Nobody Knows - Les Beaux Yeux Clos de Sui- Chapitre Onzième

Juliet

Chapitre non corrigé car j'ai eu beau le corriger vingt fois, ce site bugue sans cesse et j'en ai marre de tout recommencer donc tant pis y'a des fautes d'orthographe et de syntaxe.

-Tu sais, Uruha, les hommes ne deviennent jamais adultes. Même arrivés à l'âge de cinquante ans, ils ne resteront toujours que des enfants qui ne pensent qu'à jouer. La seule différence est que le jeu n'est plus le même. L'homme est un éternel enfant capricieux qui veut dépendre de quelqu'un comme il a dépendu de sa mère, mais qui veut tout prendre de cette personne comme sa mère lui a tout donné. Oui, depuis le début de l'humanité, l'homme n'est rien que ça, et en cela même, les femmes sont bien plus nobles, elles, tu vois, de tout temps elles se sont tuées à donner et protéger la vie, tandis que nous, nous avons vécu pour détruire et chercher la mort. D'ailleurs, c'est sans doute pour cela que les hommes se suicident plus facilement que les femmes ; c'est que comme ils tuent plus facilement aussi, eh bien, cela fait montre de l'incapacité qu'ont les hommes à voir la vraie valeur de la vie. Ce qu'ils prennent pour un désir vital, ce n'est toujours qu'un caprice orgueilleux...
 

C'est avec un assentiment sincère qu'Uruha a hoché la tête et lorsqu'il a levé les yeux vers Aoi pour distinguer son profil parmi le voile de fumée, il souriait :
-Nous sommes d'accord sur un point, Aoi, dis, moi, j'aurais bien aimé être une femme. Je veux dire... même si être une femme est plus dur à vivre dans ce monde dominé par les hommes, au moins, si j'étais une femme, je me sentirais plus noble.
-Si tu étais une femme, je tomberais peut-être amoureux de toi.

Ces mots eurent l'effet d'une bombe atomique dévastant tout dans l'esprit d'Atsuaki au beau milieu duquel il ne restait qu'un vaste champ de ruines, pourtant sous les décombres, bientôt apparurent les prémices d'une nature nouvelle. Et d'un seul coup Uruha se sentait renaître.
-Malheureusement, a ajouté Aoi comme il essayait de distinguer les sillons de sa cigarette au milieu de la fumée, comme je te l'ai dit, les hommes même adultes sont des enfants qui ne pensent qu'à jouer, fuyant le monde et se fuyant eux-mêmes, et si tu étais une femme, Uruha, sans doute que je ne ferais que jouer avec toi. Parce que ce qui est précieux est fragile, et ce qui est fragile attise les instincts de destructions naturels des hommes. C'est comme ça. Pourtant, les hommes ne le savent pas mais, c'est ce qui est fragile qui peut protéger eux qui n'ont peur de rien parce qu'ils se croient si forts.
-Aoi, je ne comprends pas, tu as dit que tu tomberais amoureux de moi, alors, comment pourrais-tu ne faire que jouer avec moi ? Je veux dire... tu sais, pour être amoureux d'une personne, l'on a besoin avant tout de la respecter, pas vrai ? Et lorsque l'on respecte une personne, quand on a de l'estime pour elle, l'on ne peut pas jouer avec elle.
-Tu as raison.
À côté de lui, Uruha a senti une main le frôler et bientôt, c'est le souffle chaud et imprégné d'alcool qui s'est lové au creux de son cou.
-Mais l'amour n'existe pas, Uruha. L'amour, c'est juste une invention de l'Homme pour essayer de supporter la souffrance de vivre avec l'autre malgré ses différences. L'on dit que les contraires s'attirent, Uruha, et parfois c'est la vérité mais ils se séparent aussi vite qu'ils se sont unis parce qu'en réalité, ce ne sont que ceux qui se ressemblent qui s'assemblent, car entre eux ceux qui se ressemblent peuvent trouver la paix. Entre ceux qui se ressemblent, il n'y a pas de guerre.
-Alors dis, Aoi... si je deviens une femme, je ne te ressemblerai pas.

Un gémissement affirmatif s'est fait entendre et Uruha a senti le bras d'Aoi qui se refermait autour de sa poitrine, lové contre lui comme un enfant contre la peluche géante qui le protégera des monstres nocturnes pendant son sommeil.
-Mais si je ne suis pas une femme, tu ne peux pas m'aimer.
-Mais puisque moi, je suis un homme, j'ai quand même envie de m'amuser, Uruha, tu vois. Alors si c'est ce que tu attends, nous pouvons faire l'amour.
-Ce n'étaient pas les mots qu'il voulait entendre, tu sais.


