Pas de fumette sans foi

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Avant qu'il ne soit connu comme saint Tropet, il s'appelait Cruchot. Il exerçait la profession de gendarme dans une station balnéaire à la mode de la Côte d'Azur. On y rencontrait toutes les vedettes du showbiz, des garçons dans le vent, les Beatles (à ne pas confondre avec les beatniks, des garçons dans le van), aux Pet shop boys.

Il va de soi que les fêtes rythmaient les nuits si calmes hors saison. Le long du quai, ce n'était que pétarades de Harley-Davidson avec les motards qui s'amusaient à lâcher les gaz pour frimer. Ces yéyés dansaient sur de la musique psychédélique qui, quand on avait le vent dans le nez, se transformait en borborygmes nauséeux.

Cruchot, d'éducation traditionnaliste, s'était toujours opposé à ces meutes de zazous. Entre 1940 et 1944, il exerça sa profession à Vichy. On peut comprendre que, de par ses penchants pétainistes, il avait du mal à avaler la pastille. Le principal motif qu'il mettait en avant était que cette jeunesse se tienne à carreau.

Quand le vent tourna, il dut son salut à une montgolfière pour s'échapper. Il lâcha une caisse et sac de sable. Il parvint à prendre de la hauteur, survola Sigmaringen, et finit par rejoindre Bora-Bora, dans l'archipel des îles Sous-le-Vent.

Après trois ans à se nourrir de noix de coco – terme inventé par un groupuscule stalinien qui était alors actif, aidé par Moscou pour gagner son indépendance –, des ballonnements le minèrent de façon intestine. Les collabos étaient en état de grâce présidentielle. Il put rejoindre la métropole. Il atterrit à Anzin et réintégra la maréchaussée. Nous étions en 1948 ; les grèves ouvrières battaient leur plein dans les Houillères. Il monta au charbon avec sa compagnie. Il n'hésita pas à faire usage de son pétard pour calmer la meute trotskiste.

On le muta dans le Sud pour lâcher du lest après qu'il eut refusé Laval qui n'était plus dans l'air du temps. On avait changé d'époque. Les crânes rasés avaient fait place nette aux échevelés. Les tatouages devinrent le matricule d'une génération qui refusait d'être traitée comme des numéros.

Elle avait ramené de Katmandou et du Rif la mode du haschich. Vous l'aurez compris : lui qui avait du mal à joindre les deux bouts, il s'opposa à ce psychotrope et à ces pratiques récréatives fumeuses. Il n'était pas le seul. Il avait un allié en la personne du bedeau et de son épouse, Marie-Jeanne.

C'était le kif. Ça le faisait planer de pouvoir s'attaquer à ces trublions. Il tripait quand, après s'être planqué durant des heures, il parvenait à en surprendre en flagrant délire. Il planait de mettre une soufflante entre les dents des adolescents de la jeunesse dorée. Le suisse prenait le relai, susurrant au curé d'aborder le sujet dans son prêche dominical pour admonester et faire culpabiliser les parents.  

Allez savoir si sa conversion fut liée à ses visites à l'église. On peut supposer que l'inhalation abusive de l'encens de messe lui monta à la tête ou qu'une surdose d'hosties développa une accoutumance et une prise de conscience. À sa boutonnière, il avait accroché un camée avec le portrait du Christ Rédempteur.

Un soir, après son service, il se rendit au domicile de son capitaine. Nous étions le dimanche des Rameaux et il apportait une branche de buis béni. Il patienta plusieurs minutes avant que l'on vint lui ouvrir. Il fut accueilli par la fille de l'officier, l'air hagard et le regard globuleux. Il comprit. Qu'allait-il faire face à ce scandale, à ce dilemme, tiraillé entre son devoir et le silence d'usage au sein de la Grande Muette ?

Il obtint un congé sabbatique de sa hiérarchie et suivit des cours de théologie. Après sa consécration, il fut nommé aumônier militaire. On lui alloua un budget qu'il destina à l'ouverture d'un centre de désintoxication pour les soldats retranchés dans la dope suite à des traumatismes physiques ou psychologiques.

Dans la vie, rien n'est figé ou prohibé dès lors que l'on trouve le bon deal entre son cœur et ses responsabilités.

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