Onirique réalité

tyaamax

Que faire lorsqu'on se réveille un matin, blessée, dans une chambre retournée? Appeler à l'aide son mari! Mais voilà qu'il a disparu.Sans raisons. Sans traces... Ecrit en live pendant le confinement!


Il était 20 heures. Comme chaque soir, il inséra les clés dans la serrure. Quelques secondes après, il tourna la poignée et ouvrit la porte. Comme chaque soir, il posa son sac à dos dans le vestibule après avoir enlevé son manteau. Puis il se dirigea en grognant dans la cuisine et après quelques instants, referma le frigo qu'il venait juste d'ouvrir. Il se prépara finalement un sandwich jambon-fromage lui-même.

Comme chaque soir, il s'installa sans un mot dans le canapé, juste à côté de moi, puis mangea en silence. Il n'y avait pas un seul bruit dans la pièce. J'avais très envie de lui parler, de l'interroger sur sa journée tout en racontant la mienne, mais je savais que ce n'était pas le moment. Paul n'aimait pas parler le soir. Il chérissait ces moments de calme, après avoir passé la journée entre les bruyantes machines. Il lui arrivait parfois d'entendre la nuit les CLANG! CLANG! si caractéristiques de l'usine de conserves dans laquelle il travaillait. C'est pourquoi je ne voulais pas gâcher son retour au calme. C'était son petit plaisir quotidien.

 

Sur le coup des 20h30, je me levai et me dirigeai en silence en direction de notre chambre.

-       Je te rejoins dans 5 minutes Lucie, me lança-t-il.

Je ne pris la peine de répondre et commença à retirer mon t-shirt tout en pénétrant dans la chambre. Je finis de me déshabiller et me dépêchai de me glisser sous la couette. J'attendis une dizaine de minutes puis Paul ouvrit la porte, et après s'être mis en pyjama se glissa sous la couette.

Il commença à me caresser le bras mais ce soir, comme souvent, j'étais très fatiguée. Après l'avoir repoussé, je m'endormis très rapidement. Le bruit du lave-linge diminua petit à petit, mes pensées devinrent vagues, puis je tombai définitivement dans un sommeil. Un sommeil profond.


 

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Une odeur étrange. Inconnue. Des vélos qui pédalent dans le vide puis s'envolent.  Éclair blanc. Changement de décor. Un homme qui se lève, apeuré. Il est beau. De taille moyenne, cheveux bruns très courts, un visage d'ange, une légère cicatrice derrière l'oreille…. C'est… C'est Paul ! Je l'appelle. Il ne se retourne pas. Nouvel éclair blanc. Trois ombres. Elles se déplacent furtivement entre des immeubles. Ils sont bien petits pour des immeubles. À l'un des étages, une fenêtre s'ouvre et une nuisette noire en sort. Le bâtiment se transforme alors en ma commode. Nouveau flash blanc. Les trois ombres sont toujours là. Elles chuchotent entre elles en me regardant. Comme si elles savaient que j'étais là. J'essaie de me cacher comme je peux. Mais il n'y a rien. Je suis dans une grande salle blanche. Seule. Les trois ombres ont disparu. Je tremble. Il fait froid. Un visage apparaît au plafond. C'est celui de ma mère. Elle me juge du regard. Elle me crie dessus mais je ne comprends pas ce qu'elle me dit. Arrête maman. Arrête. Pars de ma vie. De toute façon tu n'as jamais voulu en faire partie. Elle arrête. Je me retrouve de nouveau seule dans cette grande salle blanche, couchée sur le sol. Il fait froid. Je me recroqueville mais ça ne change rien. J'entends des voix. Au début faibles et lointaines, elles se rapprochent petit à petit. Elle est faible ! Regarde ses ongles elle se les est rongés jusqu'au sang. C'est une folle.

Les voix continuent de parler mais je ne les comprends plus. J'ai froid. Flash blanc. J'ai froid. J'ai froid.

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J'ouvris les yeux lentement. J'avais encore eu une crise cette nuit. Je le savais car je me sentais encore fatiguée. Mes jambes étaient lourdes, ma tête me faisait mal et tournait. Je passai une main dans mes cheveux et sentis une bosse, au niveau de mon front. De toute évidence, je m'étais encore cognée. Paul allait me faire des reproches. Je tendis le bras pour allumer mon radio-réveil mais ma main toucha le parquet froid. Oh non, j'étais encore sortie du lit ! Mais pourquoi Paul ne m'avait-il pas recouchée ? J'étais à la fois honteuse et en colère. En colère contre moi-même et mes crises de somnambulisme. Alors que ma vision s'adaptait difficilement à la luminosité ambiante, je remarquai que quelque chose clochait. J'avais la manche d'un pull sur la joue. Pendant que je le retirai, un autre fait attira mon attention. Il faisait froid. Très froid. Je tournai la tête. La fenêtre était ouverte. On pouvait entendre le bruit de la mer au loin. Le clapotis des vagues, doux et rassurant. Le bruit des mouettes qui virevoltent au-dessus des mâts des bateaux. Puis le bruit d'une voiture qui passait en bas de ma fenêtre. Je l'entendis s'arrêter au Stop. Puis après quelques secondes elle repartit en direction des terres. Je voulus me lever pour aller fermer la fenêtre, mais mes jambes étaient engourdies et je ne réussis pas à me mettre debout de suite. Je pris appui sur le rebord du lit et lançai un regard noir à Paul.

-       Tu aurais pu la fermer, espèce d…. 

Je ne pus finir ma phrase. À la place de Paul il y avait… rien. Du vide. Le lit était totalement vide. Je fis un tour sur moi-même. La chambre était entièrement retournée. Ma commode ouverte et mes vêtements éparpillés par terre. Les caleçons de Paul pendaient par le tiroir. Notre penderie était grande ouverte telle une grande gueule béante et mes bracelets gisaient à même le sol. La table de chevet de Paul était renversée. Le lit était totalement défait.

 

Prise de panique je me dirigeai en courant en dehors de la chambre. Je fis une à une les pièces de l'appartement mais elles étaient toutes vides. Dans le salon, son manteau et son sac à dos étaient toujours là, posés au même endroit qu'hier soir. Petit à petit, un profond sentiment de panique grimpa en moi. Ma gorge se serra, tout comme mes tripes. Où était donc passé Paul ? Je ne pus répondre à cette question. La contraction de mon estomac fut si forte que je dû courir en hâte aux toilettes. J'eus à peine le temps d'ouvrir la lunette qu'un flot important de bile sortit de ma bouche. Puis un deuxième. Et un troisième. Je tremblais comme une feuille. Je voulus prendre ma tête entre mes mains et lorsque mes doigts touchèrent mes tempes, je sentis une substance poisseuse. Effarée, je constatai que c'était du sang. M'étais-je ouverte durant ma crise? Une deuxième palpation m'informa que non. Je n'avais aucune blessure. Mais alors, à qui était ce sang ? Non… Non ! 

-       Paul… Paul… Paul ! Où es-tu ? hurlai-je.

Aucune réponse. Juste du silence. Encore du silence. Encore et toujours du silence.

Réfléchis Lucie, réfléchis ! Quel jour est-on ? Paul est peut-être parti travailler. Dimanche. On est dimanche aujourd'hui. Paul ne travaille pas le dimanche. Personne ne travaille le dimanche. Où est-il alors ? Il est peut-être parti chercher des croissants pour me faire plaisir, comme il le fait de temps en temps. Son sac est toujours là. Peut-être qu'il a juste pris son portefeuille ?


Je me levai rapidement et courut dans le vestibule. J'ouvris avec difficulté son sac tant mes doigts tremblaient. Son portefeuille était toujours là. Tout comme son portable. À côté de moi ses chaussures et son manteau. Paul n'était pas parti.

Mais Paul n'était plus là. Et j'avais du sang sur les mains. À première vue, pas le mien. Je ne savais pas quoi faire. J'étais désemparée. Je restai debout dans l'entrée, sans bouger, pendant plusieurs minutes. Paul parti, c'était toute ma vie qui s'enfuyait. Il fallait le retrouver. La police. Il faut que j'appelle la police. Eux sauront quoi faire pour le retrouver.

 

Je courus décrocher le combiné pour composer le 17. Tuuuuut. Tuuuuut. Tuuuuut.

-       Police Nationale, que puis-je faire pour vous ? demanda une voix féminine.

-       Mon mari… commençai-je, mais ma voix se coupa avant que je ne puisse terminer.

-       Que lui est-il arrivé ?

Je voulais répondre mais ma bouche se ferma pour étouffer un sanglot.

-       Madame, qu'est-il arrivé à votre mari ?

-       Il… il a disparu… Vous devez m'aider.

-       Depuis combien de temps a-t-il disparu ?

-       Depuis… depuis cette nuit.

-       Je suis désolée mais c'est un adulte et nous ne pouvons légalement enclencher des recherches avant 72h. Votre mari est un adulte, il est peut-être tout simplement parti sans vous prévenir.

Abasourdie, je ne savais quoi répondre. Ils devaient m'aider. C'était à eux de m'aider. Je ne pouvais rien faire seule.

-       Madame, vous êtes toujours-là ?

-       Oui… oui... je…

-       Je suis sincèrement désolée mais si…

-       Notre appartement est totalement retourné, ce n'est pas normal, réussis-je difficilement à articuler.

-       Cela change pas mal de choses alors. Avez-vous remarqué d'autres choses anormales.

-       Oui. Oui notre fenêtre de… Non laissez tomber.

-       Si, allez-y continuez !

-       Non ce ... ce n'est pas important. Venez vite s'il vous plaît il faut m'aider.