Là où Aoi a sursauté, le cœur battant, Uruha s'est contenté de diriger simplement son regard en direction de cette voix chaleureuse.
-Merci, Gara. Si vous ne l'aviez pas fait pour moi, je n'aurais jamais osé le lui dire.
-Qu'est-ce qu'il fait là, le pianiste ? a grommelé Aoi que l'idée d'avoir été entendu d'une oreille indiscrète n'enchantait guère.
-Cela fait une dizaine de minutes que je vous ai rejoints. Comme Atsuaki, lui, m'avait remarqué, je pensais que tu avais fait exprès de m'ignorer.
-Oh, non, ça tombe mal, vraiment mal, vous savez, a répété Aoi qui massa longuement ses paupières du bout des doigts.
-Je suis désolé que ma venue te soit si désagréable.
-Non, au contraire, a-t-il répliqué avec agacement. J'allais moi-même venir vous trouver seulement, j'avais besoin de me préparer psychiquement, enfin... Heureusement que vous vous êtes manifesté, dix secondes de plus et moi, j'aurais été cuit.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Eh bien, c'est que j'allais proposer à Atsuaki un ménage à trois avec vous, moi.
-Je vois, s'est contenté de commenter Gara qui priait juste pour que le garçon ne fût pas sérieux derrière son air absolument détaché, comme si tout cela lui paraissait naturel.
-Cela n'a pas l'air de vous motiver, a rétorqué Aoi avec bouderie.
-Eh bien, figure-toi qu'aussi étrange que cela puisse te paraître, moi, même si je suis un homme, je reste un être humain et je n'ai pas vraiment envie de me servir du corps d'un autre comme d'un jouet. J'espère au moins qu'en grandissant, tu comprendras certaines choses.
-Qu'est-ce que vous insinuez ?
-Qu'il vaut mieux faire les erreurs lorsque l'on en est inconscient que lorsque l'on en est conscient, c'est plus excusable. Alors, même si maintenant, tu crois qu'il est bien de coucher à tort et à travers...
-Non, mais non enfin, je suis encore vierge vous savez, a répondu Aoi en balayant nerveusement l'air de sa main. Uruha ne veut pas alors, à cause de lui, je suis encore vierge. Je pensais juste que votre présence le motiverait ; il a eu l'air de bien vous aimer, après cette fois où vous avez pris soin de lui.
-Mais non, Aoi, tu ne comprends pas, a gémi Uruha qui s'est mis à secouer le bras de son ami. Avec ou sans quelqu'un d'autre, comment pourrais-je vouloir que ma première fois se passe avec toi ?
-Tu essaies de me dire que tu en aimes déjà un autre ?
-Non, s'est-il défendu, effrayé de la colère qu'il croyait sentir dans les muscles tendus de son bras. Non, Joyama, mais je veux dire... pas avec le toi comme ça.
-« Le moi comme ça », a monotonement répété Aoi avec la concentration de celui qui essaie de s'inculquer un nouveau mot. Uruha, tu sais, je trouve que tu es agaçant à la fin.
-Tu ne peux pas m'accuser de ne pas vouloir coucher avec toi qui ne m'aimes pas.
-Mais l'on se ressemble, Uruha.
-Le fait que nous soyons tous les deux des hommes, bon gré ou mal gré, Aoi, je n'appelle pas ça une raison. D'ailleurs, c'est la différence qui nous fait ressentir du désir pour une personne, car c'est le fait qu'elle a ce que l'on n'a pas qui nous procure ce besoin de la posséder, comme pour pallier à un manque. Mais tout ce que j'ai et que tu as aussi, Aoi, je n'ai pas besoin de le prendre et l'inverse est valable.
 

Un long soupir exaspéré a semé le chaos parmi les molécules de fumée ambiantes en même temps qu'un rire léger s'est doucement fait entendre.
-Qu'est-ce que tu as à rire ? a grogné Aoi vers la direction où il devinait Gara.
-C'est ton désespoir qui me fait rire, garçon, et cette incapacité que tu as à contrôler tes émotions. Dis, puisque tu prétends seulement avoir envie de faire l'amour, pourquoi est-ce que tu ne cherches pas quelqu'un d'autre qui a les mêmes attentes que toi ?
-Parce que je ne veux pas quelqu'un d'autre, est-ce si difficile à comprendre ?
-Non, cela, je l'avais compris dès le début.
-Alors tais-toi, Skeleton, et ne ris plus de moi comme ça.
-Ce que je ne comprends pas est pourquoi est-ce que tu tiens absolument à ce que ce soit avec Uruha si tu n'attends du sexe que le plaisir qu'il procure.
-Je ne te permets pas de te mêler de ça, Skeleton.
-Ah ? Pardon, j'ai pensé justement que tu m'autorisais à m'y mêler au moment où tu m'as demandé de vous rejoindre pour un ménage à trois.
-Mais tu as refusé, je te rappelle.
-De toute façon, tu n'avais pas envie de moi, tout ce que tu voulais est que ce garçon accepte.
-Tu as un problème avec cela, si je t'utilise ?
-Non, puisque qu'importe que tu le veuilles, je ne me laisserai pas utiliser par toi. Mon problème, c'est que tu es incapable de trouver autre chose que le désir sexuel comme excuse.
-Qu'est-ce que tu racontes, Skeleton ?
-Que ce que tu veux, ce n'est pas juste coucher avec ce garçon.
-Gara, je t'en prie, arrête, est intervenu Uruha qui, au milieu de leurs dialogues, se sentait comme une balle renvoyée d'une bouche à l'autre.
-Je suis désolé, Atsuaki, mais je trouve ton ami lâche et indigne, néanmoins, je t'avoue ne pas être surpris, car c'est alors déjà l'impression qu'il m'avait donnée ce jour où il t'a vendu à moi en échange de quoi tu aurais un endroit où dormir.
-Espèce de... a commencé Aoi tandis qu'il se redressait.
-Non ! s'est écrié Uruha en venant plaquer ses mains contre sa poitrine. Arrête, Aoi, tu ne vas pas te battre, pas vrai ?
-Il n'y a que la vérité qui blesse, à ce qu'il paraît, a commenté Gara d'un ton indifférent.
-Tu te trompes ! a explosé Aoi dont la rage débordait de ses yeux exorbités. Tu as le droit de m'accuser des pires défauts si tant est qu'ils s'avèrent être fondés mais toi, Skeleton, je ne te permets pas de me juger sans rien savoir, car ce n'est pas la vérité qui blesse un être humain dans son amour propre, non, ce qui le blesse, ce sont tous les mensonges et les images faussées que l'on peut avoir de lui, ce qui blesse un homme, c'est lorsque l'on voit en lui un monstre quand il n'est qu'un simple être humain !
-Calme-toi, Aoi, suppliait Uruha qui se mettait à pleurer de plus belle. Quoi qu'il puisse dire, même si c'est vrai, de toute façon je t'accepte comme tu es, Aoi, alors pourquoi est-ce que tu le prends comme ça, dis ? Tant qu'il y aura des personnes qui t'aimeront tel que tu es, ce n'est pas grave si...
-Je ne veux pas que tu m'aimes « tel que je suis » si tel que je suis, pour toi, c'est juste un pauvre gars sans coeur et sans morale qui a vendu son meilleur ami à un inconnu juste pour ne pas avoir à s'occuper de lui.
-Mais je ne pense pas que tu sois sans cœur, Aoi, c'est juste que tu es perdu...
-Gara, je ne l'aurais jamais confié à toi si, dès le début, je n'avais pas été certain que de toute façon, tu ne le toucherais pas.

