ça fourmille. Des flics et des flicettes, en uniforme, d'autres en civil grouillent dans tous les sens. Ça va, ça vient, beaucoup m'épient, me dévisagent sans la moindre discrétion. Stupeur dans les locaux, le malaise est palpable, des regards qui se croisent et se figent. Qu'importe, je poursuis ma progression le long des couloirs qui sont exigus, mais finement pensés pour offrir un agencement parfait au commissariat du 9e arrondissement. C'est ici qu'ils m'ont déféré jusqu'à nouvel ordre. Un homme m'ouvre la porte d'une petite pièce, en me faisant la politesse d'y accéder, tandis, qu'un vieux briscard, en costume m'y attend sagement assis, les jambes croisées.  

 

-Mr Hoody, asseyez vous, je vous prie.

 

Je prends place sans un mot, circonspect. Ce n'est pas ainsi que j'imaginais les procédures judiciaires. C'est minimaliste. Pas de caméra, ni de greffier, encore moins de glace sans tain, tout m'a l'air d'un interrogatoire au rabais.

 

-Ecoutez, je n'vais pas aller par quatre chemins, ce n'est pas dans mes habitudes. Que s'est t-il passé ?

 

Inutile d'invoquer le 5e amendement qui n'existe pas en France, je ne réponds pas, sans toutefois détourner le regard. Je reste de marbre. Le silence est parfois d'or.

 

-Très bien. Allons-y doucement. Dans les règles de l'art si je puis dire. Racontez-moi un peu votre vie, votre enfance. Ceci expliquera peut-être cela.

 

-Je n'ai rien à dire…  Je pense que ma vie est aussi ordinaire que la votre. Qu'est ce que je fais là en fait ?

 

-Jouez pas au plus fin avec moi, on va pas y arriver sinon reprend t-il de plus bel. Je ne suis pas là pour vous enfoncer…

 

-Discours classique… Pas besoin de m'infantiliser… Que voulez-vous que je vous dise ?  Je suis né, j'ai grandis, me voilà, basta. Comme tout le monde. Comme vous, non ?

 

-Vous êtes têtu hein…

 

Il est vrai que ma vie n'avait rien de remarquable. 21 décembre 1988, début des trente piteuses, jour d'hiver traditionnel, et Paris se déguise pour accueillir les fêtes qui approchent à grand pas. Si la seconde guerre mondiale n'est qu'un lointain cauchemar, et que le spectre de la guerre froide plane au dessus de l'atmosphère, la capitale en tenue de gala, sur talons aiguille, s'en moque, joue de son charme, et s'illumine de mille feux pour aguicher ses touristes providentiels.

A la salpêtrière, Noël avant l'heure, et le sapin se situe dans le bloc 8 de l'aile X. Bien aidée par les sages femmes qui s'activent sans relâche, ma mère s'apprête à déballer son cadeau. Auréolé de mon premier succès huit mois plus tôt, en terminant en tête de la course procréative, à 12h05, je n'attendrai ni un jour, pas même un café de plus pour entrer à mon tour dans l'histoire.  Dan premier du nom de la nouvelle génération Hoody, voit le jour, sourit l'espace d'une infime seconde, puis pleure franchement, comme s'il était déjà pleinement conscient du lourd tribut qui pèse sur ses épaules. Une petite créature de 3 kilos et de 49cm s'inscrivait dans la dynastie.

 

Ce ne sont que des faits relatés par des papiers administratifs. Des souvenirs pieux, qui n'appartiennent qu'à mon livret de famille ou mon carnet de santé, et accessoirement à l'inventivité inaliénable de mes parents.

 

Après l'effort, le réconfort… De courte durée. L'enfant prodigue tant attendu n'est qu'une supercherie. Erreur sur la marchandise, sans SAV.  Les premiers signes ne trompent pas, à tel point que ma mère les décèlera rapidement. Un verdict sans appel : je n'étais qu'un enfant. Normal, correctement membré, tout à fait ordinaire. Pas l'enfant miracle, ni l'enfant surprise, pas même l'enfant modèle. Simplement le gosse standard que l'on croise avec indifférence dans toutes les poussettes du monde. Le môme de base, presque manufacturé, certifié Made In France, appellation contrôlée. En somme un garçon impersonnel, passe-partout, au point d'en devenir un essai raturé, brouillon, petit être voué au crash-test. Le cobaye parfait.

