Nos derniers instants...

Dominique Capo

Brève philosophique

Parfois, lorsque je suis témoin du comportement de certaines personnes envers leurs semblables, je me demande si eux et moi vivons sur la même planète ? Je me demande si nous vivons dans le même pays ? Je me demande si les valeurs auxquelles nous sommes attachées, et qui se déclinent dans les institutions de notre nation sous de multiples formes, ont la même signification pour tout le monde ?


Je me demande aussi si les emblèmes, si les enseignements, si les références, etc. nous sont communes. Si l'éducation, si ce qu'on leur a appris tout le long de leur enfance, de leur adolescence, ou de leur vie d'adulte, a la même importance à leurs yeux qu'aux miens. Je me demande pourquoi la violence et la peur, la haine et le ressentiment, la jalousie et le désir de soumettre l'autre à ses conceptions de ce que doit être l'existence de tout un chacun, sont les seules réponses qu'ils sont capables d'apporter ?


Quand j'y songe, ce comportement me sidère. Je me dis que tout ce que la civilisation nous a permis de bâtir tout au long des millénaires passés n'a servi à rien. Je me dis que toutes les connaissances scientifiques, philosophiques, humaines, médicales, etc. ne sont que peu de choses lorsque l'instinct primitif ressurgit. Et « Dieu ? » - oui, c'est un trait d'ironie – m'est témoin que j'ai maintes fois assisté à des élans régressifs de ce type de la part de beaucoup de gens dont j'ai croisé la route. Des gens qui préfèrent s'adonner à la violence et à la bêtise – parfois intentionnellement – pour régler leurs problèmes. Des gens qui se plaisent à baigner dans la fange de la médiocrité et de la mésintelligence, alors qu'ils ont tous les outils à leur disposition pour s'exprimer autrement. Des gens pour qui la raison, la culture, l'acceptation de la différence comme une richesse et une source d'échange fructueux, est une aberration. Cherchant à montrer ce qu'ils valent en insultant, en molestant ceux et celles qui ne sont pas d'accord avec eux. Soumettant les plus faibles et les plus démunis à ce qui leur paraît être la toute puissance de leurs dogmes, de leurs vérités, de leurs pouvoirs liés à l'argent ou à leur statut social.


Quand j'y réfléchis un peu, je me dis surtout qu'agir ainsi est surtout faire montre de faiblesse, et d'étroitesse d'esprit. C'est mettre en avant leurs peurs de l'inconnu, de celui ou celle qui n'est pas comme eux. C'est laisser tomber leur masque pour révéler leur vrai visage empli d'ignorance, de certitudes, de repli sur soi et du peu que l'on sait de l'extérieur. Bref, à mes yeux, c'est davantage de la lâcheté et du nombrilisme qu'autre chose. Ces aspects de l'être humain qui le salissent, qui sont une insulte au parcours qu'il a suivi depuis qu'il est sortie de la Préhistoire pour entrer dans l'Histoire. Depuis qu'il a érigé ses premières sociétés civilisées pour en arriver là où il est aujourd'hui.


Tout ce chemin parcouru, toutes ces épreuves endurées, tout ce génie développé, toute cette science, tout ce regard sur l'infinité de l'Univers, sur ce que nous sommes comparé à lui, jeté aux orties parce que c'est plus facile de ne pas réfléchir, est une honte. C'est une déchéance programmée de ce que nous sommes capables d'accomplir en tant qu'espèce qui a relevé tant de défis jusqu'à notre époque, pour survivre aux pires maux auxquels nous avons affronté.


De temps en temps, je l'avoue sans détour, je suis triste de voir à quel point cette façon de comporter gangrène systématiquement ce pour quoi nous nous battons depuis des milliers de générations. Ce désir de repousser les limites de l'impossible, les limites de l'inconnu, du savoir, de la science. Je suis de constater cette inhumanité, parce qu'il y en a qui se croient supérieurs aux autres. Parce qu'il y en a qui profitent de la détresse, du désespoir, du manque de repères, de la pauvreté, pour asservir les autres.


Ce gaspillage alimentaire alors qu'il y a des milliers de SDF dans nos rues, des millions de personnes qui vont aux « restau du cœur » pour avoir de quoi manger correctement parce qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter des produits de consommation dans les grandes surfaces. Tout cela me met en colère ; d'autant plus que beaucoup trouvent cela « normal ». C'est devenu « habituel ». Donc, plus personne ne réagit, se contentant de regarder cette immense richesse des uns, et l'extrême déchéance des autres. C'est une honte, j'ai pitié pour ceux et celles qui sont « dans la norme », et qui considèrent ce privilège comme un droit acquis, auquel il ne faut pas toucher, mème si c'est au détriment de la majorité.


Je ne suis pas communiste. En fait, je ne suis d'aucun parti. Car ils appartiennent à ce système de pensée qui se contente d'accepter des concepts de sociétés surannés, morts et enterrés depuis longtemps en ce qui concerne le communisme. Ou qui sont sur le déclin, de plus en plus visible et de plus en plus rapide – socialisme, capitalisme. Ils s'accrochent à des modèles qui étaient viables autrefois, mais qui ont explosé avec les bouleversements sociaux, économiques, scientifiques, philosophiques, etc. que nous subissons désormais.


Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Je dirai que c'est l'évolution naturelle, inexpugnable, de toute civilisation digne de ce nom. Comme n'importe quel organisme, celle-ci naît, grandit, vieillit, puis meurt ; avant d'être remplacée par celle qui est la plus apte à lui succéder. Il en va de mème pour les religions, pour les valeurs « morales », pour les modèles sociaux, économiques, pour la science, etc.


La plupart des gens supposent que c'était mieux avant. Du temps de leur enfance, de leur jeunesse. C'était juste différent, parce que la civilisation d'alors était différente, les modèles qui la composaient aussi. Ils oublient volontiers toutes les incommodités, toutes les difficultés, toutes les maladies, toute cette nourriture qui leur était inaccessible, tout le confort qu'ils n'avaient pas. La plupart des gens se réfèrent à leur quotidien, à ce qui est important, vital, à leurs yeux, en se disant que ce qui est essentiel aux autres l'est moins que ce qui les anime. Ils déversent leur hargne sur ceux qu'ils ne connaissent pas, parce que c'est plus simple de désigner l'étranger comme le fautif, plutôt que de s'avouer qu'ils sont responsables de leur propre échec en tant que participant à cette immense nuée qu'est l'Humanité. Ils supposent que, comme ils sont insignifiants au milieu de leurs semblables, ils n'ont rien à voir avec les désastres qui ensanglantent et annihilent notre monde. Alors, qu'en fait, chacun de nous, qu'il soit riche ou pauvre, bien portant, ou mal portant, influent ou non, puissant ou non, nous sommes les fossoyeurs de ce que nous chérissons le plus : nous-même, notre famille, nos proches, nos amis, etc. ; en poursuivant sur ce chemin qui nous conduit inévitablement au désastre final. Avant l'émergence d'une forme inédite de société qui sera totalement différente de celle qui, aujourd'hui, vit ses derniers instants...

Signaler ce texte