Alors qu'ils étaient tous trois enfermés dans la bulle de silence qui était apparue, Aoi a senti les mains d'Uruha glisser lentement le long de sa poitrine avant que ce contact ne disparaisse comme l'adolescent se détournait de lui, timide.
Comme si c'était là la fin de la conversation, Gara s'est relevé, non sans lâcher Aoi du regard et puis, après avoir laissé un billet sur la table tandis qu'il n'avait rien consommé, il s'est éloigné et parce qu'il sentait les yeux perçants du jeune homme derrière son dos, il s'est retourné :
-Une dernière chose, Aoi : je ne supporte pas ceux qui refusent d'exprimer le fond de leurs pensées et de leurs sentiments. Parce que dans l'intimité comme en société, c'est toujours dans le silence que le tonnerre explose.
 


 
-Tu as froid ?
Intrigué par les frissons dont était agité le garçon, Aiji s'est penché sur Maya qui le regardait d'un œil vague, posant sa main sur son front.
-Tu n'as pas de fièvre l'on dirait.
-J'ai froid, Monsieur Misui, vous savez, pour une fois je n'ai pas fait semblant d'être malade pour venir, j'ai froid.
-Masahito, regarde-moi.
Maya ne comprenait pas pourquoi est-ce qu'il lui demandait une telle chose, tandis qu'il le regardait depuis le début, mais il a plongé ses yeux égarés dans les siens et brusquement, un cri rauque a franchi ses lèvres.
-Masahito !
Aiji l'a retenu comme le garçon semblait sur le point de s'effondrer, plié en deux dans une grimace de douleur. Il l'a redressé et s'est agenouillé face à lui, ses mains plaquées contre sa poitrine comme s'il avait peur de le voir basculer à tout moment.
-Maya...
-J'ai mal au ventre, Monsieur, j'ai si mal que je crois que je vais mourir, c'est comme si quelque chose se déchirait à l'intérieur.
-Masahito, dis-moi la vérité, tu es en train...
-Vous la savez, la vérité !
Ils se sont dévisagés et dans leurs regards, c'est une même détresse qui a crié de toute son âme. Les mains d'Aiji frôlaient délicatement ce visage couvert de sueurs froides et Masahito a fermé les yeux, haletant, dans le désir de ne plus sentir que la caresse même la plus infime pour oublier la douleur qui le tenaillait jusque dans les entrailles.
-Attends-moi ici, Masahito.
Et le garçon n'eut pas le temps de réagir que déjà l'infirmier s'échappait à toute allure, ignorant les cris désespérés qui appelaient son nom :
-Aiji, je ne veux pas que tu me laisses seul !

La douleur était telle qu'il avait l'impression qu'à présent, son cerveau était logé au creux de son ventre et que là se concentraient tous ses maux, même sa conscience était devenue la douleur elle-même, plus rien n'existait à présent que cette souffrance qui le dévorait à petit feu de l'intérieur et déjà, à travers ses yeux voilés, Masahito avait l'impression de voir le spectre de la mort l'enrober de ses bras glaçants. Et son corps recroquevillé comme un fœtus au coin du mur s'est paralysé tandis qu'inconsciemment, des suppliques enfiévrées s'échappaient de ses lèvres tremblantes :
-Ne me laisse pas comme ça, non, je ne peux pas rester dans cet état, j'ai besoin de toi, je ne peux pas vivre sans toi, tu ne comprends pas, je suis devenu ton esclave et un esclave, c'est tout ce que je suis maintenant, si je ne suis plus esclave je ne suis plus rien, alors si toi, mon maître, tu m'abandonnes, qu'est-ce que je vais devenir ?
« Mais un esclave, Masahito, a fait la voix pernicieuse de la mort qui le chatouillait de ses doigts de glace. Un esclave, après tout, n'est-ce pas ce que tu as toujours été ? Un esclave, Masahito, c'est ce que tu as décidé de devenir de ton propre gré pour ne pas t'avouer que tu étais déjà un esclave pour les autres et pourtant c'est la vérité Masahito, tu n'as toujours été que ça, l'esclave et le jouet des autres, tu le sais, non ? C'est parce que tu n'as pas pu le supporter que tu es devenu comme ça ».

