Ne t'excuse jamais d'être libre

Paul Robert De La Fauvellerie

Elle était considérée comme "dérangée". C'est ainsi, tout le monde la voyait de cette manière... Je pensais être le seul à avoir décelé, certes au-delà d'une certaine fragilité, une forme rare d'originalité dans sa façon d'être.
Elle n'acceptait guère les plates convenances de la vie en société, ces bonnes manières que l'on nous inscrit au fer rouge dans notre subconscient dès l'enfance. Parlons-en de son enfance, brinqueballée entre ses parents divorcés qui s'envoyaient des anathèmes à la figure à la moindre occasion. Classique, me direz-vous? Oui, hélas pour elle. La haine réciproque de ses géniteurs transpirait en elle.  Et rejaillissait sur sa personnalité, forcément.
Elle grandît tant mal que mal dans cette ambiance que l'on peut qualifier de malsaine. Après s'être échappée de cette atmosphère délétère, elle erra... Elle changeait d'homme tous les jours, jurant de ne jamais s'attacher. Elle était jolie et aguicheuse, aimant séduire, puis jeter. Ah les braves gens la traitaient de  "pute" pour les plus francs d'entre eux, les faux derches la qualifiant de "paumée". Ses tenues vestimentaires étaient des outrages aux bonnes moeurs. Quand à moi, ça m'amusait, mais j'étais bien le seul. Mon enfance à moi n'avait guère été simple non plus, j'avais également erré, prenant diverses substances illicites, testant mes limites. Cette époque était révolue pour moi...
Connaissant le contexte sordide d'où cette petite fleur avait germé, je ne la jugeais point. Elle devait continuer à grandir, loin du regard pernicieux des siens. Un jour pas comme les autres, elle vînt me voir, essayant de me séduire comme les autres auparavant... Sans la rejeter, je lui fis comprendre qu'elle n'arriverait jamais à rien avec moi, en tout cas jamais rien de sexuel... J'étais d'accord pour lui parler, échanger avec elle, mais guère plus. Elle sembla prendre la mouche, et s'en alla... Puis elle revînt quelques minutes plus tard les larmes aux yeux, ne comprenant pas mon soit-disant dédain. Je lui expliquais donc que ce n'était pas du dédain, mais qu'au contraire je la respectais. Qu'elle fasse son affaire avec les autres ne dérangeait pas ma conscience, je n'étais pas bigot, bien au contraire... J'aimais sa fragilité qui, je dois l'avouer, me rappelait la mienne. Je ne voulais pas lui faire de mal tout simplement. Elle me rétorqua que je devais être un castré, une "lopette" selon ses propres termes. Je rigolais gentiment. Elle ne comprenait toujours pas, elle dont l'équilibre était dans le déséquilibre... Elle me gifla, me promettant de me faire une sale réputation. Je n'en avais cure, franchement.
Elle revînt me voir le lendemain, m'avouant s'être encore faite traiter de "pute" par son dernier mec, rencontré après notre altercation. Surpris qu'elle vienne se confier, je lui expliquais que malheureusement, beaucoup d'hommes la voyaient ainsi. Elle se mît à pleurer, semblant désolée de cette situation. Je lui répondis "NE T'EXCUSE JAMAIS D'ÊTRE LIBRE". Elle me sourît et s'en alla.
Elle quitta la ville par la suite, je ne la revis donc pas. Que ne fût pas ma surprise, quelques années après cette histoire, de la revoir à la télévision, écrivaine en devenir...

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