On est comme on naît.

Les bateaux s'en vont. Dit comme ça c'est un peu con. Les proches ne savent pas s'ils reviendront.

Passer des mois en mer sans revoir la famille et s'user les paumes aux cordages, le soir, on se supporte à peu près, de toute façon, on est bien trop crevé pour les disputes. Et puis surtout, on a pas le choix.

Les marins, comme les paysans, se disent qu'ils ont choisi cette vie de labeur. Mais parfois, comme pour les militaires, le doute s'installe.

Que n'ai-je choisi de tordre les trombones de 8 à 17h ?

La marée est trop belle, comme les champs ou le désert. Ceux-là ne regardent pas l'horloge !

La pèche ou la récolte sera bonne. « Les gars, ils sont là, on y va » !

On pourrait bien sûr continuer la liste à l'infini. Vivre de sa passion ne rapporte rien et rapporte beaucoup.

D'ailleurs qui a vraiment choisi son destin ? Un fils de pécheur ne fera pas l'ENA , sauf exception qui confirme la règle.

Beaucoup, comme moi, se moque du déterminisme. Un truc absurde et abscons. Et pourtant …

On pourrait en sortir des statistiques, même si l'idée de base est complètement irrationnelle.

L'hiver, les marins se reposent. Comme les paysans, ils racontent des bobards, mais ça fascine tout le monde.

Pour les militaires, c'est plus compliqué, ils se réfugient dans le cocon familial, de mission en mission, sans savoir combien de temps ça va durer.

Les vagues vont et viennent, quelque soit la météo.

L'automne suivra l'été, quoi qu'il advienne.

Les visages pâles rejoignent leurs bureaux pour une journée de plus. On coche les années qui restent, comme les prisonniers.

Celui-là est heureux, il vend ses toiles en bord de mer. Il est pas milliardaire, mais ça suffit pour vivre.

Ce potier a trouvé sa planque, et sa muse, quelque part en montagne. Il exulte et cultive son jardin, en cas de coup dur.

Cet écrivain a enfin décroché un contrat, l'éditeur a confiance, il peut voir venir.

Ces femmes africaines ont fondé leur petite entreprise. Les hommes oisifs ont râlé mais ont laissé faire, ils n'avaient pas trop le choix.

Ce retraité pauvre s'est trouvé un talent rentable, fini la banque alimentaire.

Bon, je pourrais multiplier les exemples à l'infini. Chacun pourrait vivre dignement si la vie le permettait.

Mais ce serait trop simple, évidemment.

Les bateaux sont à quai, ce soir c'est Noël.

Les militaires fêtent l'événement au campement, en présence du ministre.

On a sorti la gnôle et les chansons paillardes dans les campagnes, « et qui qu'ça gène ? » .