Après avoir pris notre adresse, la standardiste raccrocha. Ils arrivent bientôt qu'elle m'a dit. Il faut rester calme tout va bien se passer.

 

Savoir que j'allais être aidée m'enleva un poids dans la poitrine. Je m'écroulai par terre et me mit à pleurer à chaudes larmes. Paul était tout pour moi. Sans lui, je ressentais comme un immense vide. C'était comme si une partie de moi s'était détachée. Un grand déchirement en plein milieu de mon cœur. Oui parfois on se disputait avec Paul, comme tout le monde… mais je l'aimais, je l'aimais profondément et le savoir disparu me causait un mal immense. C'était souvent moi qui m'énervais contre lui, mais on s'aimait et rien ne nous avait jamais séparés. Jusqu'à aujourd'hui. J'ai besoin de toi. Tu le sais. Ne pars pas comme ça. Tu n'as pas le droit.

DRIIIIIING

-       C'est la police Madame LESSART, nous sommes arrivés, ouvrez-nous.

Je me levai pour leur ouvrir. Ils étaient deux, un homme et une femme, âgés d'une trentaine d'années.

-       Sergent Br… madame vous avez du sang sur les mains et le visage ! commença l'homme. Que vous est-il arrivé ?

-       Je… je ne sais pas. Vous devez m'aider. Mon mari… il a disparu.

-       Très bien, vous allez tout nous raconter et nous allons inspecter les lieux. Ne vous inquiétez pas, me dit la femme d'une voix chaleureuse.

 

-       Je les fis entrer puis les conduisis dans notre chambre. Rien n'avait bougé depuis que j'étais partie. Je m'assis sur le lit et leur racontai ce qui c'était passé. Enfin, je le fis du mieux que je pus. Que pouvais-je leur dire ? Rien. Paul était là hier soir, et ce matin il avait disparu. Entre les deux un vide, un grand vide blanc. Comme souvent lorsque je faisais une crise de somnambulisme.

 

Les deux policiers me posèrent un tas de questions mais mes réponses étaient floues, du moins du peu que je me souvienne.

-       Vous n'avez rien entendue ?

 Non, je souffre de somnambulisme, mes nuits sont souvent très agitées. 

-       Il y a eu des traces de luttes, ça s'entend ça, somnambule ou pas.

 Je suis sous antidépresseurs, je suis comme dans un autre monde la nuit, je ne réagis même pas quand Paul me calme ou me remet au lit.

-       Il y a du sang par terre, près du lit. Il appartient à qui ? Et celui sur vos mains et votre visage ? C'est le vôtre ?

Je... je ne sais pas. Je n'en sais rien. Je me suis réveillée au milieu de tout ça. Mais je vous l'ai déjà dit.

-       Votre mari a-t-il des ennemis ?

Je ne… je ne sais pas. Non je ne pense pas, nous étions sans problèmes.

-       Que faisiez-vous hier soir madame ?

Je... je dormais quelle question. Je dormais avec mon mari… enfin jusqu'à ce que…

-       Ces médicaments que vous prenez, c'est contre quoi ?

C'est… c'est pour me calmer... quand... je ne suis pas calme.

-       Vous n'étiez pas calme hier soir ?

Si je l'étais… je... je les prends aussi pour... éviter de ne pas être calme.

 

Et ils continuèrent ainsi pendant de longues minutes à questionner ma vie, la vie de Paul, nos relations. Tendues parfois comme dans chaque couple, mais nous nous aimions. Je me souviens qu'à ce moment-là le policier a regardé sa collègue d'un air entendu et est sorti pour téléphoner. A son retour, ils m'ont demandé de ne pas bouger car ils auraient sûrement encore besoin de moi. Je n'allais pas bouger mon mari avait disparu ! J'ai attendu une heure de plus. Les deux policiers ont inspecté tout notre appartement et ont pris des notes en se baladant de pièces en pièces. La femme s'approcha de la fenêtre.

-       C'est vous qui l'avez ouverte ? me demanda-t-elle

-       Non elle était comme ça quand je me suis réveillée.

-       Vous ne nous l'avez pas dit.

-       J'ai... j'ai dû oublier.

Elle me regarda d'un air étrange puis griffonna quelques mots supplémentaires sur son carnet. J'entendis un bruit dans l'entrée.

-       Ah ! Ce doit être la scientifique ! déclara la policière.

-       La scientifique ? demandai-je

-       Oui, pour analyser les lieux. Si votre mari a été enlevé, les responsables ont peut-être laissés des traces, expliqua-t-elle.

Oui ! Elle avait raison ! Ils pourront ainsi retrouver plus facilement Paul ! J'avais bien fait d'appeler les policiers.

-       Et puis vous avez du sang sur le visage et les mains, ajouta-elle d'un air accusateur.

Je pris cette dernière phrase comme une attaque personnelle. Que cela signifiait-il ? Je regardai mes mains d'un air abattu. Elles étaient toutes rouges et je sentais que le sang avait séché sur mes tempes. À cet instant, deux hommes en combinaisons blanches entrèrent dans la chambre. 

-       Madame, je me présente Sergent LIMO de la scientifique. Je vais devoir faire quelques prélèvements.

-       Mais... je n'ai rien fait… je...

-       Je n'en doute pas Madame, mais votre mari a disparu cette nuit et vous avez du sang inconnu sur vous. Je suis obligé de faire ce prélèvement. Cela pourrait être le sang de ses ravisseurs, vous comprenez ? À ce stade nous devons récolter le maximum d'éléments pour avoir une chance de retrouver votre mari.

-       Je… d'accord… je comprends. Faites.

Les prélèvements furent assez rapides. Après cela, les hommes de la scientifique firent plusieurs prélèvements dans la chambre, prirent des photographies puis firent de même dans les autres pièces de l'appartement. Aucune ne fut épargnée. Dans la salle de bain, ils me demandèrent quelle brosse à dents était à qui puis continuèrent leur travail. Après une bonne heure passée à retourner et analyser notre appartement, ils partirent. Je me trouvais de nouveau seule dans ma chambre avec la policière, qui n'avait pas bougé d'un iota pendant tout ce temps. Son collègue nous rejoignit rapidement.

-       Pour l'instant nous avons fait le maximum Madame, m'expliqua-t-il. On va enquêter de notre côté en attendant les résultats de la scientifique. Mais il faut bien que vous compreniez que votre mari est un adulte et que pour l'instant on ne peut pas faire grand-chose d'autres. Il faut attendre 72h et des éléments plus probants pour pouvoir réellement continuer.

-       Des... des éléments plus probants ?

-       Oui, c'est certes étrange mais vous êtes des adultes. Vous savez j'ai déjà vu beaucoup de disputes où la scène était plus critique que celle-là. Et au final le ou la conjointe était juste partie et est revenu peu de temps après.

-       Mais... mais... Nous ne nous sommes pas disputés.

-       Il peut y avoir d'autres raisons. Nous avons pris tous les éléments que l'on pouvait Madame. Maintenant il faut attendre et être patiente. Nous vous recontacterons si besoin. Essayez de penser à autre chose en attendant. Mais ne quittez pas la ville. Nous pourrions avoir besoin de vous rapidement.

 

Et sur ces mots, les deux policiers quittèrent notre appartement. J'étais de nouveau seule. Seule car Paul m'avait abandonnée. Tu n'as pas le droit de partir comme ça. Tu es où ? Hein ? Tu le sais que j'ai besoin de toi alors pourquoi tu me fais ça ? J'étais à la fois profondément triste et en colère. En colère parce qu'il m'avait abandonnée. Mais aussi en colère contre moi-même car je ne me rappelais de rien. Rien. Mon mari avait disparu alors que j'étais à côté de lui et je n'ai rien senti, rien entendu. J'avais beau essayer de me rappeler mais c'était le vide complet. Était-ce à cause de mes médicaments ? Était-ce à cause de mes crises ? À cause de moi-même ? Aurais-je pu dans une crise plus violente que d'habitude m'en prendre à lui? Je ne pouvais pas affirmer que non. Ces derniers temps, mes nuits étaient de plus en plus perturbées et perturbantes. J'étais si fatiguée que je faisais des crises presque tous les soirs. Chacune d'entre elles était un plongeon dans des abîmes de plus en plus incertaines. Mes rêves, si l'on pouvait les nommer ainsi, n'avaient aucun sens. Et pendant ce temps-là, je me levais dans l'appartement, jetait des vêtements, puis des livres sur mon pauvre Paul qui essayait tant bien que mal de me recoucher calmement. Alors aurais-je pu m'en prendre à lui physiquement ? Plus j'y pensais et plus j'en doutais sérieusement. Mais quand bien même je l'aurais agressé malgré moi, cela n'expliquait pas sa disparition. Si je l'avais frappé violemment, il aurait été là au réveil. Alors pourquoi avait-il disparu ? Tant de questions auxquelles je n'avais pas de réponses. Désemparée et ne sachant quoi faire, je m'avachis dans le canapé et allumai la télévision.

 

Je restai ainsi pendant deux heures, trois heures, ou peut-être plus ? Je ne savais pas. Je ne savais plus. Je n'avais pas la force de compter. Je regardais sans voir un écran depuis bien trop longtemps.

 

Je me levai et me dirigeai tristement dans notre chambre. Le réveil annonçait 22 heures. Je n'avais pas mangé mais je n'en ressentais pas le besoin. En moi ce n'était que… du vide. Un gouffre immense qui menaçait de m'absorber à tout moment. Je n'avais même pas pris la peine de ranger la pièce ni de me doucher, mais cela ne m'importait guère.

Lorsque je me couchai, le parfum de Paul enivra mes narines. Je saisis son oreiller comme un enfant accroche son doudou favori et fondis en larmes. Je restai ainsi de longues minutes, la tête et le cœur vides. Puis enfin, comme une délivrance, je sombrai enfin dans le sommeil.




