Nobody knows -les beaux yeux clos de Sui- Chapitre Cinquième

Juliet

-Voilà la raison de ta présence ici, Yuki.
Asagi avait déclaré cela comme il pénétra le seuil de l'infirmerie, suivi de près par l'homme qui s'arrêta net face à Aiji qui semblait terrifié par leur arrivée en catastrophe. Muet, l'infirmier s'est incliné face à eux mais à son teint pâle, Yuki comprit que quelque chose était arrivé. Il eut à peine le temps de franchir le seuil à son tour qu'Asagi claquait la porte d'un geste violent avant de s'approcher vers Aiji, le bras tendu.
-Donne-le-moi.

Aiji est demeuré pétrifié, perdu dans l'hésitation, mais sous le poids du regard menaçant du Directeur, il ne put que se résigner, et c'est d'un geste fébrile qu'il s'est mis à fouiller dans ses poches avant de tendre un petit objet que Yuki ne put discerner sur le coup. C'est lorsqu'Asagi a agité le petit sachet de poudre blanche sous son nez que l'angoisse l'a gagné. Instinctivement, il a reculé comme si les effets nocifs de cette poudre pouvaient l'atteindre depuis ce sachet.
-Je n'ai pas besoin de te faire un dessin, Yuki.
-Tu ne peux pas en plus m'accuser sans aucune preuve de cela, Asagi !
La voix de Yuki s'est étranglée sous le coup de l'émotion.
-Bien sûr que non, imbécile, a-t-il craché avec nervosité. Même s'il eût été beaucoup plus simple pour moi que d'avoir directement un coupable à désigner, je ne suis pas en train de le faire... Ce que tu dois savoir, Yuki, est qu'en passant devant l'infirmerie hier aux alentours de seize heures, j'ai vu cette chose de nature douteuse par terre, juste devant la porte.
-Tu veux dire... qu'un élève aurait pu déposer cela devant l'infirmerie pour jouer quelque mauvaise farce à Aiji ?
-Tu crois vraiment qu'il ait pu le déposer ?

Dans un rictus malsain, Asagi s'est retourné vers Aiji qui, depuis le début, était confiné dans un silence absolu comme s'il espérait paraître inaperçu.
-Je pense que, plutôt que de vouloir jouer un mauvais tour à ce pauvre Aiji qui ne ferait pas de mal à une mouche, cet élève sans doute a laissé tomber malencontreusement ce sachet de son sac ou de sa poche.
-Asagi, je t'en prie, tenta de modérer Yuki. Il est purement impossible que dans cet établissement puissent se faire des pratiques comme...
-Beaucoup de choses semblent pouvoir se faire au sein de cet établissement, Yuki, il me semble que tu es le mieux placé pour le savoir !
 

Yuki était aussi le mieux placé pour savoir que lorsqu' Asagi se mettait à hausser le ton de cette manière, il ne valait mieux pas se risquer à le contredire. Pourtant, c'est peut-être cette agressivité même, destinée à l'intimider, qui réussit au fond à le faire surmonter sa peur pour parer :
-Et c'est une enquête auprès de chaque élève que tu comptes mener ?
-Si tu voulais bien coopérer, Yuki, je n'aurais pas besoin d'une enquête pour déterminer qui est sinon le consommateur, au moins le détenteur d'une telle substance illicite.
-Qu'est-ce que tu veux dire par « coopérer » ? s'enquit craintivement Yuki qui ne se voulait être le délateur d'un de ses élèves.
-Le problème est que, environ une heure plus tôt avant que je ne découvre ce sachet, j'étais déjà passé devant l'infirmerie, et je suis persuadé qu'à ce moment-là, il s'y trouvait un élève. Je le sais, personne ne peut le nier, car j'ai bien entendu deux voix qui discutaient, donc celle bien sûr de notre cher Aiji. Cependant, ce même très cher Aiji refuse de me dire qui était l'élève qui se trouvait dans l'infirmerie à ce moment-là et qui est, selon moi, fortement susceptible d'être le malheureux qui a eu la malchance de laisser tomber cela en sortant.
-Si je refuse de te le dire, Asagi, intervint vaillamment Aiji, c'est que je suis convaincu de l'innocence de ce garçon et que je refuse de te laisser porter des soupçons sur lui sans aucun fondement.
-J'ai interrogé tous les professeurs, Yuki, a continué Asagi sans prêter attention à la plainte de l'infirmier. Et chacun d'eux m'a affirmé qu'hier, entre quinze et seize heures, aucun de leurs élèves n'a demandé à aller à l'infirmerie, ce qui veut dire qu'il ne reste plus que ta classe...
-Je peux t'assurer qu'aucun de mes élèves n'a quitté mon cours hier, Asagi.
-Me permets-tu de te traiter de menteur ?
-Bien sûr, mais je me permets de te rétorquer que le menteur pourrait être n'importe quel professeur désireux de protéger son élève, à moins que ta théorie complètement loufoque ne soit erronée.
-Tu es en train de me traiter d'imbécile ?
-Je dis que tu tires des conclusions hâtives. Juste parce que ce sachet a été trouvé près de l'infirmerie, tu penses qu'il s'agit d'un élève s'étant rendu à l'infirmerie entre quinze et seize heures. Réfléchis donc ! Tu as trouvé ce sachet vers seize heures, cependant à seize heures les cours finissent et il est temps pour les élèves de rentrer chez eux ou de se rendre à leurs clubs. Vers seize heures, des centaines d'élèves ont dû passer devant l'infirmerie, et toi, juste parce que tu as entendu des voix derrière cette porte une heure plus tôt, tu accuses aussitôt le pauvre garçon qui a eu le malheur de se trouver là au mauvais moment d'être en possession de drogue. Eh bien, malgré tout le respect que je te dois, Asagi, je dois dire que je reconnais là ce côté buté et tyrannique qui t'oblige toujours à vouloir montrer ton autorité et ta puissance, qu'importe que les innocents doivent en pâtir.
 
