N'être pas

Christian Lemoine

Celui que rien ne vient détruire sur sa ligne d'erre, cette ligne incongrue regardée de mépris par toutes les bien-pensances frelatées sur leur lit de consommation béate. Celui-là, peut-être parfois ourdi dans les replis de doutes noircis des fumées des autodafés, mais qui rentre finalement dans les pas de sa constance retenue. Celui qui va dans un rai si ténu que lui seul le distingue. N'être pas.

Celui qui frappe les mers, les remous au bas des falaises, quand les ressacs répétés grignotent un peu de craie ; et sa posture peut-être chevauche sans grâce les coups de vent, mais ne perd jamais son assise. Celui qui fait front, comme tant, aussi anonymes. Celui-là, qu'un commun voudra cependant voir comme un preux inflexible, quant à sa nonchalance devant les fracas. N'être pas.

Celui qui contemple les étoiles depuis le plus petit cristal, mais atteint la course d'une comète agrippé à sa chevelure ; et l'ovale mille fois parcourue restitue dans les poussières parsemées les constellations d'un zodiaque revisité, pour qu'une parousie de pacotille scintille en son manteau ample et sombre. Celui-là, qui fausse les traces trop évidentes, et sait assouplir en sa paume les contrastes trop flagrants par ses exégèses fécondes. N'être pas.

Celui qui tombe sans faillir, que le chaos ne recueillera pas dans les vasques aux fumeroles, ébranlé, érigné de fers acerbes, mais granit jusqu'aux abîmes. Celui, sans accore, haubané cependant d'ancêtres robustes, celui-là sans pointal à retenir ses fissures mais corroboré de ses ascendances en quoi plongent ses rémissions. Celui-là, aussi ceint de chevaux de frise que les estrans assiégés, et cependant préservé des fièvres obsidionales, par quoi son ossature ne saurait se démembrer. N'être pas.

Celui qui brûle et se consume dans les subterfuges de paréidolies moqueuses, mais retrouve au plus obscur des rhagades la pureté d'un sang inaltéré, quand les affres de la solastalgie tentent à toute fin de réduire ses résistances. Celui-là, que les perforations et les fracturations, fussent-elles hydrauliques, ne soudoieront pas au nom de leurs édens écharpés. Celui, dans ses frusques râpeuses, sachant les trépidations du sol sous les estocs des chantiers, et cependant guerrier encore, des glaises et des tourbes labourées. N'être pas.

Celui qui subit les affronts, sa face violée de crachats ; celui, sans tendre à l'abstraction, versé de résurgences brutales dans l'acharnement de sa solitude. Celui-là, étranger à sa propre défaite, capable de toiser ses tourments, échanson de sa soif immortelle face à la coupe ardente et parfaite, à lui refusée. Et cependant, jamais inféodé quand parfois elle vient l'étancher. N'être pas.

Mais être. Savoir les temps du naître, puisque l'on est ; connaître qu'il faut être, puisque l'on naît.

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