Parti d'en rire

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Pour faire face au marasme ambiant, j'ai décidé de créer un syndicat. Son nom ? Faites l'humour, pas la grève. Quand j'en ai parlé à mes potes, ils m'ont dit que j'étais grave. Mais bon, venant d'eux, j'ai l'habitude et je prends même ça comme un compliment. Mes amies, elles, se sont inquiétées. La perspective de copiner avec des gros moustachus bedonnants, portant une chemise de bûcheron, avec une queue-de-cheval bien grasse, mais pas comme elles en rêvaient, ne les enchantaient guère. Comme je hais les aprioris. C'est comme si je disais que les cheminots de Sud étaient tous des planqués alcoolisés au Pastis.

La première corporation qui a accepté de se joindre à nous est, fort naturellement, celle des clowns. Du coup, Pinder, Fratellini et Medrano se frottent les mains. Quand ils ont refusé toute augmentation de salaire, le soir de la représentation, il y a eu standing ovation du public face à leurs facéties.

Mais, je pense que nous avons un immense réservoir d'adhérents par le biais des bouffons. Je vous l'assure, ils sont partout. La cinquième colonne, à côté, c'est de la gnognote. On a ratissé large en vue des prochaines élections des représentants du personnel. A Cambrai, nous avons organisé la fête de la bêtise ; à Vire, celle de l'andouille. À Saint-Claude, en partenariat avec le syndicat des lunetiers du Haut-Doubs, nous avons, le jour de la sainte Ginette, honoré la pipe. Celui de la lingerie a eu droit à la fête du slip.

Ne vous inquiétez pas, il nous arrive de travailler sérieusement. Il y va de la défense des salariés et de notre crédibilité. Nous avons donc nos entrées au ministère du travail. Si vous aviez vu les tronches de déterrés quand nous sommes arrivés avec des costumes des Village people loués pour l'occasion. Nous avons proposé toute une série de mesures. Ainsi, nous ne sommes pas contre les mises à pied conservatoires. Par contre, nous proposons qu'elles soient sanctionnées par une séance de chatouilles plantaires. Georges Tron, le député de la 9ème circonscription de l'Essonne, nous a assuré de son soutien. Et nous pensons que le tribunal de Prudes Hommes est obsolète. Ne serait-il pas temps de remplacer cette instance paritaire et puritaine par quelque chose de plus fun. Force est de constater que, selon la présidence, le sort du salarié peut subjectivement basculer dans un sens ou dans un autre. Alors, plutôt que de risquer qu'il soit un bouc-émissaire, autant prendre les choses avec philosophie. Une séance de Je te tiens par la barbichette éviterait des plaidoyers rasoirs.

Mieux encore, nous avons nos entrées à Bruxelles par l'entremise de la confrérie des joyeux drilles, une branche discrète mais très active de la franc-maçonnerie. Nous aimerions qu'une directive européenne impose aux états membres de prendre en charge l'avenir zygomatique de nos enfants. Et pourquoi pas ? Il existe bien de normes dont il vaut mieux en rire qu'en pleurer. J'ai en tête la directive relative aux essuie-glaces des tracteurs agricoles ou forestiers à roues selon laquelle, « si le tracteur est muni d'un pare-brise, il doit également être équipé d'un ou plusieurs essuie-glaces actionnés par un moteur. Leur champ d'action doit assurer une vision nette vers l'avant correspondant à une corde de l'hémicycle d'au moins 8 mètres à l'intérieur du secteur de vision », la vitesse de fonctionnement des essuie-glaces devant être d'au moins vingt cycles par minutes. Je ne sais pas ce qu'il en est des tracteurs à chenillettes. Par contre, j'ai la réponse pour les rétroviseurs : « Le rétroviseur extérieur doit être placé de manière à permettre au conducteur, assis sur son siège dans la position normale de conduite, de surveiller la portion de route définie au point 2.5 », ledit point disposant que « le champ de vision du rétroviseur extérieur gauche doit être tel que le conducteur puisse voir vers l'arrière au moins une portion de route plane jusqu'à l'horizon, située à gauche du plan parallèle au plan vertical longitudinal médian tangent à l'extrémité gauche de la largeur hors tout du tracteur isolé ou de l'ensemble tracteur-remorque ». Depuis lors, une chaire spécialisée dans ce domaine a été créée à AgriParisTech.

À croire que l'on sert du poppers à chaque repas de la cantine de cette institution. Donc, proposons que, dès la petite section de l'école maternelle, nous mettions tout en œuvre pour que nos bambins ne prennent la mauvaise direction des culs serrés. Ça tombe bien puisque, selon Freud, ils en sont encore à cet âge au stade anal.

Nous sommes ainsi persuadés que dans un avenir proche, une génération tout au plus, nous reprendrons conscience que le rire est le propre de l'homme et que, ma foi, ça ne fait pas de mal par où ça passe.

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