 
Les traits du visage lisse d'Asagi se sont crispés sous le coup d'une rage violemment contenue, cette rage qui allait le faire imploser si le regard suffisant de Yuki continuait à le toiser ainsi.
-Tes petits airs hautains de vermine qui se prend pour un justicier m'exaspèrent au plus haut point, Yuki. Bien sûr, tu le sais et tu t'en réjouis intérieurement, mais crois-moi que si un jour j'apprends que le coupable est un élève qui se trouvait dans ton cours avant de partir à l'infirmerie à ce moment-là, Yuki, alors j'aurai toutes les raisons de te virer de cette école.
-Tu obtiendrais enfin ta revanche, n'est-ce pas ?
-Tu peux déjà préparer ta lettre de démission, pauvre insolent.
Aiji a fait irruption, venant se planter entre les deux hommes pour agiter doucement ses mains face à Asagi d'un air conciliant.
-Je vous en supplie ! Ne vous disputez pas à ce propos, car bien au-delà de la colère légitime que provoque en vous cette découverte, Monsieur le Directeur, il est là aussi question de la santé physique et psychologique de l'un de nos élèves. Il ne faut pas prendre à la légère ce genre de choses. Si vraiment l'un de nos élèves est dépendant, alors il est de notre devoir de l'aider.
-Mais pour l'aider, il nous faut savoir qui il est, n'est-ce pas, Aiji ? clama Asagi avec ironie.
-Bien sûr, Monsieur le Directeur.
-Alors, dis-moi qui est l'élève venu te voir à ce moment-là.
-Je ne vous le dirai pas, Monsieur le Directeur, et ce même si vous me menaciez d'expulsion. Je refuse qu'un garçon que je sais pertinemment innocent soit accusé à tort.
-Puisque son innocence est telle que tu as inconditionnellement confiance en lui, Aiji, alors, tu peux tout de même me dire son nom, car il ne risque rien.

Aiji a semblé hésiter un instant, déstabilisé, mais derrière Asagi qui le fixait avec insistance, le regard de Yuki semblait briller de supplication.
-Je ne le veux pas, Monsieur le Directeur. Virez-moi si vous le voulez, mais...
-Il ne te virera pas, Aiji.
Aiji s'est tu, stupéfait, comme la déclaration soudaine et péremptoire de Yuki lui avait fait l'effet d'une onde de choc.
-Puis-je savoir ce qui te fait affirmer cela avec tant d'assurance ? a demandé Asagi dans un rire grinçant.
-Oh, mais, parce que c'est moi que tu veux virer, Asagi. Tu n'as aucun intérêt à expulser ce pauvre Aiji ; celui dont tu veux la peau, c'est moi. Et je ne te cache pas que je te crois tout à fait capable, pour arriver à tes fins, d'utiliser les moyens les plus pernicieux et alors, à tout prix tu rendras coupable un garçon de ma classe juste pour avoir le plaisir inénarrable de m'accuser de complicité en n'ayant rien voulu dire et alors, de me voir enfin déserter les lieux. Tu le feras, Asagi ; cela, j'en suis certain. Tu t'y évertueras corps et âme, et tu vois, en ce moment-même, je me sens infiniment désolé pour ces pauvres garçons qui ont eu le malheur de m'avoir pour professeur.

-Je suis rentré, Papa.
Kisaki ne s'habituait jamais vraiment à ce brusque changement d'atmosphère.
Lui qui venait du dehors où le soleil propageait sa lumière vive et chaleureuse de partout, se trouvait subitement plongé dans la pénombre dès lors qu'il franchissait le seuil de sa maison, comme si en réalité, c'était un autre monde qu'il pénétrait.
Parce que personne ne lui avait répondu, Kisaki s'est baissé et a ôté ses chaussures avant de courir monter dans sa chambre sans même prendre le temps d'ouvrir les volets. Pourtant, il n'aurait rien demandé de mieux qu'un peu de soleil dans cette maison, mais s'il ne les ouvrait pas, c'est parce qu'il en voulait à Hiroki de ne pas même songer à l'évidence.
« Bien sûr, ça ne change rien pour toi, sale égoïste, toi, tu ne vois rien, tu t'en moques. Est-ce que c'est pour te venger que tu m'empêches de voir la lumière du jour lorsque je suis ici ? »

