Neutron

Christian Lemoine

Vraiment ! N’as-tu jamais pensé la vanité de tes oracles, quand tu imaginais pour ta félicité les privilèges des bien-nés, les apanages des favorisés. Ceux-là qui ont reçu en innéance la sagesse, le charisme, la séduction, la beauté. Vraiment ! As-tu jamais cru que tu pouvais prétendre aux mêmes joies, aux mêmes bénédictions, toi le négligeable, le quelconque, le neutron sans envergure, le rien qui se pense. N’est-ce pas là la véritable ironie des particules inégales, qu’une des plus vulgaires en arrive à se croire à l’égal des élues. Toujours tu refusais la compétition, sachant le handicap que jamais tu ne pourrais dépasser. Et le sort t’avait accordé la lucidité des princes mais le pouvoir des infirmes. Comment peux-tu encore prétendre à l’épanouissement, quand la profondeur de ton âme est sabordée par la laideur de ton corps ! Pauvre indigent, il aurait mieux valu que tu ne saches pas la splendeur des étoiles puisque tu n’en connaîtras jamais que le lointain éclat, sans avoir en retour la chaleur de leur caresse. Mais que croyais-tu recevoir de cette nouvelle fortune ! Par le seul jeu de ta naissance, tu ne pouvais espérer plus que, par le hasard d’une éclaircie, l’irruption dans ton réel d’une fulgurance inaccessible. C’est si facile d’être subjugué par l’étoile et de ne palpiter que dans son aura, comme un quelconque doué de vue qui s’en remet au moindre rai descendu jusqu’au sol ; mais pour qu’elle te voie ! Crève-toi les yeux et tu ne sauras plus la souffrance de savoir sa beauté à jamais pour toi refusée. Comment peux-tu encore implorer que sa flamme en vienne à toi, quand tant d’autres la vénèrent, et bien plus brillants que toi !
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