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Un homme seul, au milieu d'une rue. Il est immobile. Au bout de quelques secondes il se retourne. C'est… c'est Paul ! Je crie pour l'appeler mais aucun son ne sort de ma gorge. Je fais de grands gestes pour attirer son attention mais il ne semble pas me remarquer. Alors j'essaye de me rapprocher de lui, mais plus je marche plus je m'éloigne. Il est désormais à une vingtaine de mètres de moi. Flash blanc. Je tombe. Je tombe de très haut. Mon corps s'arrête à quelques centimètres du sol. Nouveau flash blanc. Je suis dans une pièce carrée, blanche. Trois ombres tournent autour de moi, comme des vautours. Je... je les reconnais ! Ce sont les mêmes qu'hier ! Elles parlent encore en me regardant, en me fixant de leurs yeux jaunes. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'elles disent. Éclair blanc. Je suis toujours dans la même pièce, mais les ombres ont disparu. Je suis assise sur une chaise en plein milieu de cette pièce. Il... il pleut. Je suis trempée. Je lève la tête et suis les gouttes d'eau du regard. Elles proviennent d'un grand nuage noir. Celui-ci prend le visage de ma mère. Tu l'as bien méritée, il valait mieux que toi. Maintenant qu'il est parti, tu es seule, comme tu l'as toujours été.

Je crie pour essayer de couvrir sa voix. Elle ricane.

Personne n'a jamais voulu de toi, espèce de folle. Rappelle-toi. Enfant tout le monde t'évitait.

À l'évocation de ces souvenirs douloureux, je me mets à pleurer. Pour toute réponse, le nuage prend un sourire moqueur et me lâche un flot d'eau sur le visage.

Flash blanc. Je suis seule. Flash blanc. Je suis toujours mouillée et j'ai froid. Flash blanc.



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Mes yeux s'ouvrirent lentement. Ils eurent dû mal à s'adapter à la lumière ambiante. Lorsque j'essayai de me lever, je constatai que j'avais encore fini ma nuit par terre, parmi nos vêtements éparpillés. Je me concentrai pour faire le point. Hier mon mari avait disparu. Où ? Comment ? Pourquoi ? Je ne savais pas. Les policiers étaient venus et avaient fait des prélèvements après m'avoir posé des questions. Puis ils m'avaient dit de me détendre en attendant que l'enquête avance. J'avais beau essayer mais je n'y arrivais pas. Il y avait toujours cette sensation de vide et de chagrin immense en moi. Pour essayer de me contenir, j'enfouis ma tête entre mes mains. Trempé. Mon visage était trempé ! Paniquée je me relevai en hâte. La fenêtre! Elle était encore ouverte ! Il avait dû pleuvoir cette nuit car le parquet était tout taché en dessous. Mon t-shirt blanc posé à côté était gorgé d'eau. Je fis quelques pas pour aller la fermer mais mon pied glissa sur une latte. Je me retrouvai étalée sous ma fenêtre, dans une flaque d'eau. Je me mis à pleurer à chaudes larmes. Des larmes de sang ! J'avais oublié que je n'avais pas pris de douche hier. Oh mon Dieu dans quel état étais-je ? Affalée sous une fenêtre avec du sang qui coulait sur mon visage. J'étais bien bas. Si seulement Paul me voyait, que penserait-il de moi ? Sale, profondément déprimée et bien seule. Finalement je n'étais pas tombée bien bas. J'étais simplement retournée là où j'étais il y a quelques années, avant que je ne rencontre Paul. Avant qu'il ne m'extirpe de mon triste monde et m'aide à affronter mes démons.

 

Après avoir fermé la fenêtre, je me traînai sans conviction jusqu'à la salle de bain. Je me déshabillai, me glissai dans la cabine et fis couler de l'eau chaude. Ça faisait du bien. Le jet me frappait doucement le visage. Je baissai les yeux et vis de l'eau rouge s'échapper par le siphon. Je la contemplais comme fascinée. Avec la chaleur, mes muscles et mon corps se détendaient pour la première fois depuis hier. Après m'être lavée, je restai sans bouger sous le jet, profitant de cet instant de détente. Mon corps semblait comme endormi. Mon esprit, lui, divaguait. Il pensait au week-end prochain, où nous devions aller voir pour la première fois une pièce de théâtre, il pensait aux différents moments de bonheur que nous avions passés, Paul et moi. Lui aussi se détendait. Sous l'eau chaude, mon esprit s'éclaircit petit à petit. Je… Je ne pouvais pas rester ainsi ! Je ne pouvais pas passer mes journées à pleurer dans le canapé. Il fallait que je bouge, que je continue de vivre. C'est ce que Paul voudrait ! Et puis, la police allait bientôt le retrouver. J'en était sûre ! Et… Mon travail ! Cela m'était totalement sorti de la tête. Nous étions lundi ! Je ne savais pas quelle heure il était mais c'était sûr que je devrais déjà y être. Il fallait que je les appelle pour leur expliquer. Déterminée, je coupai l'eau et sortis de la douche. J'entourai mes cheveux d'une serviette et enfilai mon peignoir. Je me dirigeai dans le salon, décrochai le téléphone fixe et composai le numéro de mon travail.

Tuuuuuut. Tuuuuuuut. Tuuuuuuuuut.

-       Ici Michel j'écoute, répondit une voix grave.

-       Oui bonjour c'est Lucie.

-       Oh Lucie ! me répondit Michel. Tout va bien ? Tu n'es pas venue travailler aujourd'hui. Sylvie t'a appelée plusieurs fois mais tu n'as pas répondu.

-       Oui… enfin non. Paul a disparu depuis hier.

-       Comment ça il a disparu ?

-       Je… c'est compliqué. Mais il n'est plus là et personne ne sait où il est. La police est venue hier.

-       Je… Je suis désolé pour toi. N'hésite pas si tu as besoin, ce sera avec plaisir que l'on t'aidera. Ou même si tu as besoin de parler.

-       C'est… c'est gentil merci.

-       Prends ta semaine Lucie. Ne viens pas travailler on fera sans toi ne t'inquiètes pas. Ne viens pas t'embêter ici, tu as besoin de calme je pense.

-       Me... Merci !

 

Après l'échange de quelques banalités, je raccrochai. Une chose de faite. Maintenant la chambre. Je ne pouvais pas la laisser dans cet état. Lorsque j'y entrai je me rendis compte à quel point elle était en bazar. Presque tous les tiroirs étaient ouverts, tout comme notre penderie. La majorité de nos vêtements étaient étalés à même le sol. La table de chevet de Paul était toujours renversée et les tiroirs béants. Étonnamment la mienne était toujours intacte. Mon téléphone portable toujours posé dessus, au même endroit que je l'avais laissé. Je l'avais totalement oublié lui. Peut-être qu'il y a du nouveau et que la police a cherché à me joindre ! Les… les amis de Paul ! Je ne les ai même pas appelés ! Peut-être que Paul est tout simplement chez eux ? Excitée je le saisis et l'allumai. Aucun nouveau message. Aucun appel en absence. Pas de nouveau du côté de la police donc. Mais il ne fallait pas désespérer! Ses amis pourront sûrement m'aider. Je les appelai un par un. Douche froide. Aucun n'avait eu des nouvelles de lui depuis samedi soir. C'est même moi qui leur appris sa disparition. Ça ne semblait pas les inquiéter. Et ça se prétendait ami ? Un sentiment de rage et de déception monta en moi. Si Paul n'était pas chez eux, ou pouvait-il bien être ? Remarque ce n'était pas si mal s'il n'était pas avec eux. Ils ne valaient pas grand-chose s'ils ne s'inquiétaient pas de sa disparition. Et puis, je ne les avais jamais aimés. Eux non plus. Je les considérais trop machos et vulgaires. Ils avaient une mauvaise influence sur mon Paul. Eux me trouvait cinglée et trop possessive. Et même trop impulsive. Moi ? Trop possessive ? Je m'inquiétais juste de l'influence qu'avaient ces pignoufs sur mon mari. Et je n'étais pas aliénée : Paul n'est bien plus là ! L'...L'usine ! Peut-être que son patron ou ses collègues avaient eu des nouvelles! Je composai le numéro de la conserverie. Tuuuuuut. Tuuuuuut. Tuuuuuuuut. “Bonjour Madame. Non Madame nous n'avons pas eu de nouvelles de lui. Comment ça il a disparu ? Ah cela explique pourquoi il n'est pas venu ce matin. D'accord bonne journée au revoir.” Bande de cons ! Vous n'en aviez rien à foutre ! Tout ce qui vous importait c'était le nombre de boîtes que vous produisiez par jour. J'allais vous les enfoncer là où je pense et on verra si vous seriez toujours autant détendus ! Je reposai en tremblant mon téléphone sur ma table de chevet. Paul n'était toujours pas là et personne ne semblait décider à le retrouver. Tous à rester dans leur bien être quotidien, tout le monde s'en foutait que mon mari ait disparu !

 

Je mis une dizaine de minutes à me calmer tant j'étais en rage. Il... il ne fallait pas s'éparpiller. Ce qui comptait c'était de le retrouver. Et de ranger cette chambre. Je ramassai mon t-shirt encore mouillé près de la fenêtre. Tous les vêtements aux alentours étaient trempés à des degrés plus ou moins importants. Je les entassai dans un coin pour les étendre plus tard, puis je finis de ranger la pièce. La chambre était dans un piteux état, mais c'était surtout les vêtements qui donnaient cette impression. Une fois ces derniers rangés et une fois les tiroirs fermés, il ne restait plus que le lit à faire et la table de nuit à relever. Quelques minutes après, je sortais de la chambre avec mes vêtements mouillés dans les bras. Je les étendis dans le salon puis m'habillai. Il fallait que je sorte prendre l'air et vite. Il régnait une atmosphère anxiogène dans notre appartement et je voulais m'en échapper. Je n'arriverai pas à aller mieux ici, seul un air nouveau pouvait m'aider. Je pris mon sac à main, enfilai mon manteau et sorti.