C'est ce que Kisaki a toujours cru. Que si Hiroki ne prenait jamais la peine d'ouvrir les volets, c'était par désir de faire partager à Kisaki ce que lui-même pouvait ressentir, qui vivait éternellement plongé dans le noir. Alors, c'est un peu par désespérance mais aussi par désir de lui faire croire que cela lui était égal que Kisaki ne venait jamais les ouvrir à sa place. À vrai dire, les seules fois où le jour véritable régnait dans cette maison étaient lorsque Gara était là.
Gara.
Claquant la porte de sa chambre, Kisaki s'est affalé sur son lit dans un long soupir de lassitude. Gara. Savoir que même la lumière du jour dépendait de sa présence le rendait nerveux et en même temps, le faisait bouillir de rage contre lui-même. Si seulement il était moins fier, alors il se contenterait de faire ce que Hiroki ne faisait pas et ainsi, la présence de Gara deviendrait totalement inutile. Adieu, pianiste squelettique et dépressif qui passait son temps dans un piano-bar tant empesté de substances douteuses et de fumée que voir et être vu dans cet endroit tenait compte du miracle. Kisaki ferme les yeux.
Il pourrait presque s'endormir, épuisé jusqu'à la moelle des os par la journée qui avait succédé à sa nuit blanche, mais parce qu'il sait que derrière ces volets clos, le soleil brille, il ne peut se résoudre à éteindre sa conscience. Dormir le jour était pour lui un sacrilège, la marque blasphématoire d'une absence totale de respect envers la vie même.
Dormir le jour, c'est préférer l'ombre à la lumière, la mort à la vie, le néant à l'existence. Dormir le jour, c'est le suicide lâche et inconscient de celui qui ignore la valeur de chaque seconde d'éveil, qui la dénigre même, mais qui ne trouvera jamais le courage de passer à l'acte. Alors, qu'importe combien il est fatigué, combien ses paupières pèsent sur ses yeux clairs et combien son corps engourdi semble vouloir attirer son âme avec lui au fond des abysses.
Kisaki ne s'endormira pas. Parce que mieux que personne, Kisaki sait à quel point le sommeil est dangereux.


-Où est-ce que tu étais, toi ?
Il s'est réveillé en sursaut lorsqu'un rayon de lumière a traversé sa chambre dans un fracas épouvantable. Plus qu'un rayon de lumière, c'était peut-être un cyclone qui venait de passer et, le cœur battant, il a mis un moment avant de s'habituer à cette clarté agressive et de distinguer Hiroki qui se trouvait sur le seuil.
-Bonjour, Papa.
-Comme si je voulais être le père d'un dévoyé comme toi.
Plus surpris encore que blessé par cette vive animosité, Kisaki n'a pas même songé à se défendre de cette accusation qu'il jugeait pourtant injuste. Déconfit, il a baissé la tête d'un air coupable, espérant apaiser les foudres de Hiroki mais bien sûr, comment un aveugle aurait-il pu lire sur son visage alors ?
-Je t'ai demandé où est-ce que tu étais, Kisaki.
-Mais j'étais en cours, Papa, où veux-tu que j'aie été ?
-Je ne te parle pas d'aujourd'hui, imbécile, mais d'hier. Qu'est-ce que tu as fait hier soir ? Tu es parti en me disant que tu allais à l'hôpital, mais n'es-tu pas allé plutôt rejoindre des gens douteux en ton genre ?
-En mon genre ? a répété Kisaki d'une voix fébrile.
-Kisaki, est-ce que tu traînes avec des voyous ?  

-Pourquoi imagines-tu que je fréquente ce genre de personnes ?-Tu veux savoir pourquoi ? a rétorqué Hiroki dans un rire amer. Oh, mais, parce qu'il se trouve que tu as tabassé deux de tes camarades sans raison valable mais qu'à part cela, je n'ai absolument aucun souci à me faire quant à ton comportement.

-Je ne l'ai pas fait sans raison, Papa.
-Je concède qu'il y a parfois des raisons à la violence, mais jamais de bonnes raisons, Kisaki. Alors toi-même, tu reconnais que tu l'as fait.
-Comment pourrais-je le nier ? Le Directeur t'a convoqué, c'est d'ailleurs pour cela que je ne voulais plus rentrer à la maison.
-Alors, explique-moi comment se fait-il que lorsque je suis venu rencontrer ton Directeur, après avoir reçu son appel alarmiste, celui-ci m'a assuré qu'il avait fait fausse route et que tu n'étais absolument pour rien dans cette affaire ?
-Tu plaisantes ? s'est enquis Kisaki qu'une vague d'espoir submergeait.
-J'eusse aimé que ce soit une plaisanterie.
-Alors, le Directeur ne va pas me renvoyer ?
-Il n'en a visiblement pas l'intention. La ferveur avec laquelle il t'a défendu était telle que je me suis dit qu'il te devait sans doute quelque chose. Car qui aurait envie de défendre un vaurien mis à part si celui-là peut se montrer fort utile ?
-Utile ?

L'association d'un tel adjectif avec son propre nom lui semblait tenir compte de l'oxymore, pourtant Kisaki n'a rien dit, rivant ses yeux inquisiteurs vers Hiroki comme il brûlait d'en savoir plus.
-Ce que je suis en train de te demander, idiot, est si par hasard, tu n'aurais pas marchandé quelques faveurs auprès du Directeur en échange de ton acquittement.