-Ce n'est pas de ma faute, dis, pleurait Masahito. Puisque je ne suis né que pour être un esclave, alors je n'ai pas le droit de vivre sans maître, pas vrai ? Je n'avais pas le choix, il fallait que je me trouve un maître envers et contre tout, mais un maître comme lui, dis, je ne voulais pas un homme, j'ai trop peur des hommes, ils oublient tellement facilement ce que sont les êtres humains, alors j'ai préféré être esclave de quelque chose d'autre, quelque chose que j'aurais choisi moi-même et qui me ferait oublier mes déboires mais en même temps, une chose à laquelle je resterai fidèle et dévoué pour toujours, dis, tu penses peut-être que ça ne sert à rien, mais ce n'est pas vrai, par son biais, à elle, j'enrichis des personnes qui vivent de son commerce, et alors... Alors... comme ça... j'ai le droit de vivre, j'ai... la force de vivre.
« Mais à quoi te sert de vivre si tu n'as plus de volonté face à celle des autres ?Toi... tu es comme un corps vide d'âme qui attend qu'une autre vienne prendre ce corps pour le manipuler comme un pantin et en faire ce qu'elle veut. »
-Mais, tu viens de le dire justement, non ? Je n'ai pas d'âme. Alors je ne peux pas souffrir, c'est bon, dis, c'est bon si je sers au moins à quelqu'un, même si ce n'est que donner de l'argent à ce genre de personnes, c'est bon puisque de toute façon, je ne peux plus souffrir.
« Alors, pourquoi ? »
-Quoi ? gémit Masahito d'une voix qui s'étrangle dans les sanglots.
« Pourquoi est-ce que tu l'as supplié de ne pas te laisser seul ? »
 
 
 
 
 
 
 
-Nous partons, Masahito.
Aiji avait pénétré en trombe dans la pièce avant de saisir dans ses bras le garçon qui, sur le coup, manqua perdre l'équilibre.
-Quoi ? s'est-il étranglé, choqué.
-Ne t'inquiète pas, le directeur est au courant, je lui ai dit que tu avais reçu un message sur ton téléphone comme quoi ta mère avait eu un accident, que tu étais en état de choc et que je t'emmenais la voir à l'hôpital. Viens.
Trop éberlué pour répondre, Maya n'a pu que suivre les directives de l'homme qui le soutenait comme une béquille et c'est ainsi que quelques minutes plus tard, le garçon était en route à travers les rues de Tôkyô dans la voiture de l'infirmier qui se dirigeait vers une destination inconnue.
-Ne t'inquiète pas, c'est à deux-cent mètres d'ici, tentait de le rassurer Aiji tandis que ses doigts tapotaient nerveusement le volant.
-Je ne comprends pas, paniquait-il, au bord de la crise de nerfs. Nous n'allons pas à l'hôpital, pas vrai, dites, ma mère n'a pas eu d'accident ?
-Bien sûr que non, idiot, mais ça, c'était tout ce que j'ai trouvé sur le coup pour ne pas faire porter de soupçons au directeur.
-De soupçons ? a-t-il répété comme à ses tremblements compulsifs s'ajoutaient des frissons d'angoisse.
-Si je lui avais dit que tu es en train de faire une crise de manque, Masahito, comment crois-tu que le Directeur aurait réagi ?
-Alors, vous aviez vraiment compris, Aiji...
-N'importe quel idiot aurait compris en te voyant, qu'est-ce que tu crois ?
-Vous le savez... mais vous m'avez couvert.
-Je l'ai toujours fait, Masahito. J'ai tort, mais je continue à le faire.
-Merci, murmurait l'adolescent qui, tremblant de froid, se recroquevillait sur son siège, encore tenaillé par la douleur qui lui déchirait les entrailles.
-Je ne mérite pas ce merci, Maya. Si je t'avais arrêté depuis le début, tu aurais sans doute été renvoyé, c'est vrai, mais peut-être que tu n'aurais pas eu le temps de devenir dépendant. Maintenant, regarde dans quel état tu es...
-Mais, c'est parce que je n'en ai pas pris depuis une semaine, Monsieur Misui. Cela fait une semaine que je m'abstiens...
-Est-ce que tu dis la vérité ? a lâché l'homme dans un rire nerveux. Quand je te vois, je ne peux pas croire que tu aies essayé tout seul de...
-Je n'ai plus d'argent.

Alors Maya a brusquement éclaté en sanglots au moment où il a vu le camion de l'ambulance garé sur le bord d'un trottoir. Il a poussé un cri déchiré quand Aiji a ouvert sa portière et qu'il l'a tiré de force du véhicule, l'entraînant vers ce camion qui l'attendait, pareil au bûcher qui attend celui qui a commis un péché inexpiable. Il a voulu se débattre mais les bras d'Aiji étaient comme de fer pour ce corps affaibli et chancelant alors, laissant juste les larmes de sa détresse couler, Maya s'est laissé guidé à l'intérieur du camion et c'est au moment où les portes se refermaient tandis que les ambulanciers l'accablaient de paroles qu'il n'arrivait plus à comprendre, il a entendu la voix d'Aiji :
-N'aie pas peur, Masahito, je viens avec toi, tu sais. Je viens avec toi.


