Partie civile

Christian Lemoine

Tu trouveras les mots, quelque belle façon de sauver ton âme. N'en doutez pas ni lui ni toi. Jamais les flétrissures ne t'atteindront. Tu jouiras sans cesse de nouvelles aurores, toujours sur un nouveau paysage éveillées. Et toi pareille à elles, sans jamais l'ennui, sans jamais la reconnaissance de ses chemins et de ses voies, jusqu'ici inexplorés. Toujours tu en as su le prix ; toujours tu en as accepté l'audace, comme à l'éphémère le cadeau insensé d'une résurrection.

Elle trouvera le sens, quelque belle façon de sauver son âme. N'en doutez pas ni elle ni toi. Souverain dans ta thébaïde, tu sauras goûter l'amertume d'un vent de poussière qui s'éloigne, et tu pourras prétendre au sable crissé sous tes paupières pour seul prodigue de tes larmes. Tu sauras la plate griffure des soirs identiques, dans la froideur des draps fuis, mais ô combien brûlante. Tu pourras reconnaître ton enjeu sur le tapis, emporté par le râteau d'un croupier ricanant, et assurer de ton plein consentement au risque du jeu.

Vous trouverez les prétextes, quelque belle façon de sauver son âme. N'en doutez ni l'une ni l'autre. Comme des enfants incrédules, feignant avoir ignoré que le mal était dans le jeu. Pauvres enfants trop grands pour singer l'innocence, face au défi gâté dont vous vous vouliez dupes.

Mais qui sera comptable de la déchirure, de la plaie aux lèvres arrachées ? Cette plaidoirie muette demeure en un huis clos où ne sont convoquées ni la victime ni la coupable. Présumerait-on que le verdict, déjà, en est résolu ? Car pour sauver son âme, elle réfutera les dommages. Car pour sauver son âme, tu contesteras ta meurtrissure. En est-il moins blâmable, le tourmenteur, si l'autre s'est soumis de gré à la violence ? Au-dessus de vos bras tordus, au-dessus de vos têtes détournées, nul tribunal immanent pour vous acquitter de vos dettes, toi de ta cécité, elle de son inconséquence. Vous serez deux, au compte de ta disgrâce, et son âme dans la balance.

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