Kisaki a étréci les yeux, observant avec inquiétude l'homme qui le surplombait de toute sa hauteur comme s'il n'arrivait plus à reconnaître son identité. C'était forcément impossible, il n'avait pu que mal comprendre. Il était tout simplement absurde que Hiroki puisse croire...
-Est-ce que tu as couché avec lui, oui ou non ?!
Il s'était écrié à pleins poumons comme son poing s'écrasait contre le mur avec rage, et Kisaki a compris alors que toute la violence contenue dans ce geste était la violence contre laquelle Hiroki luttait depuis le début pour ne pas la faire tomber sur lui. Terrifié, le garçon a reculé sur son lit pour s'acculer contre le mur, repliant ses jambes contre sa poitrine comme un rempart à une éventuelle agression.
-Mais non, Papa, s'est-il étranglé dans les sanglots naissants de l'angoisse. Je n'ai absolument rien fait, comment est-ce que tu peux même envisager une chose pareille, Papa, je ne comprends pas pourquoi il a pris ma défense ! Je te jure que j'ai eu raison en frappant Joyama et Atsuaki. Mais calme-toi, Papa, je t'en supplie, je suis sage pour une fois alors laisse-moi, tu me fais peur.
-Dis-moi où est-ce que tu as été traîner, Kisaki !

Un cri de douleur a retenti à travers la pièce lorsqu'une brûlure vive a traversé la joue de Kisaki pour se répandre sur toute la moitié de son visage meurtri. Sanglotant, il a observé sa main au creux de laquelle s'écrasaient les gouttes de sang qui perlaient de sa lèvre, et parce qu'à nouveau il a vu la main de Hiroki se lever sur lui, il a s'est tétanisé d'effroi avant qu'un éclair noir ne passe devant ses yeux.
Le claquement sec du coup a retenti et pourtant, Kisaki n'a ressenti aucune douleur. Haletant, il a levé les yeux vers la silhouette toute vêtue de noir qui se tenait debout devant lui, le dos tourné.
-Tu viens de me frapper, Hiroki.
Hiroki a eu un mouvement de recul, ses yeux aveugles écarquillés de stupeur.
-Gara ?
-Tu viens de me frapper sans même le savoir parce que tu allais lever la main sur un garçon innocent, Hiroki. Tu allais lever la main sur ton propre garçon, mais si tu veux le faire, alors, ne le fais pas lorsque je suis à proximité.
-Gara, ôte-toi de là.
-Pour que tu puisses te défouler encore sur ce pauvre gosse ?
-Ce « pauvre gosse », comme tu dis, n'a rien à voir avec toi, éructa-t-il, tous ses nerfs tendus par la rage comme une corde raide sur le point de lâcher.
-Avec moi, peut-être, mais avec toi, il a tout à voir, Hiroki. Je pensais que tu l'avais compris.
-Je t'interdis de t'immiscer entre sa vie et la mienne, Gara. À présent, le parent de ce garçon, c'est moi, et c'est moi seul qui me charge de son éducation.
-Je pensais pourtant que tu ne voulais pas l'être, son parent.
-Gara, va t'en. J'ai déjà assez de ce délinquant, je n'ai aucune envie de devoir en plus m'énerver contre toi.
-Mais est-ce contre lui que tu es énervé ou bien te sers-tu de lui pour défouler une nervosité pour laquelle il n'est en rien responsable ?
-Gara, est intervenu Kisaki en attirant timidement l'homme par le poignet. Ce n'est pas la peine de prendre ma défense, c'est moi qui suis en tort, c'est parce que j'ai fugué la nuit dernière, je n'aurais pas dû faire ça, mais je ne pensais pas... Pardon, Papa, je ne pensais pas que tu te mettrais en colère.


Colère ?
Ce mot eut pour Hiroki l'effet d'une balle en plein cœur, une onde de choc dans la conscience qui laisse sur son passage un esprit dévasté et en ruines. C'est comme si brutalement un éclair avait surgi, illuminant le paysage l'espace d'un battement d'ailes avant que l'orage, en éclatant, ne sème le chaos à l'intérieur de lui. Alors, ce n'était que cela, après tout. De la colère pure et simple, de la colère simple et lâche. Une colère qu'avait subie Kisaki, une colère qu'incriminait Gara, une colère si forte et dévastatrice et que, pourtant, Hiroki n'arrivait même plus à ressentir. Comme si dès le début, cette colère n'avait été qu'un masque pour cacher un visage bien plus terrifiant encore. Le masque de la terreur elle-même.
Hiroki se sentit subitement fébrile, comme si son corps se vidait de toutes ses forces, et alors il s'est mis à secouer la tête comme un fou, les larmes aux yeux.
-Non, Gara, je suis désolé...
-Mais ce n'est pas auprès de moi que tu dois l'être.
Comme pour appuyer ses dires, Gara s'est retourné et lentement s'est agenouillé en face de Kisaki qui le regardait faire à travers sa vision troublée par les larmes.
-Viens, Kisaki, a murmuré Gara qui lui tendait doucement la main. Viens avec moi, mon pauvre chéri.
-Où est-ce que tu l'amènes ? s'est enquis Hiroki, troublé.
Sans répondre, Gara a continué à fixer de ses yeux d'un brun tendre Kisaki qui était trop subjugué pour savoir que faire, mais aussi que penser. C'est pourtant son instinct qui l'a amené à déposer sa main au creux de la sienne et, sans la moindre once de méfiance, il s'est laissé faire par Gara qui l'a relevé avant de l'attirer contre lui.
-Viens, Kisaki. Je te garderai chez moi tant que cet homme n'aura pas réalisé le mal qu'il peut faire.
-Tu oses m'enlever mon fils ? s'est écrié Hiroki, au bord de la syncope.
-Je ne t'enlève personne, Hiroki. Il me semblait que tu n'avais pas de fils et puis, je le fais avec son consentement, n'est-ce pas, Kisaki ?
 
