Orage
Jean Claude Blanc
Orage
Déjà dès le matin, pas un pic de vent
Nous dévorent les moustiques et nous dardent les taons
On transpire sans rien faire, n'est pas bien beau le temps
Suspendu aux humeurs, au gré des éléments
Les cumulo-nimbus, s'entassent alentour
Les oiseaux font la sieste, tellement il fait lourd
Il semble qu'il tonne au loin, zébrures sillonnent le ciel
Prémisses, et promesses d'un orage de grêle
Quelques gouttes éparses, frappent la terre sèche
Mais vite s'évaporent, tant la chaleur est dense
Faut faire des prières, pour éviter la dèche
Pourvu que des glaçons, n'hachent pas nos semences
Dans la cour de la ferme, on ausculte l'horizon
Dans notre for intérieur, ressassons des sermons
Cette fois, c'est pour nous, n'y a pas d'illusion
Va pas nous épargner, l'ouragan trublion
On range à la va vite, les outils agricoles
Les poules affolées, regagnent vite leur nid
C'est signe que va durer, la période de pluie
Mais faut pas rigoler, vont souffrir nos récoltes
Au milieu du silence, soudain coup de canon
Tous pris au dépourvu, flageolent nos guiboles
Aussitôt pleut à seaux, l'averse dégringole
C'est l'annonce du déluge, foutue cette saison
Cette fois, c'est parti, et je crois pour longtemps
En tirant une chaise, on se gratte le front
On sort la bouteille, n'y a pas de raison
On trinque à la santé, des tourments de Satan
C'est le démon, y parait, qui roule dans un tonneau
Les âmes des damnés, qui gémissent en enfer
Grand-mère fait brûler, quelques brins de rameau
Pour épargner, bestiaux et sa chère chaumière
Ruissellent les chenaux, dégorgent trop plein d'eau
Tapis en cagibi, on ne fait pas les gros
On se taille une belote, n'y a que ça à faire
En pompant un mégot, pour se passer les nerfs
On jette à la fenêtre, furtif regard anxieux
Ça va pas s'arrêter… inutiles soupirs
Redoublent les bourrasques, à croire que Dieu nous en veut
Ce foin qu'on a tourné, c'est sûr, va pourrir
« T'aurais pas dû faucher, t'avais pourtant prêché
C'est marqué dans les signes, dimanche c'est férié
Deux jours de soleil, étouffant de chaleur
Lendemain, c'est la pluie, vengeance du Seigneur »
Tendance à se calmer, avance un fataliste
Sur le pas de la porte, impuissants on assiste
A la douche glacée, qui en remet une couche
Fais gaffe aux pessimistes, qui ont les idées louches
Qu'a-t-on fait au Bon Dieu, pour qu'il soit si furieux
On a gagné nos Pâques, et allumé un cierge
Faut le laisser brailler, ne fait que ce qu'il veut
On va pas l'implorer, ni se frapper de verges
Une journée de foutue, voilà ce qu'on a gagné
Une chance quand même, que ça n'ait rien cassé
Soudain tombe la nuit, en fin d'après-midi
Le brouillard noie les cimes et nous ensevelit
Le tonnerre s'éloigne, comme il était venu
Mais dés fois se rapplique, toujours inattendu
On n'ose plus plaider, pour avenir meilleur
Ultime verre de rouge, on avale nos rancoeurs
On ne gouverne pas, la météorologie
Ne faut pas accuser, nos élus du pays
Heureusement qu'on a, même pied d'égalité
Sinon serions servis, comme toujours les derniers
Les vieux au coin du feu, agitent leur tisonnier
De dictons d'autrefois, ne cessent de marmonner
« Celui qui mouille le foin, reviendra le sécher »
Le malheur n'atteint pas, le nombre des années…
Encore on a gagné, le droit de s'en sortir
Car l'orage a cessé, d'occuper notre empire
Sur les prés désolés, font trempette les meules
Et dans le jardinet, les patates font la gueule
On est quitte pour blâmer, l'orage et ses méfaits
Se retrousser les manches, les outrages réparer
Les lunes du climat, dur, de les deviner
Péquenot besogneux, au destin se soumet
Clin d'œil à nos colères, nos humeurs rentrées
Si on s'expose trop, notre peau va peler
On ne commande pas, nos misères et nos peurs
On doit se conformer au pire et au meilleur
JC Blanc juin 2022 (soir d'orage en direct ce 5 du mois de juin)