 

La première bouffée d'air frais fut comme salvatrice. C'était comme si je prenais un nouveau départ. Fini la Lucie d'hier qui avait dormi dans son sang, place à la Lucie pleine d'espoir qui allait de l'avant ! Je marchai ainsi sans réel but pendant une petite heure. Je tournais en boucle puisque j'étais passé plusieurs fois devant le même banc occupé par les mêmes anciens. J'eus le droit à chaque passage à leurs regards suspicieux, comme s'ils cherchaient le mal sur mon visage. Finalement, j'entrai dans une épicerie. J'achetai quelques légumes et du tofu pour ce midi. Je ressorti et continuai ma balade sans but. Je me perdis ainsi dans les quartiers, puis me retrouvai face à la mer. J'enlevai mes chaussures pour marcher dans le sable. C'était doux. Une douceur qui me manquait. L'air marin emplit mes poumons. J'avais bien fait de sortir. Cette balade m'avait fait du bien. Paul n'était toujours pas là mais je me sentais un peu mieux, un peu moins stressée. Je m'asseyais sur un rocher et contemplai les vagues se briser les unes après les autres. Le bruit que cela produisait était relaxant. J'avais toujours aimé la mer et ce, depuis toute petite. La mer, elle ne me jugeait pas. La mer, elle, ne me traitait pas de déséquilibrée. La mer, elle ne m'enfouissait pas sous une trombe de reproches. Elle m'acceptait comme j'étais. J'étais loin d'être parfaite mais j'étais comme ça. Je n'étais pas une sainte mais je n'étais pas méchante pour autant. Je n'avais jamais blessé quelqu'un, que ce soit consciente ou dans mes crises. Cela faisait plusieurs années que l'on vivait ensemble avec Paul et je ne m'en étais jamais prise à lui. Je bougeais, je parlais, j'avais des mouvements brusques, je renversais des objets, j'ouvrais des fenêtres mais je ne frappais pas. Alors que j'essayais de me convaincre de mon innocence une petite voix se mit à parler de plus en plus fort au fond de moi. Tu n'as jamais, mais il y a un début à tout Lucie. Tu n'étais jamais sortie de chez toi en crise et pourtant c'est finalement arrivée. Oui. Oui mais Paul m'avait tout de suite recouchée. Et à ce moment-là, j'étais sous un stress intense. Parceque tu es comment en ce moment ? Cela remonte à quand la dernière fois que tu t'es posée sereinement dans le canapé ? Je... je ne savais pas. Il y a longtemps. Entre les clients au travail et Paul qui redoutait d'être licencié, nous vivions une période difficile. Tu sais ce qu'il se passe en période difficile…Je… Je… Je fus interrompue dans mes pensées par l'écume qui vint me caresser les pieds. Cela devait faire longtemps que j'étais assise ici, face au large, à réfléchir sur les récents événements. Il était temps de rentrer maintenant. Je ramassai mon sac de courses et repris le chemin de notre appartement. En route, je ne cessais de me remémorer mes dernières pensées sur la plage. Oui, j'étais… étrange… sous le stress. Et je n'étais pas des plus sereine récemment. Cette... étrangeté... pouvait-elle être la raison des événements ?

 

Une fois rentrée à l'appartement, je rangeai immédiatement mes achats et commençai à cuisiner. Je fis des nouilles pendant que je coupai des courgettes et du tofu. Me concentrer à tailler consciencieusement les légumes en petits dés de même taille me permettait de ne pas avoir à penser aux récents événements. Tchac. Tchac. Mon esprit n'avait pas le temps de divaguer. Une fois les nouilles cuites, je les fis revenir avec les légumes dans une poêle, puis je rajoutai le tofu fumé et de la sauce soja pour assaisonner. Mon déjeuner prêt, je me dirigeai dans le salon pour manger devant la télé. Je ne savais pas vraiment quel programme je regardais mais qu'importe, le bruit de fond était apaisant. C'était comme une douce musique qui me prenait dans ses bras et me cajolait. Les nouilles tofu sauce soja étaient délicieuses, à la fois salées et sucrées, à la fois fondantes et croquantes. J'étais bien.

 

Driiiiiiiiiiiiiing. Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiing. Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing.

 

La sonnerie stridente de notre téléphone m'extirpa de mon petit moment de bonheur. Cela devait être la police ! Avaient-ils déjà retrouvé Paul ? Toute excitée, je décrochai le combiné.

-       Allô ? Alors vous l'avez retrouvé ? demandai-je enjouée

-       Ils ont intérêt sinon je te le ferai payer, me répondis une voix agressive.

Stupéfaite, je mis quelques secondes à trouver à qui elle appartenait.

-       Oh bonjour Sylvie, dis-je d'une voix morne, toujours très aimable à ce que je vois.

-       Mon fils a disparu sale morue et tu veux que je fasse la fête ?

Je ne répondis rien. Que pouvais-je dire en réalité ?

-       J'ai toujours su qu'il ne serait pas bien avec toi et tes problèmes. Toi la possessive qui le bouffait en permanence, toi la dinguo qui hurle la nuit, toi la folle sous médoc qui aurait dû finir en asile psychiatrique, continua-t-elle.

-       Je... je ne vous permets pas ! répondis-je, choquée par tant de violence et de méchanceté. Vous ne savez pas comment c'est entre nous au quotidien. Si votre fils était si malheureux, il ne serait pas resté aussi longtemps avec moi !

-       Oh ça c'est ce que tu crois ! Si seulement tu savais la vérité ma pauvre ! ricana-t-elle. Je ne sais pas ce qui le maintenait avec toi, mais ce n'était sûrement pas l'amour. Peut-être la cuisine ? Il parait que tu prépares très bien les nouilles au tofu ?

Je voulus lui répondre mais aucun son ne sortit de ma bouche. J'étais estomaquée.

-       Au moins son ex elle était gentille et aimable, poursuivi-t-elle, je me demande pourquoi il l'a quittée. Elle avait sa place dans la famille. Elle.

Les larmes commençaient à me monter aux yeux.

-       Si vous m'avez appelé pour me dire de telles horreurs, non seulement c'est petit et cruel, mais c'est inutile. Je vais raccrocher.

-       Non tu ne vas pas raccrocher, tu vas m'écouter. Je n'ai aucune idée de ce qui est arrivé à mon fils et, jusqu'à preuve du contraire, je te tiens pour responsable. Si jamais il ne revient pas, sache que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu finisses ta vie là où tu devrais être : dans un asile attaché par une camisole de force.

-       Vous… vous êtes cruelle et mesquine. Vous vous acharnez contre moi car vous ne supportez pas qu'il aime quelqu'un qui ne vous plaît pas. Vous... vous...

Je ne pus finir ma phrase et éclatai en sanglots avant de raccrocher. Je restai ainsi recroquevillée sur moi-même sans trouver la force de bouger. Il… Il me fallait quelque chose pour ne pas craquer.

Je me levai et allai chercher une bouteille de whisky dans le placard du salon. Je me servis un, puis deux, puis trois verres. L'alcool m'embrumait petit à petit l'esprit mais c'est ce que je recherchais : ne plus pouvoir penser à toute ces horribles choses, à la disparition de Paul et à ces mots horribles qui venaient de m'être adressés. Le bip de ma montre m'extirpa de mon état. C'était l'heure de prendre mes antidépresseurs. Il ne fallait pas que je les rate sinon j'allais passer une très mauvaise nuit. Je les avalai avec un shot de whisky supplémentaire. La bouteille descendait vite, tout comme mon état de conscience. Je sombrai rapidement dans un sommeil profond, à la limite du coma.



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Il y avait des formes de couleurs, elles bougeaient vite, trop vite. Elles formaient des cercles, puis des carrés, puis des triangles. Cela n'avait pas vraiment de sens. Flash blanc. Je me retrouvais dans cette même pièce blanche que la nuit dernière. Je levai la tête mais il n'y avait pas de nuages. Flash blanc. J'étais désormais assise sur une chaise face à un tableau vide. Au bout de quelques secondes, le visage hideux de ma mère apparut dessus. Alors ma fille, on boit ? On cherche peut-être à oublier la culpabilité ? Je tournai la tête pour éviter de la voir, mais le tableau bougeait pour toujours se retrouver face à moi. Laisse-moi ! Laisse-moi hurlai-je. Je fermai les paupières pour éviter son regard mais une force invisible me les rouvrit pour me forcer à la regarder droit dans les yeux. Boire ne servira à rien. Sylvie a raison. Regarde-toi tu fais pitié. Pour une fois dans ta vie, affronte tes problèmes et assume tes actes. J'hurlai de rage en essayant vainement de quitter cette chaise et ce regard méprisant. Flash blanc. J'étais dans le ciel. Je… Je volais ! Que c'était bon de sentir l'air frais frapper mon visage. Plus j'avançais, plus je reconnaissais ce quartier. C'est… C'était le mien ! Oui ! Notre immeuble était juste là ! Je me déplaçai et passai à travers les murs. Nos voisins dormaient paisiblement. Je descendis encore d'un étage. C'était chez nous ! Je ne me trouva pas dans notre chambre. Paul non plus. Je parcourus les pièces et atterrit dans le salon. Et... et je me vis ! J'étais affalée sur la table basse. Ça puait l'alcool par ici. La bouteille de whisky s'était renversée à mes pieds. L'une de mes chaussettes semblaient en être imbibées. Mon verre lui aussi était renversé. Un long filet en sortait et allait jusqu'à ma bouche grande ouverte. Au coin de mes lèvres, on pouvait distinguer un peu de relan. Cela me faisait de la peine de l'admettre mais… je faisais pitié. Alors que je me regardais avec dépit, un bruit attira mon attention. C'était celui d'une clé dans notre serrure ! Je tournai la tête et vis avec effroi la poignée basculer. Un homme, seul, entra dans notre appartement. Il referma la porte se dirigea droit vers la moi soule. Il sortit alors un couteau de sa poche et commença à appuyer doucement la lame sur ma gorge. Je criai de tout mon corps pour m'alerter, mais la Lucie bourrée ne réagissait pas. Je ne pus que constater avec effroi l'homme me trancher méticuleusement la gorge. Flash blanc.