 
Les lèvres closes, Kisaki a faiblement hoché la tête et alors, s'est collé contre le corps si frêle mais pourtant si protecteur de Gara, et tous deux ont quitté les lieux, laissant seul un homme désabusé dans la pénombre qu'il ne pouvait même plus voir.

 


-Il ne t'a pas trop fait mal, j'espère.
Même lorsque Gara a passé le coton imbibé d'alcool sur la coupure de sa lèvre et qu'il a senti la brûlure le tenailler, Kisaki n'a pas bronché. Ses yeux clairs étaient rivés dans le vague, se perdant dans des pensées dont Gara ne pouvait que supposer la nature.
-Kisaki ?
-En vérité, j'ai encore mal, a-t-il soufflé du bout des lèvres.
-Oui, je m'en doute, a soupiré Gara avec tristesse. Eh bien, je regrette tellement, tu sais. Que Hiroki puisse devenir ce genre de personne, je ne pouvais pas l'imaginer. Et jusqu'à ce qu'il réalise enfin son erreur et ne fasse tout pour la réparer, je ne lui pardonnerai pas cette violence.
-Ce n'est pas à la joue ni à la lèvre que j'ai mal.

Kisaki a baissé les yeux, honteux, comme s'il venait malgré lui de révéler une faiblesse qu'il aurait voulu garder secrète. Pourtant nulle once de moquerie ou de compassion n'a fait surface dans les traits de Gara. C'était peut-être tout simplement parce que, la vraie douleur de Kisaki, l'homme l'avait devinée depuis le début.
-Je suis désolé que tu aies à subir tout cela, Kisaki.
-S'il y a quelqu'un qui ne doit pas être désolé parmi nous, c'est bien toi.
Dans un rire attendri, Gara a déposé un minuscule pansement au coin des lèvres de Kisaki où la coupure s'était étendue. Ils se sont dévisagés, l'un souriant avec une timide reconnaissance, l'autre l'observant de ses yeux brillants d'infinis éclats pareils à un feu d'artifice d'émotions.
-Kisaki, je sais que tu l'aimes, mais... Qu'il s'agisse d'un parent, un tuteur, un ami ou un amant, qui que ce soit, Kisaki, tu ne dois jamais laisser quelqu'un te frapper de cette manière. Si tu lui montres que tu lui pardonnes si facilement, il recommencera sans remords.
-On dirait que tu me donnes des conseils pour l'éducation d'un chiot qui fait ses besoins de partout, a commenté le jeune homme dans un sourire.
-Je suis sérieux, Kisaki.
-Mais le véritable problème, ce n'est pas qu'il me frappe, Gara.
-Pardonne-moi, mais je ne vois pas de problème plus véritable que celui-ci. La violence est un acte illégal et qui plus est, totalement absurde qui, au lieu d'apaiser la rage, ne fait que l'attiser plus encore puisque c'est de la rage qu'elle se nourrit.
-Hiroki ne me frapperait pas s'il ne me détestait pas.
 

Silence. Entendre le nom de Hiroki sorti des lèvres de Kisaki était comme entendre un Occidental s'appeler par son propre prénom. Parce qu'à Hiroki, Kisaki ne disait jamais « Hiroki ».
-Le vrai problème, c'est que Hiroki me déteste. Je veux dire, le vrai problème, c'est que je sois quelqu'un de détestable.
-Ne crois pas ça ! a contré Gara avec une véhémence dont il fut le premier surpris. Kisaki, si tu te mets à penser de manière si erronée, les choses ne s'arrangeront jamais pour aucun de vous deux ! Ce que tu crois être de la haine de la part de Hiroki n'en est pas et ne doit pas en être !
-Alors comment est-ce qu'une personne humaine comme Hiroki pourrait-elle en venir à détester quelqu'un sans raison ? Gara, je te dis que le problème vient de moi.
-Mais puisque je te dis qu'il ne te déteste pas !
-Personne n'est capable de frapper quelqu'un que l'on aime, Gara. Personne, ou bien cela n'est pas de l'amour comme l'on voudrait se le faire croire.
-Alors, c'est cela, que tu penses ? Que Hiroki veut se faire croire qu'il t'aime mais qu'il n'en est rien ?
-Il ne veut pas se le faire croire, Gara ; le fait est que Hiroki n'a jamais voulu m'aimer, il n'en est de toute façon pas capable. Ça ne dépend pas de sa volonté et pour cette raison, je ne peux lui en vouloir, tu sais. S'il pouvait m'aimer alors, il en souffrirait moins également, et tout irait mieux pour nous deux. Seulement tu vois, quelqu'un comme moi ne peut être aimé de lui.
-Jusqu'à quand croiras-tu ce genre de sottises, idiot ? a soupiré Gara comme il passait une main aimante dans les cheveux rouges du garçon.
-Mais Gara, tu sais...
 

