Patois de bougna ne se perd pas
Jean Claude Blanc
Patois de bougna, ne se perd pas…
Depuis gamin, pas de cinéma
Avec mes vieux, appris le patois
Z'avez qu'à voir le résultat
On se comprend entre bougnas
Selon les rites d'autrefois
Mais s'y remettre, ce qu'on s'en voit
Mal embouchés, hommes des bois
Bien à l'écart des commentaires
De ceux qui sont pas de notre terre
Le principal, c'est qu'on se comprenne
Sur nos montagnes souveraines
Certes langage désuet
Dur à traduire en français
Mais qui dit bien sa vérité
Hélas, risque disparaitre
J'essaye crânement m'en passer maitre
Pour le céder à ma lignée
De le transcrire presque impossible
Qu'à l'aide de signes cabalistiques
En visant juste, atteignent leur cible
Ceux qu'ont les palmes académiques
Se prévalant de sémantique
Nouvelles méthodes pédagogiques
Pas besoin d'I-phone ou de twitter
Pour abréger billets intimes
Quand c'est midi, sonnent pas les heures
C'est notre bide qui crie famine
Moi-même guère une lumière
Qu'élevé là-haut dans les bruyères
Où on respire le bon air
Mignon coquelet, de bonne chair
Encore frais, sortant de mon nid
Pète la forme mon esprit
Vais pas gêner, vante mon produit
Auprès des touristes ébahis
Tant mon vocable n'a pas de prix
En mon espèce, perle rare
Baragouinant chroniques d'ici
Je m'y recolle par nostalgie
(Comme par hasard, pas avare)
Instituteur sans le savoir
J'en compose tout un répertoire
Mimant « Le Corbeau et le Renard »
Eberlués les érudits
Qui depuis longtemps en ville ont fui
Pourtant m'envient pour mes histoires
Certains fumistes jouent les sous doués
Juste pour se faire remarquer
Ecorchant les dictons du passé
Gâchent l'ambiance, ces étrangers
Bien implantés en notre région
Inutile prendre des leçons
Quand il fait froid (ça tombe sous le sens)
Suffit d'enfiler un veston
Pourquoi user d'intelligence
Nous appartient notre jargon
Dont nous sommes seuls à le dégoiser
Même qu'on le mâchouille, jour du cochon
(Fête du jambon, du saucisson…)
Se le marmonnant, sans sourciller
Pressés de s'en mettre une pleine ventrée
Mystérieux que ce dialecte
Qu'a traversé nombres de siècles
Riche héritage de nos ancêtres
Qui se fendaient pas de belles lettres
A l'attention de leurs biquettes
A survécu à l'occitan
Inspirant les trouvères d'antan
Racines profondes, cependant
A faire sourire nos enfants
Qui ne déblatèrent plus que le verlan
Tandis que « ce qui se conçoit bien
Logique, s'énonce clairement »
Pas du Boileau pour nos gamins
S'emplissent la panse pour peu d'argent
Livrés de suite, en kit Mac Do
Service gratuit, même un cadeau
Comme les parents font plus la loi
Ces expressions de nos anciens
Se le trafiquent nos chérubins
En charabia, galimatias
Les « je me souviens » et « de mon temps »
Maintenant parait un peu ringard
Au regard de ces jeunes dans le courant
De mômes gâtés, de nous se marrent
Quelle chance, qu'ils fassent pas du pétard…
C'est le progrès, hennissent les bêtes
Ces ânes bâtés qui s'y soumettent
Les anglicismes, le pratiquent
Même nobles élus de la République
N'a pas de honte, le chef d'Etat
Doit que sa culture à l'ENA
A la poubelle, géniales reliques
Aux oubliettes, notre patois
Plus de veillées près du tonneau
Ni de papotages en argot
Où on mélangeait tous les mots
Universel, l'esperanto
Conventionnel, moins rigolo
Du haut de mes 64 ans
Je fais partie des survivants
Qui de la mode, s'en défend
De l'éloquence des savants
Même mon clebs, s'il est heureux
Sait se faire comprendre, rien qu'à ses yeux
Instinctivement remue la queue
Pour lui le patois, pas un souci
Pourvu que son auge soit garnie
Qu'il s'appelle Lou ou bien Titi
Lorsque je lui parle du pays
Quelques syllabes, ça le ravit
Gauloiseries, grivoiseries
Du pipi de chat pour converti
Moi-même souffrant d'énurésie
Laisse pisser mon oiseau de nuit
Patois de bougna, se perdra pas
Tant que survivront, les auvergnats
Ces authentiques, rustiques, balèzes
Qui se charrient, bien à leur aise
A la postérité leurs fables
Qu'ils vont léguer à leurs intimes
Dont je ne suis pas, trop incapable
D'en adopter les riches rimes
Pourtant alerte artiste scribe
M'efforce recueillir quelques bribes
De leurs modiques souvenirs
Mais compliqués à retenir
Tellement les livrent avec ardeur
Ne peux pas les apprendre par cœur
Pour mes fidèles du village
De mes lubies, je les contente
Comme je suis près du 3ème âge
Ce que j'ignore, je l'invente
A petit feu, notre langue se meurt
Mémoire sur ordinateur
Ces périmés qu'on croit dociles
En n'usent pas de cet ustensile
Radotent entre eux légendes fossiles
Avant qu'ils passent l'arme à gauche
Je me dépêche les confesser
Sûr m'en feront aucun reproche
Lorsque demain seront plus là
A déguster, vers de bougnas
(Pas les derniers pour plaisanter) :
« Que langue morte le latin
Tandis que nous autres, on mord du pain » JC Blanc nov 2017 (vif patois !)