Notre chanson

bartleby

Nous n'avons jamais eu « Notre chanson », peut-être deux ou trois blagues qui nous faisaient rire tous deux. Nous n'avions rien à faire ensemble, mais nous y avons cru, par l'opération du St Esprit. Ou bien par volonté de vouloir se battre tous les jours. Franchir les obstacles ensemble, tenir ensemble, s'élancer ensemble, dénigrant le ravin. Nous ne pouvions que tomber, mais avons décidé de nous foutre de cette chute. Alors nous nous sommes aimés, comme on fait un pied de nez à l'évidence. Nous avons bâti une vie, des murs, en sachant que nous nous les prendrions de plein fouet. Qu'importe ! Nous étions le soutien l'un de l'autre, la phénoménale et incompréhensible tendresse réincarnée.

Nous nous sommes tenus dans nos bras désabusés jusqu'à la fin et j'ai aimé partager le même lit une dernière fois avec toi. Enlacés, dans une chaleur qui au petit matin ne serait plus, mais encore un peu. « Je t'aime », m'as-tu dit à mon réveil ce matin, ce « Je t'aime » que j'avais attendu durant des années et qui surgissait là, maintenant, sachant que tu allais me perdre.

« On reconnait le bonheur au bruit qu'il fait quand il s'en va… ». Homme stupide qui me parle de bonheur, alors qu'il n'a jamais voulu le vivre. Vivre !

J'ai besoin de me souvenir des instants de joies que nous avons pu partager. Il y en a eu. Étant si différents toi et moi, je suis prête à parier que les miens ne sont pas les mêmes que les tiens. Désynchronisés, voilà ce que nous avons été durant toutes ces années. L'harmonie désaccordée.

 

Nous n'avons jamais eu « Notre chanson », peut-être deux ou trois blagues qui nous faisaient rire tous deux. Tu ne savais plus rire, tu pleurais encore moins. Jamais. Je te maudissais pour cela. Tu ne savais pas te reposer, puis tu finissais par tomber, incriminant tes faiblesses. Et quand je ne pouvais plus gérer tes frustrations, tu n'avais qu'à poser tes yeux sur moi. Me dire un mot. Le mot exact et précis, qu'il fallait au bon moment. Alors tout repartait : le temps léger, notre amour si instable.

Tu te trouvais laid, mais tu étais beau, généreux et altruiste, plein d'idées, de concepts farfelus dans la caboche. Tu aimais séduire, pour de faux. Certaines y croyaient, puis me rencontraient par hasard. Je voyais alors leur visage se décomposer. Le mien également, de m'imaginer évincée par une boulangère ou une working-girl, une institutrice ou une mère de famille. Peut-être me tenais-tu aussi ainsi ?

Mais je ne suis pas si bête… Il y a des cachotteries… Je les connais. Pas toutes… Je devrais être outrée, mais aujourd'hui je te comprends tout simplement.

« Je reconnais mes erreurs au bordel qu'elles font quand je m'en vais ». Femme stupide qui parle d'erreurs et n'a jamais pu les assumer. Assumer !

 

Nous n'avons jamais eu « Notre chanson », peut-être deux ou trois blagues qui nous faisaient rire tous deux. Tu aimais Albert Algoud imitant Claude François. Prenant modèle, tu chantais « le chanteur malheureux » (et toutes ces choses… wouw !). Jamais je ne pourrai m'expliquer pourquoi j'en riais tant. Rien qu'à y penser…

Tu aimais, tu aimes ABBA. Quoi qu'il advienne, le monde peut s'arrêter de tourner, ABBA continuera de chanter pour toi. Je ne t'ai vu danser (oh ! Mon Dieu !) qu'une seule fois. « Waterloo ». Faut-il que j'en pleure aujourd'hui ? Je fuyais plus ou moins vite du salon quand j'entendais les premières mesures, pour la centième fois de la journée !

 

Ce matin, alors que nous buvions un dernier café ensemble, c'est ce à quoi j'ai pensé en premier. La musique, « Notre Chanson » inexistante. Puis, sous la douche, j'ai explosé de chagrin. Silencieusement, l'eau couvrant mes larmes, j'ai entendu ce morceau. Obsédant et de ton style.


Il ne quitte plus mon esprit, désormais. C'est trop tard. La voici « Notre Chanson ». De rupture.

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