Mais comme si Gara ne voulait pas savoir, il a attiré le garçon au creux de son étreinte et alors, Kisaki s'est retrouvé subitement le visage appuyé contre cette poitrine étrange. Une poitrine trop maigre, trop chaleureuse, trop fragile, trop sensible, une poitrine pleine d'amour et de réconfort mais qui, pourtant, semblait risquer de se casser à tout moment et de laisser à la merci de quiconque le cœur qu'elle abrite comme une gangue autour du plus pur des ors. C'est contre cette poitrine là de laquelle s'échappait un doux effluve masculin que Kisaki s'est mis à pleurer doucement et alors, il a profité du fait que ses mots soient étouffés contre elle pour articuler :
-Lorsque l'on perd un être cher, Gara, il n'y a que deux choses à faire : soit l'on se raccroche à son souvenir de toutes ses forces en refusant de le laisser disparaître, en usant de n'importe quel moyen pour cela, ou au contraire, l'on brûle tous les souvenirs de lui que l'on avait, en brûlant tout aussi bien les souvenirs matériels que les souvenirs intérieurs... Gara, je crois que Hiroki voudrait faire partie de cette dernière catégorie mais, tu vois, parce que je suis là, il n'est pas capable de le faire et c'est pour cela qu'il est incapable de m'aimer. Parce que je le rends malheureux de par ma simple présence, tu vois, et Gara, je ne veux pas que tu incrimines Hiroki, parce que malgré tout je l'aime et je le comprends, tu sais, je suis sûr que je suis pareil que lui. Moi, la nature ne m'a pas fait assez fort pour cela, je le sais, je le sens au plus profond de moi Gara, j'ai déjà perdu des êtres chers et tu vois, maintenant, c'est comme s'ils n'avaient jamais existé ; je les ai tués au-dedans de moi pour qu'ils meurent une deuxième fois. Tu vois, Gara, ce ne sont pas aux morts que l'on devrait souhaiter de reposer en paix, mais aux proches qu'ils laissent derrière eux. Alors, pour reposer en paix, j'ai assassiné tous leurs souvenirs, et tu vois, Gara, parce que peut-être que je vivrai bientôt ce malheur à nouveau, je vais recommencer... Gara, bientôt peut-être, je vais encore tuer quelqu'un au-dedans de moi.

 
-Maintenant, que les choses soient bien claires entre nous : soit tu me fais la promesse d'arrêter, soit je ne tiendrai plus celle que je t'ai faite, à tort, de ne pas te dénoncer.
C'est dans un hochement de tête docilement assenti que Maya a traîné ses pieds sur le sol avant de venir s'affaler sur le lit. Ses yeux couleur miel étaient pensivement rivés sur le plafond tandis qu'avec sa langue, il faisait tourner dans sa bouche la boule de sucre dont la saveur fruitée faisait délicieusement couler un goût de fraise le long de sa gorge. Retirant le bonbon de sa bouche dans un bruit de succion, il s'est redressé vivement, claquant ses doigts comme si une illumination l'avait assailli :
-Donc, vous m'ordonnez de ne plus me droguer sans quoi « vous vous verriez à regrets dans l'obligation de me dénoncer auprès du Directeur », c'est bien cela ?
-Et c'est bien ce que j'aurais dû faire depuis longtemps, confirma Aiji.
-Si j'ai bien compris votre histoire, le Directeur a menacé ce pauvre Yuki de le renvoyer s'il s'avérait que le détenteur de ce sachet perdu était un élève dont il avait la responsabilité alors : c'est-à-dire en l'occurrence, moi.
-Crois bien que ça me désole, Masahito. Mais parce qu'il me désolerait encore plus de voir renvoyée une personne intègre comme Yuki, ce dont ce lycée de fous manque cruellement, je te dénoncerai si tu recommences et qu'à cause de toi, les conséquences retombent sur lui.

-Bien sûr, ça tombe sous le sens, a-t-il déclaré en replaçant la sucette dans sa bouche. Je ne vous en voudrais pas si vous le faisiez ; je vous ai dit, la dernière fois, que le Directeur n'était qu'une ordure qui ferait n'importe quoi pour voir Yuki renvoyé. Or perdre un professeur comme Yuki, ce n'est pas ce que les élèves veulent, et croyez-moi, il est vraiment rare pour un professeur d'être ainsi aimé de ses élèves. Ce que je veux dire est que, Yuki parti, il n'y a aucune chance pour nous de retomber sur quelqu'un d'aussi compréhensif, alors, forcément, on y perdrait.
-J'en déduis donc que tu comptes arrêter, n'est-ce pas.
-Déduisez-en que je compte ne plus commettre de pareilles étourderies.
-Que puisse arriver vite le jour où tu réaliseras enfin l'ampleur de tes actes, Masahito.
-Vous savez, en ce qui concerne le Directeur, je peux essayer de le terroriser pour le faire fuir.
-Qu'est-ce que tu racontes ? s'est enquis Aiji qui ne savait s'il fallait prendre ou non le garçon au sérieux.
-Je l'ai déjà fait pour voir, vous savez, et avec certaines personnes, cela marche incroyablement bien. Avec Masashi, par exemple, mais ne le lui dites pas, hein, il ne sait pas encore... L'autre jour, je l'ai terrifié à un point tel qu'il est parti de la salle de classe plus pâle qu'un fantôme.
-Masahito... Qu'est-ce que tu as osé faire à Masashi ?
-Rien de grave, bien sûr. Je me suis simplement contenté de parler sans lui laisser le loisir de savoir qui c'était.