 

D.ieu soit loué, trois ans plus tard, mes géniteurs eurent droit à leur séance de rattrapage. Il est né le divin enfant. Vincent sonna la charge, et arriva comme un cheveu sur la soupe pour gommer la désillusion.  Enfin, le sérum ultime, Oliver le suivit de peu, et enterra définitivement leur souffrance à l'instar d'un sédatif parfait. Le décor était planté, hélas les coulisses ne sont jamais aussi limpides que la représentation théâtrale. En fait, peu de souvenirs façonnent ma jeunesse, et la seule manière de m'y accrocher, est d'y cartographier des faits historiques graduels. Pour faire simple, prenez n'importe quel manuel scolaire de zéro à dix-huit ans, et vous m'obtiendrez. 

Dans le trouble, avec le souci de donner un sens à mon enfance, j'espère avoir eu les oreillons, peu après la chute du mur de Berlin. Aussi, j'imagine avoir fait mes premiers pas dans la foulée de la dislocation de l'URSS. Finalement, en l'absence de repère concret, j'estime avoir grandi par procuration, au gré de la dramaturgie historique et de ses évènements épisodiques.

 

Mon enfance est un pays étranger que je n'ai jamais pu réellement visiter.  Seuls quelques clichés abimés trônent dans ma bibliothèque pour me rappeler quelques escales ponctuelles, rudimentaires et inévitables au processus de développement et d'épanouissement de chaque gamin. Un destin identique à d'autres, esquissé au fusain, avec les perfections de ses imperfections. Dan l'enfant, présent sur toutes les photos de classe, inculquant les valeurs républicaines, et les principes de solidarité, dévouement et de sacrifice, en pratiquant du foot, du rugby, et même de la natation. Une éducation sans remous somme toute, me permettant aujourd'hui de compter sans l'aide de mes doigts, et de pouvoir lire normalement, en faisant la liaison avec les h, et parfois même en diagonale. Malgré ma mémoire lacunaire, j'imagine donc avoir passé successivement les classes élémentaires et secondaires, avec honneur. Le tout bien évidemment accompagné de la distorsion de la voix, l'apparition d'un infime duvet, et des premières branlettes devant le miroir, sans lesquelles je n'aurais pu me savoir un jour homme. En réalité, la reconstitution chronologique de mon évolution darwinienne m'apparaît impossible, et m'importe peu.

Cet état des lieux est d'une vacuité. Peut-on parler de renaissance lorsqu'on à la sensation de ne jamais avoir vécu ?  Appelez ça comme vous le voulez, mais à 18 ans et toutes mes dents, bac S en poche, je pliais bagage en route vers la résurrection, et commençais à vivre, direction la fac de médecine d'Orsay.

 

-Bon… Bien… Je sens qu'on est parti… Je vais me prendre un café, vous en voulez un ?

 

-Un serré. Bien serré, et sans sucre.

 

Je l'attendais sage comme une image, prostré sur ma chaise. L'horloge pendue au mur indiquait 15h50, et l'aiguille des secondes poursuivait mécaniquement son marathon. Hermelin, c'est ainsi qu'il s'était présenté, n'avait rien des flics qu'on voyait à la télévision. Ah ça, il était à mille lieux des NCSI, 24H Chrono, Profilage et compagnie. C'était un homme sans attribut distinctif, la petite trentaine, et le petit mètre 80, brun, la barbe de trois jours soigneusement dessinée. Puis surtout j'ignorais évidemment tout de ses antécédents, et s'il s'agissait d'ailleurs d'une stratégie bien définie, mais il faisait preuve d'une empathie avérée, probablement pour apprivoiser la bête.

 

- Et voilà pour vous, déclare-t-il sourire narquois, en me tendant mon verre.

 

 

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