“Par quel bout?” (2)

« Chérie, tu savais qu'les dinosaures grattaient le sol en dansant pour séduire les femelles ? »

Germaine interrompt son brossage de dents pour me jeter ce regard suspicieux que je ne connais que trop.

Suspicieuse, c'est un adjectif qui lui va comme un gant mais ça je crois bien l'avoir déjà dit.

« Tu sais «  me lance t-elle « Jimi Hendrix en jouait avec sa langue et ça marchait aussi »

Cette fois c'est moi qui fronce les sourcils : »Il jouait d'quoi avec sa langue? »

« Ben, d'la guitare, gros nul! »

Le gros nul cherche à comprendre : «Je sais ça mais c'est quoi l'rapport avec les dinosaures ?»

J'aime pas quand elle balance sa brosse à dents dans le verre à cause du mouchetis que ça fait sur la glace et que j'ai un mal de chien à ravoir.

« Tu m'as bien dit qu'ils grattaient le 'sol', non ?»

J'ai failli soupirer mais Germaine aime pas quand je soupire, surtout au moment du brossage des dents.

“Chérie, quand j'dis qu'ils grattaient le sol, je parle pas d'une note de musique mais d'la terre... ils grattaient la terre... on n'a jamais vu un dinosaure jouer d'la guitare!”

Après un long gargouillis qui clôt l'épisode du brossage, Germaine semble avoir admis cette vérité au sujet des pratiques musicales des dinosaures... pourtant elle insiste :”Qu'est-ce qui nous prouve que c'était de la terre? Peut-être qu'ils grattaient de la boue, des boues d'argile comme en thalasso ou des herbes aphrodisiaques, non?”

Le “non?” qui ponctue le babil de Germaine implique mon adhésion, un acquiescement obligatoire qui - en principe - clôturera le sujet et me permettra d'aller au lit sans polémiquer (et à coup sûr sans Paul et Mickey).

Quelle idée ai-je eue d'évoquer la drague des dinosaures?

“T'as raison chérie, c'était sur'ment des fougères, des feuilles de ginkgo biloba... enfin des machins stimulants comme ça”

“Des machins? Quels machins?”

Je sens qu'on n'est pas couchés, Germaine a des principes et mes machins n'en font pas partie.

Elle monte en puissance :”Tu crois que les mâles grattaient des machins - au petit bonheur - quand il s'agissait de séduire leur belle et de les satisfaire? Tu me ferais des machins pour me séduire?”

“Euh... Excuse moi chérie. J'ai dit machin comme j'aurais pu dire des feuilles de ginseng!”

L'oeil de Germaine s'éclaire. J'ai dû prononcer le mot magique.

C'est vrai qu'elle fout du ginseng partout, par principe... partout où elle ne met pas de gingembre.

Pour elle la libido commence dans l'assiette et j'ai droit à mon viagra en racine à tous les repas.

Je gagne la chambre avec l'impression d'avoir désamorcé une bombe.

Germaine m'a rejoint sur le seuil et se colle à moi : “Un dinosaure de 45 tonnes, ça devait avoir une sacrée queue, non?”

“Sans doute chérie, une queue qu'ils devaient agiter pour leur parade nuptiale, selon un rituel de...”

“Idiot, je te parle de leur sexe!”

Difficile de répondre à ça tant le rapport entre la taille du pénis et la taille du corps des animaux est différent d'une espèce à l'autre, mais comment faire admettre ça à Germaine?

A la manière dont elle se frotte contre moi, je n'ose imaginer les images qui lui passent par la tête et sa déception quand elle va m'entreprendre.

Je tente une diversion :”Tu sais chérie, avec leurs épines et leurs grosses écailles ils ne devaient pas s'monter dessus mais faire ça dans l'eau... vu leur poids”

L'oeil de Germaine s'illumine deux fois, signe d'une intense réflexion d'où va émerger quelque idée saugrenue. Germaine est folle, une folle avec des principes mais une folle.

Elle me prend aux épaules pour un demi-tour réglementaire face à la salle de bains :”Fais-nous couler un bain, Choupinou - Choupinou c'est moi - on va le faire dans l'eau!!”

Quelle idée ai-je eue d'imaginer les dinosaures copulant dans l'eau?