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Je me réveillai en sursaut. J'étais toujours dans le salon, la bouche grande ouverte, une tache de vomi sur les lèvres. Je levai la tête et vis le verre, renversé à côté de moi. Une sensation étrange sur mon pied droit attira mon attention. Il était trempé. Je le sentais : c'était du whisky. À côté de lui, la bouteille de la veille, son contenu répandu entre le sol et mon pied. C'est… C'est alors que je me souvins ! L'homme ! L'homme qui était entré et m'avait coupé la gorge. Je passai à la hâte ma main autour de mon cou. Rien, aucun signe d'égratignures. Je me dirigeai précipitamment dans la salle de bain pour m'inspecter dans le miroir. Toujours rien. Absolument rien. Aucune trace d'un quelconque couteau sur mon cou. Était-ce donc un rêve ? L'homme était pourtant bien entré par... la porte ! Je courus de nouveau dans le salon et vérifiai à la hâte le verrou et la poignée. Nada. Tout était bien fermé à doubles tours. Comme je l'avais fait la veille et comme je le faisais à chaque fois que j'étais dans l'appartement. N'était-ce que le fruit de mon imagination ? Cela semblait pourtant si réel ! Mon regard se posa sur mes médicaments et la bouteille vide de whisky. Une réalité légèrement perturbée me dit une petite voix dans ma tête.

Toc Toc Toc. On toquait à ma porte. Qui était-ce ? Les policiers avec une bonne nouvelle ? Mon tueur de la veille ? Pétrifiée par la peur, je ne pus bouger.

-       Lucie, c'est moi Juliette. Je suis venue prendre des nouvelles.

-       Je… J'arrive ! répondis-je

L'appartement était dans un bien piteux état pour la recevoir. Qu'allait-elle penser de moi ? Que j'étais névrosée ? Une alcoolique ? Ou peut-être bien les deux. À peine avais-je ouvert la porte qu'elle me sauta dans les bras.

-       Ma pauvre j'ai appris hier pour Paul. Quelle tragédie !

Je ne savais pas quoi répondre, mais son câlin m'emplit de chaleur et de bonheur. Je la fis entrer et elle remarqua tout de suite la bouteille et mes médicaments. Je vis des reproches dans son regard mais elle eut la décence de ne pas les formuler.

-       Mon dieu ce n'est pas un endroit pour aller mieux ici. Viens avec moi on va aller te changer les idées, tu en as bien besoin ! déclara-t-elle.

-       Je ne peux pas. La police pourrait venir ou appeler n'importe quand !

-       Tu as un téléphone portable s'ils ont besoin de te joindre, répliqua-t-elle, et puis on ne va pas quitter la ville on sera vite rentrées si besoin. Allez ! Va prendre une douche et habille-toi on sort !

Devant sa détermination, je n'eus d'autres choix que de me traîner jusqu'à la salle de bains. Au fond de moi, j'étais heureuse de la voir et qu'elle me propose de sortir. Cela m'avait redonné des forces hier avant de recevoir l'appel, et j'avais grandement besoin de parler à quelqu'un qui serait prêt à me réconforter. Une fois ma douche prise, je m'habillai simplement : jean et t-shirt à manches longues. Avec ma cuite de la veille, mon haleine me déplaisait encore alors je retournai me laver les dents à nouveau avant de rejoindre Juliette, qui m'attendait dans le canapé. Elle avait rangé les bouteilles et nettoyé le sol.

-       Oh c'est super gentil ! m'exclamai-je

-       C'est normal ! Allez mets ton manteau, tes chaussures et on y va !

Avant de fermer la porte de l'appartement, je vérifiai trois fois que j'avais mon téléphone portable. Il fallait absolument que l'on puisse me joindre si besoin. Chose faite, je partis relativement détendue.

 

Juliette m'emmena au café du port, celui dont la terrasse donnait sur la plage. L'endroit était relativement vide et notre choix se porta sur une table un peu plus reculée, à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes. Nous avions tout de même le loisir de voir les vagues déferler sur le rivage. Juliette pris un thé à l'hibiscus et moi un café serré. J'avais besoin de vivifier mon esprit, et mon âme bien triste ces derniers temps. Une fois le serveur partit, je lui racontai tout : ma nuit troublée, mon réveil par terre dans la chambre, la fenêtre ouverte, la chambre retournée et Paul qui n'était plus là.

-       Et tu n'as rien entendu du tout ? me demanda-t-elle

-       Malheureusement, non. J'ai vraiment passé une horrible nuit mais je n'ai rien entendu. Et au petit matin pouf ! Plus rien ! Aucun signe de lui ni aucune trace de disparition. Ses chaussures et ses affaires étaient toujours dans l'entrée, là où ils les avaient laissées la veille.

-       C'est…. étrange… vas-y continue !

-       Ensuite la police est venue et m'a posée pleins de questions. Ils ont pris des photos partout dans l'appartement, ont fait des tests dans toutes les pièces et sur moi.

-       Sur toi ?

-       Oui… j'avais du sang sur moi au réveil. Et…. et aucune trace de coupures ou de coups nulle part sur mon corps.

-       C'est…. encore plus étrange, admit-elle.

-       Et voilà à peu près tout… Pour l'instant je ne sais quoi penser en attendant que l'enquête de la police avance…. Ah si ! La mère de Paul m'a appelée hier pour m'indiquer qu'elle me tenait pour responsable de la disparition de son fils. Elle a dit d'autres trucs méchants que je n'ai pas retenus.

-       Ah l'autre mégère, ragea-t-elle, elle ne perd pas de temps celle-là ! C'est à cause de son appel que tu as bu hier soir ?

-       Oui… avouai-je, honteuse.

-       Ecoute Lucie, ce n'est pas de ta faute, d'accord ? Il a disparu la nuit à côté de toi, mais tu n'y es pour rien, ok ?

-       Mais… Et si c'était moi qui l'avais fait disparaître dans mon sommeil ? Et si c'était moi qui l'avais tué et qui avait été enterrer sa dépouille quelque part ? Le sang n'est pas apparu comme par miracle ! La fenêtre était grande ouverte quand je me suis réveillée ! Qui te dit que je n'ai pas fait une autre crise violente ? Qui te dit que cette crise n'était pas plus violente que les autres ? J'ai... J'ai peut-être dépassé les bornes cette nuit-là et Paul en a subi les conséquences.

Les mots étaient sortis si rapidement de ma bouche. C'était comme si la frustration, la colère, la peur et les questions qui étaient enfouies en moi depuis deux jours explosaient d'un seul coup. Juliette me prit par les mains et me regarda droit dans les yeux.

-       Lucie. Lucie même dans la plus grande de tes crises tu serais incapable de faire du mal à Paul.

-       Comment tu peux en être sûre ?

-       Parce que tu l'aimes profondément. Il est ce que tu as de plus cher au monde et jamais tu ne t'en prendrais à lui. Il est tout ce que tu possèdes.

Ses paroles provoquèrent en moi un effet assez paradoxal.Elles calmèrent ma raison mais enflammèrent mon cœur. Elles me rappelaient encore une fois cruellement que Paul n'était plus avec moi, qu'il me manquait terriblement et que j'avais besoin de lui. Mon visage restait sombre.

-       Hé Lucie ! Tu penses réellement que du haut de tes 1 mètre 65 et de tes 48 kilos tu aurais pu porter la dépouille de Paul pour aller l'enterrer ? Si tes craintes avaient été vraies, on t'aurait retrouvée desséchée sous les 80 kilos de Paul au bout d'une semaine, dit-elle en rigolant.

Sa légèreté me fit esquisser un sourire.

-       Mais…

-       Mais quoi ?

-       Je… Je ne sais pas. Tu sais comment je suis la nuit quand je suis stressée ? J'ai bien pris tous mes médicaments mais… je n'ai pas toujours été très stable. Tu sais bien que parfois, je peux… je peux partir sans raison dans des rages incontrôlables. Des rages dans lesquelles je ne suis plus moi-même.

-       Oui, mais tu as un traitement efficace maintenant. Et puis ces rages arrivent de jour et non de nuit. La nuit tu es juste somnambule. Oui tu fais un peu plus que parler dans ton sommeil mais tu n'as jamais fait de mal à personnes.

-       Je… je ne sai…

-       Lucie arrête, me coupa-t-elle, tu réagis comme ça parce que la bouse qui lui sert de mère t'as appelée hier. Mais elle a toujours été comme ça et ne t'as jamais aimée. Elle ne te connaît pas et n'a jamais pris le temps de te connaître. Moi je te connais. Et je sais que tu n'as rien fait. Alors arrête de broyer du noir.

-       J'ai peur Juliette, déclarai-je. Et s'ils ne retrouvent pas Paul ? Et s'ils se mettent à m'accuser ? Je suis sûre que mon passé psychiatrique ne jouerait pas en ma faveur. Et si c'était son sang sur moi ?

