Nommer le mal

_wendy_

Le pire, ce n'était pas toujours de ressentir ce que je ressentais, mais de ne pas pouvoir mettre de mot dessus. Par exemple, je sais que lorsque j'ai la sensation que le monde autour de moi n'est pas réel, qu'un lieu familier me semble soudain étranger, que je ne suis à ma place nulle part dans le décor, qui lui-même semble virtuel, ça s'appelle de la déréalisation. C'est insupportable, mais au moins je sais ce que c'est, et je sais que c'est dû à l'angoisse. Que ça va passer, ça c'est important, aussi, de savoir que ce genre d'expérience horrible est toujours passagère. Dans les films d'exorcisme, le prêtre demande toujours le nom du démon qui possède la victime, c'est indispensable pour le faire partir. Mettre un mot sur un mal qui s'abat sur moi, c'est déjà « m'exorciser ».

Ce qui était dur aussi, c'était de ne pouvoir parler à personne de ce qui m'arrivait, parce que d'une je ne savais pas comment l'exprimer, et de deux je craignais de faire peur à mes proches. C'est là que voir un psy devient vital, car à lui, on peut lui dire, et en plus, il sait ce que c'est.

Pour ce qui est des phrases que j'entendais en boucle dans ma tête, j'en ai parlé une fois à ma mère, elle a carrément flippé, elle m'a presque engueulée, ce n'était pas de la colère mais une grosse frayeur. Elle craignait sans doute que je sois schizophrène. Un de mes psys m'a affirmé catégoriquement que je ne l'étais pas (et tant mieux, car je me suis renseignée sur cette maladie et les symptômes sont horribles!). Je crois que les médicaments (que des crétins diabolisent parfois) ont bien fait leur boulot, car la seule phrase que j'entends à présent fréquemment c'est « il faut que je m'en sorte » ou « je dois m'en sortir. » et elle est plutôt positive !

L'angoisse, tout le monde sait ce que c'est, vous pouvez en parler, mais quand on vous demande « mais qu'est-ce qui t'angoisse ? » et que vous ne le savez pas, les autres sont agacés ou se sentent impuissants. Vous avez juste peur de la vie, de tout, ça vous broie la poitrine, les entrailles, vous fait bouillir le cerveau, trembler, suffoquer, et vous détestez tous ces gens « qui vont bien », « qui s'en sortent » alors que vous êtes en train de gémir et de vous tordre sur votre lit, sur le sol, sur un fauteuil...

Garder pour soi des expériences horribles (comme la déréalisation), ne rien dire, et que personne ne s'en rende compte: Plus jamais. Je chercherai à exprimer ce qui m'arrive, et à mettre un putain de mot dessus.

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