 

-Terukichi, tu peux répondre à ma question ?
-Pardon ?
L'hilarité générale a envahi la pièce comme Terukichi se redressait brusquement, perdu au milieu de ce brouhaha soudain.
-Je te demande, Terukichi, a répété Yuki en détachant chaque syllabe, si tu peux répondre à la question que je viens de poser. Étant donné que tu me regardais si fixement, j'ai pensé que tu étais littéralement fasciné par mon cours.
-Je suis désolé, Monsieur, mais ça ne va pas être possible, je n'ai pas entendu votre question.
-Sais-tu au moins sur quoi porte le cours, Terukichi ?
-La guerre d'Indochine ?
-Terukichi, tu me feras le plaisir de venir me voir après mon cours.
-Ah, ça, je me demande quel genre de plaisir est-ce que ce sera, a fait une voix lasse du fond de la salle.
-Joyama Suguru, vous voulez peut-être subir le même sort que votre ami ?
-Je suis désolé, je réserve ce genre de privilèges à quelqu'un d'autre, Monsieur.
Les rires ont retenti de plus belle qui plongèrent Yuki dans une colère où il se sentait sur le point de se noyer.
-Sortez d'ici, Suguru.
-Merci beaucoup, je n'attendais que ça.
Et c'est sous le regard effaré de Yuki que Joyama s'est levé et, après avoir remballé ses affaires, a quitté la pièce sous les applaudissements de ses camarades.

-Je suis désolé pour tous les désagréments que j'ai pu vous causer, Monsieur.
Teru était incapable d'affronter en face son professeur alors, c'est tête baissée qu'il lui a fait ses excuses, penaud. Sans vouloir admettre à quel point il était touché de la sincérité avec laquelle ce jeune arrogant s'était repenti, Yuki s'est redressé et a toisé le garçon de toute sa hauteur.
-J'aimerais savoir ce qui ne va pas avec toi, Terukichi. Je sais bien que tu dois t'ennuyer en classe, étant donné que ton niveau est déjà bien supérieur mais bon sang, pourquoi est-ce que tu t'évertues à rester ici si tu n'as rien à y faire ? À la fin, ne veux-tu pas simplement suivre la voie qui est la tienne ? Retomber deux ans en arrière... je ne comprends vraiment pas, écoute-moi, Terukichi, je ne pourrai plus t'accepter dans mon cours si tu continues à ne rien faire d'autre que de distraire tes camarades. Je ne sais pas vraiment ce que tu sais à propos de moi, ce que tes camarades ont pu te dire, mais si tu as décidé de me faire mener une vie plus compliquée encore, alors sache que...
-Mais je suis de votre côté, moi, Monsieur.
Il a relevé sur lui ces yeux brillants qui semblaient sur le point de pleurer et alors, Yuki a senti que toute son autorité s'en irait si le garçon continuait à lui montrer ce visage de chagrin qui implorait son pardon.
-Je me fous bien de ce que les autres prétendent sur vous, moi, je suis certain qu'ils marchent avec des œillères pour ne voir rien d'autre que ce qu'ils veulent voir. Pourtant, Monsieur, il suffit de vous regarder et de vous parler un instant pour comprendre que vous n'êtes pas le monstre que l'on dit.
-Bien, écoute-moi, a-t-il fait d'un ton catégorique pour ne pas se laisser aller à ses émotions. Non pas que tes paroles ne me touchent guère, mais je préfèrerais si possible que nous évitions d'entamer un tel sujet qui, au final, ne regarde que moi et... Bref, de toute façon, si je t'ai fait rester avec moi, Terukichi, c'est pour parler de ton attitude en cours.
-Vous savez, a-t-il clamé comme s'il n'avait rien écouté, si je vous regardais fixement en classe tout à l'heure, c'est parce que je vous trouve beau.

Levant les yeux au ciel, Yuki s'est laissé effondrer sur sa chaise, abattu.
-Tu sais Terukichi, rien qu'avec ce genre de remarque, je risque de...
-Je rigolais, Monsieur. En réalité, j'ai juste essayé de vous attendrir mais l'on dirait que je vous ai mis en colère.
-M'attendrir, moi ? Mais... Tu as peur que je te fasse renvoyer d'ici pour te forcer à reprendre le cours normal de ta scolarité, c'est cela ?
-Non, Monsieur, parce que même si telle était votre intention, je doute fort que vous y réussissiez. Seulement, je dois avouer que j'ai un service à vous demander.
-Alors, qu'est-ce que c'est ? a-t-il soupiré.
-Je voulais savoir si vous ne vouliez pas m'héberger chez vous ce soir.
Il l'a regardé comme si une créature surnaturelle venait d'apparaître devant lui et alors, le teint d'ordinaire joliment diaphane de Yuki a viré au blafard glauque.
-Tu es en train de plaisanter, j'espère ?
-Honnêtement, avoir à vous demander une pareille faveur me gêne bien trop pour que je puisse en faire une plaisanterie, a rétorqué le garçon. Ce soir, mes parents s'en vont et ne reviennent pas avant deux jours, et vous savez, la semaine dernière, il y a eu deux cambriolages dans mon quartier et le criminel n'a toujours pas été arrêté : vous pouvez comprendre que dans de telles circonstances, être seul dans une grande maison ne me rassure pas.
-Enfin, Terukichi, a ri Yuki qui ne savait s'il devait croire à cette histoire ou non. Je comprends bien sûr que les conditions ne soient pas idéales, mais si jamais tu devais entendre un cambrioleur alors, cache-toi sous ton lit et alerte la police avec ton téléphone portable.
-L'une de mes voisines a été sauvagement agressée, vous savez.
-Attends, Terukichi... Est-ce que je peux vraiment croire à cette histoire qui me paraît somme toute un peu grotesque ?
-Si vous ne me faites pas confiance, je peux vous apporter demain matin les journaux contenant les articles relatifs à ces événements, ou bien allez simplement vérifier sur le net. Et si vous ne croyez pas que j'habite dans ce quartier, il vous suffit de regarder sur mon dossier d'inscription.
-D'accord, Terukichi, d'accord, concéda-t-il, je veux bien te croire mais ne crois-tu pas qu'il est de franc mauvais goût que de demander ce genre de choses à un professeur tandis que sans aucun doute, tes camarades ne te refuseraient pas leur hospitalité si tu leur parlais de ce problème.
-Vous savez, Monsieur, lorsque je disais que je vous faisais confiance, il y avait une erreur là-dedans.
-Alors, si tu ne me fais pas sincèrement confiance, pourquoi...
-Ce que je veux dire en réalité, c'est que vous êtes la seule et unique personne au monde en qui j'ai envie d'avoir confiance.