-       Enfin Lucie comment son sang se serait-il retrouvé sur toi alors qu'il a disparu sans laisser de traces ?

-       C'est bien ça la question.

-       Écoute, là tu inventes une histoire. On ne t'as jamais dit qu'avec des si on refaisait le monde ? Pour le sang sur ton front, c'est étrange vu comme ça mais il doit y avoir une explication rationnelle. Mais en aucun cas cela ne peut-être celui de Paul. Et puis pour ton passé en hôpital, ça ne veut rien dire. En France on n'accuse pas sans preuves, et pour l'instant la police en recherche justement. Je sais que c'est dur, mais il faut juste que tu sois patiente en attendant que les choses bougent. Mais surtout il faut que tu gardes le moral et que tu rentres dans la tête que tu n'y es pour rien. Tu es innocente Lucie tu m'entends ? Innocente.

Elle avait prononcé ces derniers mots en posant ses mains sur mes joues, pour me forcer à la regarder droit dans les yeux. Puis elle se leva et me prit dans ses bras. Après tant d'épreuves, ses paroles m'avaient touchées et je fondis en larmes. Elle me caressa affectueusement le dos tout en me chuchotant des mots réconfortants. Nous restâmes ainsi une dizaine de minutes : elle qui me prenait dans ses bras pendant que je pleurais à chaudes larmes sur son épaule.

 

Quand je fus calmée, elle m'emmena me balader au bord de l'océan. Nous nous promenèrent ainsi pendant deux heures, à discuter de tout et de rien. Lorsque le vent fut trop fort, Juliette me raccompagna jusqu'à chez moi. Elle insista pour m'aider à changer les draps du lit “Pour prendre un nouveau départ et se détacher de toute la négativité qui y est accrochée”. Puis elle m'aida à cuisiner un seitan bourguignon. Elle passa ensuite le reste de la soirée avec moi. Nous jouâmes aux cartes en regardant d'un air amusé le talk-show qui passait à la télévision. Sur le coup des minuit, elle m'aida à tout ranger, puis elle partit.

-       Prends bien soin de toi ! Et n'oublie pas : tu es innocente et tu vaux bien mieux que cette vieille mégère veut le croire ! me dit-elle avant de disparaître dans l'ascenseur.

Je partis me coucher sereine, après avoir vérifié plusieurs fois que la porte était bien fermée à clé. J'étais exténuée et je m'endormis en boule au bout de quelques minutes.




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Flash blanc. Je suis seule, dans notre chambre, en train de lire tranquillement. La porte s'ouvre et Paul rentre. Paul ! Paul ! Je suis si heureuse de le voir à nouveau. Il se déshabille et me rejoint dans le lit. Il se tourne pour se caler contre moi. Flash blanc. Je suis toujours dans notre chambre. Les murs s'affaissent et laissent place à d'autres murs, mais blancs ce coup-ci. Notre plafond décrépi se transforme en toit de maison. Des voix murmurent en tournant autour de moi. Lucie. Luciie. Luciiiiie. Je les cherche du regard mais je ne les trouve pas. Les voix chuchotent mon nom de plus en plus fort. Flash blanc. Je suis en train de faire le ménage dans le salon. J'entends un bruit bizarre derrière moi. Je me retourne et un homme se trouve là, dans l'encadrement de la porte. Il me regarde d'un sourire mauvais et s'approche de moi avec une corde. Je crie très fort. Aaaaaaaaaaaaahhhh.

-       AAAAAAAH.

Je me réveillai en sueur dans mon lit, en criant à pleins poumons. Je courrai dans le salon pour vérifier la porte d'entrée. Elle était fermée à double tours et les clés posées sur la table basse, là où je les avais déposées la veille. Ouf, c'était encore un cauchemar. Après m'être servie un verre d'eau, je partis me reposer et finissais ma nuit sans accros.



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Pour la première fois depuis la disparition de Paul, je me réveillai calmement et dans mon lit. Les draps étaient par terre, signe d'une nuit agitée, mais mon corps, lui, reposait bien sur le sommier. Un mince rayon de soleil passait à travers nos volets en bois et se posait sur mon visage. Je me tournai pour regarder le radio-réveil : 9h15, je devais avoir grandement besoin de sommeil pour avoir tant dormi, pensai-je. Je me sentais entièrement reposée. Aucun mal de tête en vue, aucun vertige et chacun de mes muscles n'attendaient que de bouger. Cette nuit avait été réparatrice.

 

Je me levai et me dirigeai dans la cuisine pour me préparer un thé vert au litchi. En chemin, mon regard se posa sur la porte. Maintenant je me rappelais m'être levée en sursaut cette nuit, croyant que mon rêve s'était réellement déroulé et que quelqu'un était entré chez moi. J'avais été sotte de croire à de tel choses, mais tout cela semblait si réel… Les escapades de mes autres nuits avaient, sans aucun doute, laissées des traces. Mais il fallait se ressaisir et arrêter de mélanger onirique et réalité ! Une belle journée s'offrait à moi et j'allais en profiter. Mon thé bu et quelques tartines englouties, je me dépêchai de me préparer. Je pris mon cahier à dessins et quelques crayons, mes écouteurs, une bouteille de thé glacé et je partis en direction du parc municipal.

 

Lorsque je sortis, je fus heureuse d'inspirer de l'air frais et de pouvoir contempler le ciel bleu, dans lequel les oiseaux faisaient eux aussi leur balade matinale. Je pris le chemin le plus long pour rejoindre le parc, afin de profiter au maximum de ce moment de détente, dans lequel je pouvais ne penser à rien et seulement profiter de la légère brise qui venait fouetter mon visage. Une fois sur place, je m'installai dans un coin éloigné, près d'une petite fontaine. Un saule pleureur non taillé était juste à côté. Ses branches filtraient juste assez le soleil pour ne pas être ébloui, mais permettaient aussi d'être caché des autres tout en pouvant les observer. L'herbe était dense, c'était comme si cette place n'attendait que moi. Je m'y installai avec plaisir et sortit mon matériel. Avant de commencer à dessiner, je pris mes écouteurs et lançai une playlist lofi. Je restai un petit bout de temps ainsi, la tête vide et l'esprit détendu, à regarder les personnes se promener dans le parc.

 

Au bout d'une demi-heure, j'ouvris mon cahier et saisis un crayon. Je dessinai sans réel objectif en tête. Je ne savais pas réellement ce que je produisais et si cela avait un sens mais cela me faisait du bien. Mon esprit divaguait et c'était comme s'il entraînait ma main avec lui. Mon coup de crayon était instinctif. Pendant ce temps, je pensais à moi, aux événements qui s'étaient produits et à comment cela allait évoluer. Cela faisait trois jours que Paul avait disparu et je n'avais toujours aucunes nouvelles. Fallait-il s'inquiéter ou bien laisser faire les enquêteurs, comme me l'avait conseillée Juliette ? Je n'aimais pas cette phase de floue dans laquelle j'étais. Elle me rappelait les moments les moins agréable de ma vie.  Des phases durant lesquelles j'avais du mal à gérer mes émotions et mes relations (si peu nombreuses qu'elles furent) avec les autres. À ce moment-là, je me sentais seule et abandonnée. Personne ne voulait de Lucie la dégénérée, Lucie qui crie, qui hurle, Lucie qui est incontrôlable dans son sommeil. Lucie qui est trop possessive, Lucie qui veut mettre fin à ses jours, Lucie qui passe ses journées seule assise dans un coin. Tout le monde m'avait rejetée. Ce n'est pas contre toi hein, mais je veux une amie pas une enfant à m'occuper me disait-on souvent. Et puis tu sais, là tu vas bien mais on... enfin voilà quoi… Il faut être… Enfin il ne faut pas...J'avais très vite compris qu'on me voyait comme une personne gênante, en trop. Mais pas Paul. Non, lui, il l'avait pris le temps de me connaître. Il avait cherché à comprendre qui j'étais et il m'avait accepté comme j'étais, sans essayer de me faire changer pour que je corresponde à son idéal. Tu perds ton temps avec moi, tu trouveras bien mieux ailleurs lui avais-je dis. J'ai toute une vie pour apprendre à te connaître. C'était sa réponse. Et à cet instant, je sus que Paul ne m'apporterait que du bon dans ma vie, et je sus que c'était avec lui que je voulais être. Depuis ce jour-là nous avons partagé nos vies. J'ai mis tout l'amour que j'avais en lui, le seul qui voulait me comprendre. C'est pour ça que c'était si dur de le savoir disparu aujourd'hui, c'était comme si la bulle que j'avais construite pour m'isoler du monde qui me rejetait venait de se briser. Tout ce que j'avais réussi à bâtir s'était effondré en une seule nuit, avec à la clé le risque de redevenir la Lucie d'avant. Au fil des années, Paul avait été le meilleur traitement que j'avais pu connaître. Le seul qui avait réussi à me calmer. Ma bulle disparue, la Lucie en chemise d'hôpital et sous traitement pouvait à tout moment refaire surface.

 

Lorsque le soleil se fit de plus en plus rare dans mon abri, j'en conclus qu'il était temps de partir. Je reposai mon crayon et regardai ce que j'avais dessiné sans m'en rendre compte pendant toutes ces heures. J'avais dû mal à en saisir le sens. Il y avait une silhouette au centre qui semblait accroupie et seule. Autour d'elle, des visages, des masques, comme ceux que l'on voit au théâtre, qui dansent. Le décor était assez vide et ne dégageait rien, si ce n'est une pesante ambiance funeste. Ne sachant quoi en penser, je le rangeai dans mon sac avec le reste de mon matériel et parti du parc. Je regardai ma montre : 17h20. Je n'avais pas vu le temps passer, et à aucun moment je n'avais ressenti la moindre faim. Maintenant que je le dis, une crampe me tirailla l'estomac et je me dépêchai de rentrer à la maison. 

