Pense à nous !

Louve

 

 C'est en rangeant enfin ce vieux bureau oublié dans un débarras où s'amoncelait depuis la nuit des temps, tout un fatras de papiers en tous genres, que mes doigts impatients à trier ce qui était bon à garder où à jeter tombèrent en arrêt sur ces quelques pages noircies de ma main, voilà quelques années déjà…

 

 

Thalie, ma petite,

 

« Je sais que lorsque je rentrerai, après ma journée de travail, la porte de ta chambre sera close. Close comme tous les jours, tous les jours depuis trop longtemps hélas ! Nul doute, tu sauras que je suis rentrée, les aboiements des chiens –Flip et Milord- te le confirmeront. Tu m'entendras passer et repasser dans le petit couloir, mais nulle réaction de ta part, ne viendra, hélas, adoucir mon angoisse.

Nul son, même un murmure, ne viendra crever ce silence. »

 

                                                                                                     

 

 

«  Pense à nous ! Pense un peu à nous ! »

 

Quelques mots, mi-figue, mi-raisin, comme le dit si bien le dicton ! Quelques mots où sous le sourire esquissé, perçait l'inquiétude.

 

Oui, mon cœur bien douloureux se souvient, j'ai dû les prononcer deux fois ces mots là. Seulement j'étais à mille lieues de penser qu'ils prendraient un jour, pas si lointain, une résonnance tellement tragique. Tu m'as répondu à chaque fois que tu en avais assez, assez de ce fardeau, bien trop lourd, de plus en plus lourd à porter.

 

Tu parlais de ta vie, ma fille, ma douce, mon amour.

 

   Et puis un jour tellement banal sur le chemin de l'existence, tu as sauté le pas, le grand saut. Non, tu n'as pas ouvert la fenêtre, parce qu'après tout quelqu'un t'aurait peut-être parlé, tendu la perche, fait réaliser que tu avais trois merveilleux petits enfants, un compagnon, des parents qui t'aimaient.

  

Tu t'es levée, du moins je l'imagine, du canapé où tu passais tes journées à griller cigarette sur cigarette, tu t'es dirigée vers la petite cuisine de cet appartement au troisième étage d'une HLM, noyé parmi tant d'autres. Et puis, comme un automate, tu as détaché un à un les petits comprimés de leurs alvéoles métallisées et tu les as avalés. Peut-être dans un verre d'eau, peut-être dans un yaourt, je ne sais pas, je n'ai pas demandé. Après la fatale phrase prononcée par le médecin urgentiste, aucune autre explication n'entra dans ma pauvre tête.

 

Depuis je ne puis m'empêcher de vivre cette fatale scène, et je ne puis m'empêcher de visualiser le jour de ce dernier adieu. Comme il y avait du monde, beaucoup de monde, pour t'accompagner dans le petit cimetière de Champs sur Marne. La famille, bien sûr, mais aussi des gens qui te connaissaient et puis d'autres qui ne découvrirent ton visage que sur cette photo en noir et blanc, où tu souriais de tous tes dix-huit ans ; mais qui nous avaient croisés, nous : tes parents, dans le travail, dans la vie de tous les jours. Ils étaient tous là, parce que la perte d'un enfant est la perte la plus terrible qui soit et que chacun comprenait, désirait nous soutenir dans cette douloureuse épreuve. Et moi qui ne pleurais pas, peut-être parce que j'avais tant pleuré toute une semaine… je sais que j'ai choqué, mais je n'avais pas le temps nécessaire pour expliquer que ma douleur se manifestait à d'autres moments…je l'ai juste soufflé une fois. J'aurais voulu m'effondrer, car c'était certainement ce que l'on attendait de moi, mais je ne POUVAIS PAS.

En ce moment pourtant terrible, je n'avais pas de chagrin en moi, mais une émotion cependant, celle de voir tant de gens autour de toi, tant de fleurs…

 

Tout au long de ta vie, comme pour celle de tes deux frères, nous nous sommes inquiétés, ton père et moi, comme tous les parents. Parfois pour un petit bobo, ou pour une grosse fièvre. Je me souviens, tu avais seize jours, je t'ai emmenée en catastrophe chez l'ophtalmologiste parce qu'au réveil tu avais les yeux gonflés et tout collés.            