C'est d'une voix profondément caverneuse qu'il avait parlé, une voix qu'Aiji n'aurait jamais pu reconnaître comme étant celle de Maya si, tout en s'exprimant, celui-ci ne l'avait pas affublé d'un sourire malicieux. Subjugué, Aiji a fixé Maya dont les lèvres n'avaient pas bougé une seule fois.
Il avait ces yeux espiègles, cet air fier et victorieux, et le bonbon à moitié fondu qu'il balançait entre son pouce et son index.
-Même les adultes sont impressionnables, a ajouté Maya d'une voix innocente pareille à celle d'une petite fille.
-Oh mon Dieu, Masahito, tu es odieux, a soufflé Aiji en se mettant à masser du bout des doigts son visage exténué.
-Vous avez raison, a admis le garçon en se remettant à parler normalement. Malgré cela, Aiji, vous voulez bien me soigner ?
-Pour ton cas, je ne peux rien faire. À ta place, j'irais plutôt faire une cure de désintoxication.
-Je parlais de mon bras.
C'est lorsque Maya a remonté sa manche qu'Aiji a découvert sur son bras un bandage grossièrement fait qu'une tâche de sang souillait déjà. Les yeux exorbités, il a observé le garçon qui se mettait lentement à défaire la bande de tissu et lorsqu'il a vu ce bras mis à nu, il a retenu un cri.
-Je me suis fait cette coupure juste avant de venir ici, a murmuré Maya qui levait sur lui des yeux coupables. C'est parce que j'ai pensé que vous en aviez marre que je vienne pour rien que j'ai fait ça.
Aiji n'a rien dit. C'est avec l'air le plus stoïque du monde qu'il a entrepris de désinfecter et panser cette plaie profonde et rougeoyante sous le regard reconnaissant du jeune homme mais ce n'est qu'à la fin, après que Maya lui eut dit merci, qu'a échappé au contrôle d'Aiji la gifle qui blessa le visage de l'adolescent.
 

-Eh, tu sais, j'ai passé la nuit chez toi la dernière fois.
Kisaki s'est retourné, interloqué, et a vu son voisin de classe qui lui adressait ce sourire insupportable tant il était plein d'innocence.
-Qu'est-ce que tu veux dire par « tu as passé la nuit chez moi » ? a balbutié Kisaki qui devenait blême, comme sans s'en rendre compte, il écrasait la pointe de son stylo plume sur sa feuille qui se couvrit alors d'une tache noire.
-Ce soir où tu n'étais pas rentré chez toi, tu sais, eh bien, je n'étais pas rentré chez moi non plus.
-Tu as couché avec mon père ? C'est ce que tu essaies de me dire, n'est-ce pas, Uruha ? Espèce de catin, je vais te...
-Mais non, tu n'y es pas, s'est empressé de se défendre Uruha comme une moue boudeuse attendrissait ses lèvres, vexé que son camarade ne le croie capable de pareille corruption. Tu sais, au début, je devais passer la nuit ce pianiste -Aoi avait finement réussi à me refourguer à lui car je n'avais plus d'argent pour rentrer chez moi et donc, plus d'endroit où dormir. Mais le pianiste, lui, il devait aller chez ton père, alors au final, j'ai passé la nuit chez toi. Je dois avouer que lorsque j'ai compris que c'était chez toi que nous allions, j'ai eu très peur que notre rencontre ne crée une catastrophe mais au final, tu n'étais pas là, et c'était cela, la catastrophe. Au passage, je ne savais pas que ton père était aveugle, je suis vraiment désolé pour vous deux.
-Ce n'est pas mon père, a-t-il rétorqué avec violence.
-Mais, tu m'as demandé si j'avais couché avec ton père, a marmonné Uruha dans cette moue chagrine qui lui donnait l'air d'un chaton abandonné.
-Alors, toi, tu allais coucher avec Gara, c'est ça ?
-Bien sûr que non. Je n'allais pas.
-Menteur. Le garçon qui se prétend ton meilleur ami te prostitue et toi, ça te fait bien plaisir, hein. Cela t'arrange de pouvoir prendre ton pied avec n'importe qui en gagnant, en prime, le gîte et le couvert. C'est ce que l'on appelle avoir le beurre, l'argent du beurre, et le crémier qui va avec.
-Je n'allais pas coucher avec ton pianiste, puisque ton pianiste, il n'avait pas l'intention de coucher avec moi.
-Bien sûr que non, Gara ne l'aurait pas fait !