 

Une fois arrivée, je me fis un gratin dauphinois et le dégustai devant une série. J'étais si affamée que je finis le plat en entier. Puis, je parti lire dans ma chambre et sur le coup des 21h, j'éteignis la lumière.

 

 

 

 

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Le lendemain, je fus étonnée de me réveiller parfaitement à ma place, sans aucuns souvenirs d'avoir fait un rêve étrange. Rassurée, je passai une matinée détente à poursuivre la série entamée la veille. Sur le coup des 11 heures, je décidai de cuisiner des plats pour les jours à venir. Je commençai ainsi à faire mijoter mon risotto de courgettes. Pour ne pas perdre un instant, je profitai du temps de cuisson pour commencer la pâte à cookie. Alors que j'allai ajouter les pépites à la mixture, le téléphone sonna. Je me lavai les mains puis décrocha :

-       Allô ?

-       Oui bonjour Madame LESSART, c'est le Sergent Brion de la police.

-       Oh bonjour Sergent, répondis-je, vous avez du nouveau ?

-       Oui, mais j'aimerais vous en faire part en face. Je peux passer chez vous ? demanda-t-il.

-       Oui, oui pas de soucis je suis en train de faire la cuisine, passez quand vous voulez !

-       C'est noté. Eh bien disons d'ici une demi-heure ?

Les banalités de politesses échangées, je raccrochai. Toute enjouée, j'avais du mal à me concentrer sur ce que je faisais, si bien que mes cookies ressemblaient plus à des boudins. Ça y est ! Ma patience avait enfin payé ! Maintenant qu'ils avaient du nouveau, ce n'était qu'une question de temps avant que je ne retrouve mon Paul. Peut-être serait-il de retour avant la fin de la semaine ? Je me demandais bien comment ils avaient fait pour avancer dans l'enquête et surtout, la réalité qui se cachait derrière. Alors que je m'égarais dans mes pensées, on toqua à la porte. Lorsque j'ouvris, le Sergent Brion se trouvait sur le palier, accompagnée d'un collègue qui n'était pas là la dernière fois. Je les fis entrer et s'asseoir dans le canapé. Je leur servis un verre de jus d'orange et m'asseyait face à eux, les yeux écarquillés tant j'étais excitée.

-       Madame LESSART, que faisiez-vous le soir de la disparition de votre mari ? demanda le sergent.

-       Eh bien je dormais, comme je vous l'ai déjà dit.

-       Vous n'avez rien vu ou entendu ?

-       Oui, comme je vous l'ai aussi dit la dernière fois.

-       Madame LESSART, comment qualifieriez-vous vos relations avec votre mari ? Est-ce qu'elles étaient assez tendues récemment ? Des problèmes financiers peut-être ? Une maîtresse ? Ou quelque chose d'autre qui aurait pu vous énerver ? continua le sergent.

-       Attendez, pourquoi toutes ces questions, on dirait que c'est moi que vous soupçonnez ?

Les deux policiers ne répondirent pas mais se regardèrent avec un sourire entendu.

-       Qu'avez-vous découvert ? Dîtes-moi ! Je veux savoir ! J'ai le droit de savoir ! C'est mon mari ! explosai-je

Les deux hommes continuèrent de ne pas répondre. Le silence était pesant, insoutenable. Je me sentais comme une bête de foire dont on guettait la moindre des réactions. Puis le Sergent me regarda droit dans les yeux, et après cinq autres longues secondes de silence, il déclara :

-       Madame LESSART, le sang que nous avons retrouvé sur vous, c'est celui de votre mari.

La phrase résonna encore et encore en moi. Le sang de mon mari. Le sang de Paul. C'était bel et bien son sang que j'avais sur le visage à mon réveil.

-       Je… Je...

Je n'arrivais pas à parler. Le choc était trop dur. Après une minute de silence, je réussi enfin à articuler :

-       S.… savez-vous... c..c..comment… i..il..

-       Il s'est retrouvé sur votre front ? compléta le deuxième policier

-       Oui.

-       À l'heure actuelle, nous étudions plusieurs hypothèses, nous voudrions savoir : qu'avez-vous dans votre pharmacie personnelle ?

-       Comme ça là je ne pourrais pas tout vous dire, des produits de base comme de l'Efferalgan, de l'alcool à désinfecter… Je peux vous la montrer si vous voulez.

Les policiers acquiescèrent de la tête. Je les conduisis dans notre salle de bain et ouvrit la petite armoire où se trouvaient nos médicaments. Ils regardèrent avec attention chaque produit, comme s'ils en cherchaient un en particulier. Le sergent regarda avec suspicion mes anti-dépresseurs.

-       C'est pour moi ça, je suis sous traitement, j'ai une ordonnance si vous voulez, répondis-je.

-       Non ça ira, si ce n'est pas trop indiscret, pour quelles raisons avez-vous ce traitement ?

-       Euh... pour me stabiliser, pour que je sois plus… maître de moi-même.

Ma réponse sembla le satisfaire puisqu'il les reposa dans l'armoire. Son collègue, lui, continuait d'inspecter attentivement chaque flacon.

-       Vous pourriez peut-être me dire ce que vous cherchez, déclarai-je, ainsi je pourrais sûrement vous aider à le trouver.

Les deux hommes échangèrent un regard lourd, puis le sergent se tourna vers moi.

-       Madame LESSART, lorsque la scientifique est venue, elle a trouvé un flacon près de votre lit, qui lui a semblé étrange. Après analyses, il se trouve que c'est du chloroforme avec vos empreintes dessus. Je suppose que vous connaissez ses effets ?

Je ne sus quoi répondre et ne put produire qu'un hochement de tête. Du… du chloroforme ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Ce… ce n'est pas possible ! Je ne sais même pas où en acheter et Paul sait à peine différencier un doliprane d'un Smecta. Ça ne… ça ne peut... Mes jambes me lâchèrent et je m'effondrai sur le sol de la salle de bains. Les policiers m'aidèrent à me relever mais je n'arrivais pas à tenir debout. C'était trop pour moi. J'allais exploser. Ils m'emmenèrent dans le salon et me firent asseoir dans le canapé. Ils me posèrent des questions. Encore des questions. Sauf que maintenant, j'étais passée du statut de victime à celui de suspecte principale.

 

-       Aviez-vous des raisons d'en vouloir à votre mari ?

Non ! C'était absurde ! Paul était tout pour moi !

-       Comment décririez-vous vos relations récemment ?

Bonnes. Comme d'habitude.

-       Pourquoi avez-vous du chloroforme chez vous ?

Je... Je ne sais pas ! Vous venez de me l'apprendre !

-       Pourquoi a-t-on retrouvé vos empreintes sur le flacon ?

Je... Je ne sais pas ! Comment pourrais-je avoir touché un flacon dont je ne connais pas l'existence ?

-       Pourquoi avez-vous fait un séjour en hôpital psychiatrique ?

C'est… c'est compliqué ! Mais ça n'a rien à voir ! 

-       Votre mari pourrait vous avoir trompé et furieuse, vous décidez de vous débarrasser de lui ?

Paul ? Me tromper ? Non ! Non ! NON ! Ce n'est PAS possible. Et je ne lui aurais jamais rien fait.

 

Les questions continuèrent ainsi pendant longtemps. Trop longtemps. Ils ne me laissaient aucun moment de répit. C'était comme si j'étais la coupable à leurs yeux et qu'ils attendaient mes aveux pour pouvoir m'emmener. Plus les questions pleuvaient, plus le ton devenait désagréable, agressif. Ils me demandaient encore et toujours les mêmes choses. J'avais l'impression que ma tête allait exploser. Apprendre que c'était le sang de Paul et que j'étais leur suspecte principale, c'en était trop pour moi. Au bout d'une longue heure, je fondis en larmes, ne pouvant plus retenir en moi toutes mes émotions : mon chagrin, ma colère, mon incompréhension, ma peur.

Le Sergent se leva, me toisa, puis prit congé avec son collègue.

-       Surtout restez bien chez vous Madame, les choses peuvent évoluer en bien comme en mal et c'est important que vous ne partiez pas.

Tu parles ! Il voulait surtout être sûr que je sois là lorsqu'il aurait trouvé de nouvelles preuves.

Une fois la porte refermée, je restai assise contre, sans pouvoir bouger. J'étais totalement désemparée. Tout ce que j'avais construit ces derniers jours venait de s'effondrer en quelques heures. Ma bulle avait été renversée par un tsunami.

J… J'avais besoin de prendre l'air. Je pris mon manteau et sortir m'aérer. Il fallait que je bouge.