Silence. Même si ses oreilles ont très bien perçu ces syllabes parfaitement articulées, Yuki ne réalise pas ce qu'il a entendu. Et face au mutisme déconcerté de cet homme, Teru a ajouté avec une pointe d'agacement :
-Je ne veux jamais avoir à compter sur des personnes dont l'âme est si souillée qu'elles ne savent voir que le mal là où il ne se trouve pas. Ce n'est pas que j'aie peur d'eux, ou quoi que ce soit d'autre, mais c'est une question de fierté, vous comprenez. Je hais ce genre de personnes. C'est la raison pour laquelle c'est à vous que j'ai demandé une pareille faveur.


Il le regardait droit dans les yeux sans ciller pendant qu'il parlait pourtant, il y avait en lui ce fond d'inquiétude qui faisait trembler à peine perceptiblement sa voix, mais assez pour que Yuki ne le décèle. L'inquiétude de se voir rejeté malgré tout a même amené le garçon a détourner le regard tant celui de Yuki pesait sur sa conscience.
-Mais en réalité, celui qui n'arrive pas à faire confiance, c'est vous aussi, n'est-ce pas ?
Yuki n'a pas répondu. Et lorsque Terukichi l'a regardé à nouveau, ses yeux purs s'étaient couverts de larmes.
-Ce n'est pas comme si je ne comprenais pas, Monsieur. Si j'étais dans la situation délicate dans laquelle vous êtes, il est clair que j'aurais bien trop peur que l'on ne saute sur la moindre occasion pour m'accuser et me faire renvoyer. Seulement, parce que moi-même qui ai été prêt envers et contre tout à venir dans cette école pour des raisons que je ne peux malheureusement dévoiler, je sais quel désespoir m'envahirait si, pour une accusation injuste, je me voyais renvoyé. Alors, Monsieur, je vous en prie, même si je comprends votre désarroi et à quel point ma prière est égoïste, je voudrais que vous me fassiez confiance.
 
 
De toute façon, c'était après tout peut-être perdu d'avance, et juste une preuve de folie que de croire que sa requête pouvait être entendue, a pensé Teru.
Yuki avait croisé les bras sur sa poitrine comme un barrage à son cœur et avait détourné le regard vers la fenêtre, signifiant finalement qu'insister était devenu inutile. Parce que l'homme n'esquissait pas un geste et ne soufflait pas un mot, sans même daigner faire attention à sa présence, c'est le cœur serré que Terukichi s'est incliné malgré tout avant de tourner les talons.
-C'est d'accord.

 

Teru s'est retourné et, tiraillé entre l'espoir et la crainte d'avoir rêvé, a fixé ses yeux ronds sur Yuki qui a fini par tourner la tête dans un soupir.
-Il ne faudrait pas que l'on retrouve ton cadavre par ma faute, n'est-ce pas ? C'est d'accord, Terukichi, juste pour ce soir mais sache que si qui que ce soit venait à l'apprendre, qu'importe que tu prennes ma défense, je ne te le pardonnerais pas.


Alors, sans crier gare, Terukichi s'est mis à courir vers lui, s'est brusquement stoppé à mi-chemin, et puis comme si les mots ne pouvaient plus sortir, il s'est profondément incliné longtemps, longtemps avant de se redresser et dans un sourire de reconnaissance qui a illuminé son visage, il est parti en courant.
 
 