Je me revois courir jusqu'au cabinet, complètement affolée, te serrant contre moi. En fait ce n'était rien qu'une conjonctivite, impressionnante certes, mais en aucun cas grave. Et puis, par la suite, tu es devenue Miss catastrophe. Une fois, tu es revenue de l'école, la tête en biais, c'est du moins la première image qui m'a sautée aux yeux dès que je t'ai vu arriver. Tu t'étais cognée contre un poteau en jouant. Comment ? J'ai eu du mal à le comprendre : une bosse au front, une à la mâchoire mais de l'autre côté !! ??

Bien avant cela je revois tes premiers pas dans ta robe de lainage rose et grise. Tu tenais un petit panier en osier dans une de tes menottes. Comme j'aimerais retourner en arrière pour revivre ce moment. Comment aurais-je pu un seul instant me douter que ta vie serait si courte. Car après tous les petits bobos la maladie t'es tombée dessus, tel un couperet, à 23 ans, et ne t'a plus lâchée jusqu'à ce que le dernier fil de vie soit définitivement rompu.

 

                                                Tu avais 39 ans.

 

 

Toute ta petite enfance fut joyeuse, parsemée de facéties diverses. Tu racontais encore dernièrement à tes enfants toutes les bêtises accumulées derrière le dos des parents. Dylan, ton fils aîné m'apprit récemment que traverser les étangs gelés ne te faisait pas peur. Rien ne t'effrayait pas même l'escalade du mur de l'école pour y atteindre le toit. Cela, tu me l'avouas beaucoup plus tard. Quant à moi, ta mère, je n'étais pas aussi téméraire même si j'eus droit à mon petit lot de catastrophes comme tout gamin qui se respecte. A la maison, tu étais sage comme une image, à part les taquineries incessantes de ton frère aîné, qui te faisait hurler, rien à redire. Le soir, tu me retenais de tes deux petits bras, au creux de ton lit, après le dernier bisou. Et c'étaient des rires à n'en plus finir.

Ma petite chipie qui se relevait en douce, pour regarder, cachée dans le couloir, à Chevilly- Larue, la télévision qui continuait, pour nous tes parents, à déverser son flot d'images.

 

 A cette époque, le temps était compté, car le matin nous réveillait de bonne heure. C'était toujours la course. Course à la nourrice, course au travail dans les bus bondés, qui n'avançaient pas contrairement aux aiguilles des pendules qui tournaient, tournaient. L'arrivée dans cette grande banque parisienne, par la monumentale porte réservée aux clients et aux huiles, pour éviter la petite rue d'Anjou où une porte plus discrète m'attendait et me coinçait sous les traits d'un garde chioume, certes très souriant, mais qui me faisait signer un livre où tous les retards étaient mentionnés. Oh, bien souvent ce n'était que pour deux ou trois minutes mais à la fin du mois j'étais certaine d'avoir droit au sermon dans le bureau d'un supérieur. C'était ma vie, ma nénette, pas bien drôle, pour moi comme pour toi et ton frère. Certes ce n'était pas le bagne mais cela m'empêchait d'être disponible, plus agréable avec vous mes chéris. Lorsque je vous déposais chez la « nounou » ton frère qui avait tout juste 2 ans et demi pleurait silencieusement en me regardant m'échapper pour la journée. Tu n'avais que six mois lorsque je repris mon travail après le congé de maternité, et ce fut donc moins difficile pour toi. Pauvre petit bonhomme ! Beaucoup de mères, d'enfants en passent par là mais cela ne me consolait pas et la porte fermée lorsque je courais pour attraper ce maudit bus j'en pleurai de l'avoir vu pleurer et je trouvais la vie bien amère. J'ai perdu beaucoup de votre enfance mes chéris et à présent je t'ai perdu, toi ma fille, mon amour, pour toujours.