 

La pluie frappa mon visage et je fus rapidement trempée. Je n'avais pas remarqué qu'entre temps, il s'était mis à pleuvoir. Mais qu'importe, mon cœur ne ressentait pas les gouttes qui venaient me glacer les os. C'était comme si toute mon enveloppe corporelle était morte. Mes jambes suivaient un chemin qu'elles seules connaissaient. Je ne ressentais ni le froid, ni l'humidité, je n'entendais pas les enfants qui couraient se mettre à l'abri, ni le regard pesant des passants qui se demandaient pourquoi je déambulais ainsi. Moi ? C'était donc moi depuis le début ? C'était moi qui avais fait du mal à Paul ? Je n'en gardais aucun souvenir mais les preuves des policiers parlaient d'elles-mêmes. J'avais son sang sur moi au réveil. Il n'y avait pas d'autres explications. Ça y est. J'étais redevenu malgré moi la Lucie folle. La Lucie qui fait peur. Ce coup-ci, on allait m'interner non pas pour mon bien, mais pour celui des autres : j'avais tué mon mari ! À l'évocation de cette pensée, de chaudes larmes coulèrent sur mes joues. J'avais été si sotte de croire les paroles de Juliette, de croire à ses mots rassurants. Tu as bon fond Lucie, tu aimes Paul et tu ne lui ferai jamais de mal. Je voyais encore son sourire qui se voulait rassurant. À présent, il me donnait envie de vomir. Malgré moi, j'étais encore retournée au bord de la mer. Je m'asseyai à nouveau sur le même rocher, pendant que je pris ma tête entre mes mains. Tu ne pourras te mentir à vie. Tu es une psychopathe et le nier ne servira à rien. Tout au plus à retarder l'inévitable. Ces paroles prononcées par ma mère lorsque j'étais sortie d'asile me résonnaient dans la tête comme si mon esprit ne pouvait penser à autre chose. Au final ces quelques jours avaient été en quelque sorte mon sursis avant le jugement final, celui qui m'enverrait soit en prison soit en hôpital. Ou les deux. Malgré toute la bonne volonté du monde, le sang de Paul avait été retrouvé sur mon visage et je ne pouvais rien contre ça. Que faisait le chloroforme dans notre chambre ? Je n'en avais aucune idée. Je ne savais pas comment m'en procurer et à ma connaissance, Paul non plus. Mais qu'importe, cela ne changeait rien. Peut-être que Paul s'en était procuré sans m'en avertir. Ou peut-être que c'était moi, lors d'une crise ou d'un moment de perte de conscience qui en avait acheté sans même s'en rendre compte. C'était si dur à accepter. J'avais fait tant d'efforts à essayer de positiver ces derniers jours, pour au final apprendre que c'était encore moi la source du problème. Je regardai mes mains avec rejet. C'étaient-elles qui avaient blessé le seul homme que j'ai aimé, et le seul qui m'ait aimé. Prise d'une rage aussi soudaine qu'incontrôlable, je serrai les poings et frappai frénétiquement le rocher sur lequel j'étais assise. Mes coups partaient encore et encore. Je voyais le sang couler sur mes mains mais au lieu d'en ressentir une douleur, j'en éprouvai un grand plaisir. Blesser ces mains, c'était comme blesser ceux qui avaient fait du mal à mon Paul. Puis d'un seul coup, je m'arrêtai. Mes mains étaient innocentes. Le véritable coupable c'était ma tête qui me provoquai ces crises. Mûe par le même désir de vengeance, je me mis des claques en insultant mes troubles. Vous avez fait de ma vie un enfer ! Je vous hais ! Vous m'entendez ? Je vous hais ! Un hurlement de rage sortit de ma gorge lorsque je m'effondrai dans le sable. J'étais en larmes. Je restai ainsi pendant quelques minutes. La marée étant montante, l'eau vint rapidement me caresser les pieds, puis les jambes, puis mes poings qui étaient enfoncés dans le sable. Ça piquait. Le sel me provoqua une forte douleur qui me fit reprendre mes esprits. Qu'avais-je fait ? Il faisait presque nuit, j'étais trempée jusqu'aux os et tremblai de froid. Je regardai mes mains. Mes phalanges étaient toutes ouvertes à divers degrés de profondeur. Sur ma main droite, on distinguait très clairement ma chair, à vif. J'avais à nouveau perdu le contrôle de mes nerfs. Tu vois tu es complètement détraquée. Il fallait que je rentre, et vite, avant de tomber en hypothermie ou de me blesser davantage. Je repris sans grande motivation le chemin de mon appartement. Avais-je réellement envie d'y retourner et de dormir dans les pièces où j'avais commis mes crimes ? À vrai dire je n'avais pas le choix en attendant que la police m'emmène. Sur le trajet, je broyai d'idées noires en idées noires. Peut-être qu'au final c'était mon destin de finir seule entre quatre murs. Certains chiens sont irrécupérables, il faut croire qu'il en était de même pour moi.

 

Quand je fus de retour à l'appartement, je n'avais ni envie de manger, ni de regarder la télé. Mon risotto de courgettes était dans le plat où je l'avais laissé, tout comme les cookies à qui il manquait leurs pépites. J'avais juste envie de dormir en attendant que tout cela se finisse, et pour de bon. Seul quelques shots de vodka me firent de l'œil. Je ne me sentais pas réellement mieux après, mais mon esprit et mes pensées noires étaient comme anesthésiées. Pour la première fois depuis 4 ans, je partis me coucher sans prendre mon traitement. Je sombrai rapidement dans un sommeil noir.



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 Flash blanc. Tout était sombre et flou autour de moi. Lorsque je tournai la tête, je fus pris de relans de vodka et vidai mes tripes. Ma vision s'adapta à mon environnement. Il faisait toujours très noir. Mes pieds rencontrèrent une substance qui m'était familière. Du sable ! J'étais au bord de la mer ! Je... Flash blanc. J'eus comme un frisson glacial. Malheureusement pour moi, je reconnus rapidement où j'étais. C'était la pièce blanche. Aussi ne fus-je pas surprise lorsque le mur devant moi pris le visage de mère. Bonsoir la déglinguée. Je fermai les yeux. Ecoute moi ! Regarde-moi quand je te parle ! Tu crois pouvoir m'échapper ? Mais je suis en toi ! Je te suivrais partout ! Comme ce sentiment de culpabilité qui te traverse pour avoir tué ton mari. Je ne sus quoi répondre. Au fond, elle avait raison. Elle avait toujours eu raison. J'étais juste trop faible pour me l'avouer. Je fondis en larmes. Je senti son souffle derrière mon cou puis elle se mit à éclater d'un rire méchant. Pars de ce monde sale ratée. Pour une fois rend service aux autres et disparaît comme la mauvaise herbe que tu es. Flash blanc. Je n'osais pas ouvrir les yeux par peur de ce que j'allais y découvrir. N'entendant rien d'alarmant je n'eus d'autres choix. J'étais assise dans notre canapé. Étrangement tout semblait normal. La télévision était allumée et diffusait des clips musicaux. Je les regardai sans grand intérêt. Puis je sentis une personne s'asseoir à côté de moi. Quelle surprise lorsque j'y découvris le visage de Paul ! Je posai une main sur son épaule. C'était apaisant. Ma main s'enfonça petit à petit à travers lui. Je constatai avec horreur que son corps tout entier se liquéfiait comme une glace au soleil. Il se tourna vers moi et j'hurlai de terreur. Son visage était celui d'un mort en décomposition, avec un œil en moins, duquel sortait des vers de terre. Il ouvrit la bouche mais ses dents et sa langue tombèrent par terre. Il se pencha vers moi pour m'embrasser. J'essayai de reculer mais le canapé m'enveloppa, comme pour me maintenir prisonnière. Sa tête en lambeaux se rapprochait dangereusement de la mienne. Flash blanc.

 

Je finis d'hurler. Mais j'étais seule, couchée dans mon lit. Je ne pouvais bouger tant mon corps tout entier tremblait. Je sentais ma peau pleine de sueur coller à mes draps. Ces rêves étaient si horribles. Ils semblaient si.. si réels! Du moins jusqu'à ce qu'un événement paranormal arrive. Ces derniers temps ils étaient beaucoup plus perturbants que d'habitude. Était-ce à cause de mon état de fatigue ? De la disparition de Paul ? Je n'en avais aucune idée. Toujours est-il qu'ils m'affectaient beaucoup et que j'avais de plus en plus de mal à les différencier de la réalité. Qu'allait-il encore m'arriver là avant que je me réveille en panique couchée sur mon parquet au milieu d'une pièce totalement retournée ? La porte de la chambre s'ouvrit. Des ombres entrèrent en me regardant fixement. Je n'osais parler par peur d'attiser leur haine. Elles me regardèrent sans bouger. Oh tiens la folle n'a pas bougé depuis la dernière fois. Tu avais raison il ne fallait pas s'en faire, personne ne croirait une attardée pareille ! Regarde ses mains ! Elle s'est mutilée. Les ombres ricanèrent en me regardant, puis elles chuchotèrent entre elles. Je n'arrivais pas à tout entendre…. Preuves… sang… chloroforme… Tout était si confus ! Je n'avais qu'une seule hâte : que cette nouvelle étrange nuit se finisse. Il faut terminer le travail maintenant. L'ombre du milieu avait dit cela d'un ton grave tout en me regardant fixement. Les autres approuvèrent d'un signe de tête en se rapprochant de moi. J'essayai de partir mais rapidement ma tête cogna contre le mur. S'il te plaît le flash blanc, s'il y a un moment où je veux te voir, c'est maintenant. Mais il ne venait pas. Je fermai les yeux et essaya de le provoquer, en vain. Lorsque je les rouvris, les ombres étaient à moins d'un mètre de moi. Elles étaient toutes habillés de jeans noirs. Je vis leurs muscles saillants moulés par leurs pulls plaqués au corps. Celui du milieu avait une pomme d'Adam saillante. Qu'est-ce que ces trois inconnus faisaient chez moi dans mon rêve ? L'un d'entre eux sorti un petit flacon, dont l'odeur m'était familière. Je pouvais voir désormais leurs visages. Ils m'étaient connus mais je n'arrivai pas à mettre un nom dessus, ou même un lien. Mais j'étais sûre de les avoir déjà croisés dans la ville, ou au travail de Paul peut être ? Celui avec le petit flacon me regarda d'un sourire vicieux et tendit le bras vers moi. Pour la dernière fois flash blanc, j'avais besoin de toi maintenant. Il ne viendra pas ricana la voix de ma mère au fond de ma tête, il ne viendra pas.

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