-Alors, c'est ici que vous vivez.
C'est comme un enfant face à une montagne de cadeaux au pied d'un sapin de Noël que Terukichi s'est mis à gambader au milieu de la pièce, avant de s'immobiliser soudainement, conscient alors de l'incongruité de son engouement.
-Je suis désolé, a-t-il balbutié honteusement à l'attention de Yuki. En réalité, j'avais juste hâte de voir votre maison.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Mais, je voulais savoir à quoi pouvait ressembler la maison d'un homme comme vous. Et comme je m'y attendais, c'est bien, vous savez, je veux dire, cette maison est assez grande pour s'y sentir libre, pas assez pour s'y sentir seul, et puis, elle dégage de la chaleur, vous savez, ça ressemble un peu à une gentille maison d'un village français, le genre où la famille se réunit souvent le dimanche pour partager un repas convivial.
-Tu es déjà allé en France ? s'enquit Yuki, brusquement intéressé.
-Dans mes rêves seulement.
-Je vois, commenta l'homme qui se demandait s'il était plus déçu pour lui-même ou bien pour le garçon. Tu voudrais visiter la France, Terukichi ?
-Moi, je veux visiter le monde entier.
À la fin, sa voix s'était amenuisée comme s'il avait eu honte de prononcer ces mots et alors, jaugeant le regard de Yuki qui semblait l'écouter avec attention, il a ajouté :
-Dites, Monsieur, vous rêvez d'aller en France ? Vos yeux se sont tellement illuminés lorsque j'en ai parlé que j'ai cru...
-J'y suis déjà allé, tu sais. Avec mes parents, lorsque j'avais huit ans. Mais je ne peux pas m'en souvenir, c'est beaucoup trop lointain pour moi, a-t-il dit en balayant l'air de sa main comme pour évincer la conversation.
Il y avait trop de gravité, trop d'insistance dans le regard de Teru pour que Yuki n'arrive à se défaire du malaise qui l'avait envahi au moment où cette conversation anodine avait pris cette tournure. C'est avec prudence que Terukichi s'est approché de l'homme mais, arrivé à mi-chemin vers lui, il a semblé se raviser comme s'il allait commettre une grave erreur.
-C'est triste d'oublier ses souvenirs, Monsieur.
-Personne ne peut se souvenir de tout, Terukichi, c'est normal. Il n'y a rien de triste à cela.
-Mais si vous oubliez les moments heureux, Monsieur, alors c'est comme si vous n'aviez jamais vécu ces moments.
-J'ai plein d'autres souvenirs de moments heureux, tu sais.
-L'on dirait que ça vous indiffère.
-Ces souvenirs ne peuvent pas me manquer, puisque je ne m'en souviens justement pas, Terukichi. Quel mal y a-t-il à cela ?
-Je pense juste qu'oublier ses bons souvenirs est un tort.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Ce n'est pas comme si je l'avais fait exprès, je...
-Un jour, Monsieur, quand je serai riche, nous irons ensemble en France.
 

Bien sûr, Yuki savait parfaitement au fond de lui qu'il ne pouvait que prendre ces paroles à la légère. Pourtant sur le coup, il a voulu croire en cette sincérité qui émanait de ce regard pieux posé sur lui et alors, lorsque Teru a fini par s'approcher pour saisir sa main, Yuki n'a pas pu le refouler.
-Monsieur, un jour, je vous offrirai de bons souvenirs, alors je vous en prie, ne les oubliez pas.
Alors, il s'est passé quelque chose. Sa main que Terukichi tenait, Yuki a voulu s'en libérer mais le garçon l'a serrée plus encore, venant même à attirer cette main jusque contre son cœur.
-Lâche-moi, Terukichi.
-Pas si vous ne vous libérez pas, Yuki. Pas si vous ne vous libérez pas vous-même.

« Mais, ce n'est pas au prisonnier de s'enfuir, c'est à son ravisseur de réaliser qu'il n'a pas le droit de prendre sa liberté. » C'est la pensée qui a envahi Yuki de toutes ses forces et pourtant, lorsque Terukichi l'a finalement lâché, il s'est senti tomber dans un gouffre sans fin.


 
 
 