J'ai Dylan, Emi, Maylis, cette partie de toi qui me reste, mais je suis si triste de les savoir orphelins. Il me faut pourtant leur cacher ma tristesse et continuer à vivre pour eux, ton père, tes frères. Mais la vie à présent n'a plus la même couleur et rien ne sera jamais plus comme avant.

Je veux à tout prix, paraître joyeuse pour tes petits à qui tu manques tellement. Et puis il y a le soutien de toute la famille, en particulier les appels téléphoniques de Marraine et de Mimi. Mimi, ma chère sœur, qui croit dur comme fer que les âmes ou esprits- on peut les appeler comme on veut - sont toujours au-dessus de nous, invisibles mais protecteurs et à l'écoute. Je veux le croire aussi, ma chérie, de toutes les forces de mes neurones.

 

Une semaine après tes funérailles- comme cela m'est difficile d'écrire ce mot- je revenais du cimetière lorsque brusquement je me suis sentie très joyeuse, tu étais en moi, tu te fondais littéralement dans mon corps. Face à moi, tu marchais avec moi. Une sensation merveilleuse qui courait de mes genoux à mes épaules. Et je n'avais eu pourtant, encore, aucune discussion avec ta tante, donc je n'avais subi aucune influence de sa part.

 

Etait-ce un signe, un dernier adieu ? Je veux que tu reviennes, que tu redescendes me visiter, m'habiter. Je ne voudrais pas que cela ne soit que fantasme car mon chagrin, ce fameux jour, s'était miraculeusement envolé, je n'étais que bonheur, je t'avais retrouvée !

 

                                       -_-_-__-_-_-

 

 

 

Neuf ans se sont écoulés, tu n'es pas revenue m'habiter, mais il ne se passe pas un jour, malgré les joies, les peines qui jalonnent ma vie, comme tout un chacun, où tu n'apparais pas au détour d'un mot…d'une sensation et je sais que tu seras toujours là, près de moi, jusqu'au bout……………..

 

 

                                                                                                                          

 

 

 

    

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Mon fils a eu un cancer... de mauvais pronostic... en décembre 2017.... première chimio le lendemain de Noël.... 4 cures de chimio, de celles qui rendent malade... lui et nous..., plus tard une grosse intervention chirurgicale et il est vivant, mais stérile, mais vivant... scanners de vérifications et prises de sang tous les 4 mois... on passe à tous les 6 mois maintenant... comme beaucoup de choses passent au second plan... 6 mois entre parenthèse... dans l'angoisse, la peur, la douleur... je t'embrasse Martine... bien fort ♡♡♡

    · Il y a plus de 5 ans ·
    12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

    Maud Garnier

    • Que te dire, c'est terrible ! C'est bouleversant, mais il est sauvé !! Courage à vous deux !

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Il est pas encore déclaré en rémission... mais çà va..

      · Il y a plus de 5 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

    • Il faut espérer. Je t'embrasse, moi aussi, Maud, très, très fort !!

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Je t'ai envoyé une invitation sur FB ma douce. .. moi aussi je t'embrasse ♡

      · Il y a plus de 5 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

  • Si au moins, quand ils partent, ils nous disaient où ils s'en vont. Patience, ils vont nous retrouver. bonne année

    · Il y a plus de 5 ans ·
    P%c3%a9ch%c3%a9 originel hd

    Christian Gagnon

    • Si seulement... Bonne année Christian !

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • c'est un texte très émouvant Martine, et très beau, il n'y a rien de plus terrible que de perdre un enfant, je crois qu'on en a parlé à l'époque où ma sœur a failli perdre son fils j'étais près d'elle c'est la chose la plus dure que j'aie jamais vécue.
    comme tu le dis les enfants ont d'autant plus besoin de toi, et tu as surement beaucoup à recevoir d'eux, je te souhaite une année 2019 aussi belle que c'est possible et pleine de richesse affective. Amitiés.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Photo

    Susanne Derève

    • Heureusement son fils a survécu, quel soulagement pour elle, pour toi. Belle année à toi aussi Susanne, avec tout plein de bonnes choses !!