Kisaki a explosé et dans un geste de colère, renversa sa trousse dont le contenu s'éparpilla sur le sol, amenant à lui l'attention de toute la classe.
-Kisaki, vous qui êtes si loquace, j'imagine que vous vous feriez un plaisir de répéter, pour ceux qui n'auraient pas entendu à cause du boucan que vous faites, ce que je viens de dire ?
Au milieu des rires étouffés des élèves, c'est plus pâle que la mort que Kisaki a posé ses yeux écarquillés d'effroi sur Masashi qui l'écrasait de toute son autorité.
-Je suis désolé, Monsieur, a-t-il honteusement bafouillé comme les rires de ses camarades s'accroissaient. Mais il me sera difficile de...
-N'en dites pas plus, Kisaki ; vous êtes convié à demeurer discuter avec moi à la fin des cours.
-Pardon ?! s'est-il écrié qui se sentait comme si l'on venait de lui annoncer la décision de sa peine de mort.
-Vous m'avez bien compris, Kisaki.
-Mais vous n'êtes pas du tout mon genre, Monsieur.
 

Cette fois, l'hilarité a éclaté dans la salle qui s'est couverte d'un capharnaüm de rires à gorges déployées qui plongèrent Kisaki au fond des abysses de la honte.
-Ceux qui ne s'arrêteront pas immédiatement de rire des pitreries de votre camarade, qui, de par son intelligence et son humour de génie, force l'admiration, se verront à tour de rôle chargés de corvée de ménage pendant deux semaines.

Le calme est peu à peu retombé sur la salle, installant alors un silence pesant qui accrut Kisaki dans son malaise comme le regard noir de Masashi l'accablait de reproches.
-Je suis fort aise de l'apprendre, Kisaki ; vous n'êtes pas mon genre non plus, ainsi, nous nous entendrons bien. Nous voilà donc qui sommes dans les meilleures dispositions pour discuter de votre comportement.
Kisaki s'est muré dans le silence, déconfit, et ce n'est que lorsqu'enfin, l'atmosphère ambiante redevint habituelle, qu'il lança un regard assassin à Uruha.
-Je suis désolé, je ne voulais pas te faire punir...
-C'est de ta faute, tout ça. Gara n'aurait jamais voulu de toi, c'est un fait, mais alors, tu admets que s'il l'avait bien voulu, tu n'auras pas hésité à te faire sauter dessus, pas vrai ?
-Je ne le ferai jamais, Kisaki, j'ai bien compris à quel point tu tenais à cet homme.
-Ce n'est pas ce que tu crois, imbécile, a-t-il persiflé avec mépris.
-Pourquoi tu te défends ? Je n'irai jamais le dire et tu sais, je pense que tu as raison ; même s'il est squelettique, il a l'air si bienveillant qu'il ferait se sentir en sécurité la créature la plus méfiante et craintive, tu vois. Toi, au moins, ce n'est pas un amour masochiste comme le mien qui...
-Tu dis ça comme si tu ne savais pas.
Uruha s'est tu. Couché sur la table, Kisaki suivait lentement des yeux les courbes qu'il traçait au crayon sur sa copie, morose.
-Si Masashi te voit, il va te tuer, avertit Uruha.
-Si cet imbécile me voit, il ne pourra pas faire pire que de me convoquer ou appeler mon père, a-t-il répondu sans quitter des yeux les arabesques qui remplissaient les coins jusqu'alors blancs de sa feuille.
-Tu vois, que c'est ton père.
-Mais non, non, c'est plus compliqué que cela et d'ailleurs, toi, tu es encore plus aveugle que lui.
-Kisaki, si j'ai cru que tu étais amoureux de Gara, c'est parce que c'est en son nom que tu nous as frappés, Aoi et moi, pas vrai ?
-Oui.
-Mais je me suis visiblement trompé alors, qu'est-ce que c'est, ton genre ? Tu as dit à Masashi « mais vous n'êtes pas du tout mon genre », maintenant, je suis curieux de savoir quel est-il.
-Un genre inaccessible.
Uruha a semblé méditer sur cette réponse, dessinant une moue pensive sur ses lèvres, avant de déclarer :
-Tu aimes les hommes mystérieux, c'est cela ?
-Celui dont je te parle n'est en rien un mystère, et...
 

Kisaki a laissé échapper un cri aigu de surprise lorsqu'un claquement s'abattit sur son bureau. Terrifié, il se redressa et se retrouva nez à nez avec Masashi dont les mains recouvraient la frise d'arabesques qu'il venait de terminer.
-J'ignore ce qui n'est en rien un mystère, Kisaki, mais il me surprendrait fort que l'Histoire du Japon n'en soit pas un pour vous. Aussi, vous allez me faire le plaisir de venir au tableau pour que j'aie tout le loisir de vous interroger face à vos camarades brûlant d'envie de savoir quelle science infuse coule en vous pour que vous vous permettiez de négliger mon cours à ce point.
 
 
Alors, c'était comme ça. C'était bien un châtiment, une punition divine qui s'abattait sur lui, la peine capitale qui prenait la forme d'une interrogation orale face à ces dizaines de regards luisants d'avidité et de malice, ces élèves prêts à se régaler de son humiliation. La jubilation de Masashi, que Kisaki était certain de voir derrière cet air crispé inhérent à tout professeur, cette jubilation de le voir vaincu qui l'engluerait dans les sables mouvants de l'humiliation dont il ne pourrait jamais réchapper, Kisaki se sentit ployer sous elle. Et c'est alors avec le même air qu'un condamné, la peur au ventre, que Kisaki s'est sentencieusement levé.

Signaler ce texte