-Terukichi ?
La porte de la chambre s'est ouverte et un rayon de lumière est apparu qui a fendu ses paupières pour venir attaquer ses yeux meurtris. Aveuglément, Terukichi s'est redressé et à mis un temps avant de s'habiter à cette clarté filtrante, et ce n'est que lorsqu'il eut le courage d'ouvrir les yeux qu'il a vu la silhouette de Yuki pénétrer dans la pièce.
-Terukichi, quelqu'un est venu te voir.
Il a compris que quelque chose clochait alors. Ce n'était pas la voix de Yuki, c'était la voix de sa mère, une voix pleine de douceur et de crainte. Mais ce n'est pas possible, a pensé Teru en ébouriffant ses cheveux d'un geste nerveux, Maman ne peut pas être là, pas chez Yuki, je nage forcément en plein rêve.
Mais non, bien sûr que non. Ce qu'il vivait en ce moment-même était la réalité, quoi de plus normal que sa mère vienne lui parler puisqu'après tout, il était chez lui ? Être chez Yuki, voilà une idée saugrenue, a pensé Terukichi, que Diable ferais-je donc chez mon professeur ?
-Terukichi, viens, il est venu te voir tu sais.
-Qui est-ce qui est venu me voir, Maman ?
Et puis soudain, la lumière artificielle a envahi la pièce et Terukichi a senti ses yeux en proie à une brûlure intense et dans un cri rauque, il a supplié à nouveau l'obscurité.
-Pourquoi l'obscurité, Terukichi, serais-tu un lâche ? Tu ne veux même pas voir ce qu'il y a dans la lumière.
-Maman, mais qu'est-ce qui te prend ?
Terukichi gémit, il se recroqueville sur lui-même, c'est un fœtus bientôt adulte qui se protège la tête comme si bientôt le ciel lui tomberait dessus.
-Tu peux entrer, Terukichi est réveillé alors, va le lui dire.
Et lorsque Terukichi a enfin rassemblé tout son courage pour relever les yeux, il a vu sur le seuil ce garçon, un garçon qui avait le regard éteint d'un mort et qui pourtant, marchait vers lui de ce pas impatient.
-Dis, Terukichi, tu vois ce que j'ai fait ? Regarde, Teru, regarde, il fallait que tu le voies sans attendre, c'est pour ça que je suis venu, Teru...
-Ne m'approche pas.
Le garçon en face de lui s'est immobilisé et soudain, ses yeux se sont mis à verser des larmes.
-Pourquoi est-ce que tu me rejettes, Terukichi ?
-Non... s'étrangle-t-il, secouant frénétiquement sa tête comme s'il ne voulait pas le croire. Je ne te connais pas, va t'en, qui est-ce que tu es ?
-Qu'est-ce que tu racontes, Terukichi ? Tu me connais, c'est moi, je suis...
-Mais non, tu mens ! Ce n'est pas toi, regarde... Regarde comment tu es, ce n'est pas toi, mais qu'est-ce que tu as fait, dis-moi, qu'est-ce que tu as fait ? Ce n'est pas toi parce que celui que je connais aurait été incapable de faire une chose pareille, ne m'approche pas !
-Mais je ne l'ai pas fait sans raison, Terukichi, gémissait l'adolescent qui a tendu ses bras vers lui. Tu dois me croire, je suis venu te voir parce que je pensais que toi, tu m'écouterais, que tu me comprendrais, Teru, je te faisais confiance alors pourquoi est-ce que tu me rejettes ?
-Non, ne m'approche pas, c'est dégoûtant, ne m'approche pas...
-Tu ne peux pas me faire ça, Terukichi, tu es le seul qui me reste dès à présent, et toute ma vie entière est entre tes mains, Teru... Si toi aussi tu me rejettes, qu'est-ce que je vais devenir ?
-Mais qu'est-ce que tu as fait, dis ? pleurait Teru qui sentait ses sanglots noyer sa voix à l'intérieur même de sa gorge.
-Terukichi, je t'en supplie, prends-moi dans tes bras.
-Je ne veux pas non, c'est sale, tu es souillé maintenant, je ne veux pas te toucher, ce n'est plus toi que je vois maintenant, tu es plein de...
-Terukichi !
-Non ! s'étrangle-t-il comme il sent la terreur et le dégoût soulever ses entrailles.
Va t'en d'ici à présent, je ne veux plus te voir.
-Tu es en train de fermer les yeux sur la réalité, Teru, mais pourquoi ? Si tu me rejettes maintenant alors, je n'aurai plus d'autre issue, Terukichi, je t'en supplie, ouvre les yeux.
-Arrête, fait-il comme il se recroqueville contre le mur en voyant l'adolescent qui vient l'acculer lentement. Tu n'as pas le droit de me punir de tes propres erreurs, tu es souillé de ton péché, va t'en.
-Il faut que tu ouvres les yeux, Terukichi, ouvre-les...
-Non !
-Terukichi, ouvre les yeux !
-Non !


C'est ce hurlement déchiré et déchirant qui a réveillé Teru en sursaut et le cœur battant, la respiration sifflante, Terukichi a mis un temps avant de s'habituer à la clarté et voir en face de lui le visage de Yuki terni par l'inquiétude.
-Monsieur, articule-t-il dans une fièvre folle, je l'ai vu, il était là, il est revenu me hanter, je...
-Non, Terukichi, il n'y a personne, c'était un cauchemar, murmure Yuki comme sa caresse apaise peu à peu le garçon. Je suis là, tu es chez moi, tu es en sécurité, d'accord ? Mon Dieu Terukichi, ne pleure pas comme ça.
-Mais il avait le crâne couvert de sang, Monsieur, ses cheveux étaient devenus rouges et puis, sa chemise de nuit, elle lui tombait jusqu'aux chevilles, elle lui collait au corps par tout ce sang, Yuki, c'était affreux, il voulait me toucher, il voulait que je prenne ce corps ensanglanté dans mes bras, je... Je suis désolé, Yuki, pardonnez-moi, je ne savais pas que ce n'était qu'un cauchemar.
-Non, Terukichi, tu ne pouvais bien sûr pas savoir. Mais tout va bien maintenant.

Le visage de Yuki n'est qu'à quelques centimètres du sien pourtant, il avait l'impression de rêver encore et que s'il se réveillait, cette apparition viendrait le hanter à nouveau.
-Je vous en supplie, professeur, dites-moi que vous êtes réel.
-Mais qu'est-ce que tu racontes ? rit-il pour détendre l'atmosphère comme il ne cesse de passer ses mains dans ces fils d'argent embroussaillés. Je te semble être un hologramme, peut-être ?
-Non... Mais non, Monsieur, je suis désolé, mais c'était tellement réel...
-Terukichi, je peux te poser une question ?
-Oui, Monsieur, mais ne me quittez pas s'il vous plaît.
-Cette personne, dans ton rêve, était-elle une personne que tu connais personnellement ?
-Bien sûr, Monsieur, c'était...
Silence. Le son qui allait sortir de ses lèvres est resté bloqué dans sa gorge et Yuki a sondé dans les yeux de Teru plongés dans le vague une réponse qui ne viendrait peut-être jamais.
-Terukichi ?
L'adolescent a fait non de la tête mais ce non, est-ce qu'il signifiait un trou de mémoire subit ou bien un refus de le lui dire, Yuki ne pouvait pas le savoir. Leurs regards se sont mêlés pendant des secondes qui parurent une éternité, alourdie par le poids des anges qui imposaient le silence et alors, une lueur vive est passée dans les yeux de Terukichi :
-C'est ce garçon dont je vous avais parlé, Monsieur. Mon meilleur ami aux cheveux argentés, celui qui s'est donné la mort en se jetant d'une fenêtre. Son cadavre est revenu me voir.

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