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Perdre un enfant est une épreuve très difficile qui demande de sacrées béquilles pour continuer d'avancer ensuite. Je vous souhaite une belle année 2019 entourée de toute mon empathie.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

    • Oui, en effet, mais il le faut pourtant. Il faut continuer, car si l'on disparaissait, ce serait ajouter encore plus de chagrin à ceux qui restent, et ça, ce n'était pas possible. C'est à eux que j'ai pensé lorsque c'est arrivé. Puis avec les années, c'est moins difficile, petit à petit, on arrive à maîtriser, à refouler son chagrin, on vit !
      Merci yI5. Avec toute mon amitié !

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • ...et une belle année à vous aussi ainsi qu'aux vôtres !

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Je savais que tu avais perdu ta fille… Ton texte me bouleverse. Pas seulement l'histoire de ta fille mais ton courage, ta force de caractère qui te rendent remarquable. Une amie a perdu son fils. Elle s'est "appuyée" sur des "signes" alors qu'elle était agnostique. Ces signes-là, comme celui que tu décris à titre personnel, l'ont profondément aidée à continuer à vivre, à avancer et à retrouver une raison d'être. Aujourd'hui, il "vit" en elle et l'amour est réellement le lien invisible mais éternel qui les relie et les unit.
    Je te raconte cela pour que tu sois sûre et confiante en ces signes, s'il en était encore besoin,
    De grosses bises, ma Louve...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Ah ! comme j'aimerais en effet. C'est psychique.
      Tu sais, je voulais partir avec elle, mais de penser au désarroi et à la peine de ma famille, j'ai tout de suite ôté cette idée de ma tête. Il fallait continuer pour eux. C'est indescriptible ce que l'on peut ressentir, terrible, et puis les années passant on refoule mieux l'émotion...la vie prend le dessus. On n'oublie pas bien sûr, et lorsque je vais au cimetière, je voudrais toujours la tirer de là...je voudrais pouvoir la prendre dans mes bras, même comme elle doit être à présent... Ah ! Mais je ne veux pas te tourmenter, ni que tu me plaignes, surtout pas !! Je te fais de grosses bises moi aussi ma Sy Lou !!

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Tu ne me tourmentes pas, Louve… Je te trouve très courageuse, très forte pour continuer à vivre, même si tu t'es donné des raisons imparables pour le faire, à juste titre. Mais, comme tu le soulignes, on ne peut empêcher, par moments, le passé de remonter et je comprends que chaque réminiscence fait saigner encore plus des blessures qui ne cicatriseront vraiment jamais. Tu ne veux pas être plainte… Tu as peur de la pitié. C'est plutôt de la compassion. On ne peut pas s'empêcher de compatir face à ton malheur. Sinon, nous ne serions pas humains… Quoi qu'il en soit, reste persuadée que ta fille est fière de ton combat. Je voudrais te remercier pour nous avoir confié ta douleur. J'espère que tu as trouvé du réconfort, car pour pouvoir lutter, il importe d'être entouré. Un combat de cette nature se nourrit avant tout de soutien permanent. Je t'embrasse de toute mon affection, Louve.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Coquelicots

      Sy Lou

  • dans ma tête je revoyais la reine fabiola à la mort de son mari qui répondait -"pourquoi êtes-vous de blanc vêtue ? et sa réponse qui fut mon crochet : -"je suis chrétienne et je ne puis que me réjouir de sa montée au Père" et les mots ne sont rien dans ce temps qui n'est rien.. ma pensée..;

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Dsc00086

    mada

    • Notre temps est si peu de chose dans cette éternité....

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Très douloureux malgré une petite lueur

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Lune 08

    scribleruss

    • Le passé...toujours présent...

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • :)

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Philippe effect betty

      effect

  • Plus c'est long, plus c'est bon :)

    · Il y a plus de 5 ans ·
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    Mario Pippo

    • Oui, en double, je ne sais pas pourquoi, je vais effacer le texte en trop.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Très émouvant

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Cavalier

    menestrel75

    • Merci beaucoup cher ménestrel !!

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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