Pensée

Jean Maxime Locard

Il s'agit cette fois d'une structure anaphorique, un écrit sous contrainte. Il fallait utiliser une structure relativement fixe et la répéter maintes fois. Attention, peu d’intérêt.

 Il paraît que les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. La plupart des gens omettent cette dernière particule ; « en droits », par oubli ou par volonté certainement. Cependant, j'ai toujours pensé que c'était elle qui donnait toute sa substance à la déclaration, comme le « mais » suivant l'éloge, comme si elle nous rappelait que les Hommes ne sont égaux que devant la loi, et qu'en tout autre domaine, l'égalité n'est qu'utopie.


Il paraît que la loi du plus nombreux est toujours celle du plus fort et que l'union fait la force. La plupart des gens qui clament en foule ces belles paroles doivent probablement croire que les forces individuelles se somment comme les termes d'une addition, mais que les faiblesses demeurent à jamais personnelles. Cependant, j'ai toujours pensé que c'était le Japon qui avait envahie la Chine.


Il paraît que les Hommes sont forts quand ils connaissent leurs faiblesses. La plupart des gens doivent considérer les faiblesses comme des qualités ou des attributs, immuables et numériquement finis. Cependant, j'ai toujours pensé que la connaissance de ses faiblesses entraînait systématiquement l'apparition de nouvelles faiblesses, que le boucher qui connaît la fragilité de sa main, et qui décide que porter un gant s'avère nécessaire, perdait ainsi en dextérité et en minutie.


Il paraît que la connaissance est une arme. La plupart des gens qui, par cette phrase, tentent de convaincre les ignorants qu'ils pourraient avoir une vie meilleure en allant à l'école semblent oublier que le but d'une arme est bien souvent de tuer, parfois de blesser seulement. J'ai toujours pensé que lorsque l'on connaissait toute la portée d'une idée, tout le potentiel d'une découverte, on ne pouvait que craindre ce que les autres allaient en faire, et regretter qu'elle puisse être métamorphosée en arme.


Il paraît que les idées pleines de ressenti, de tristesse, de colère ou de haine sont noires. La plupart des gens qui emploient cette usuelle métaphore et qui réfléchisse à son origine et à son sens réel, et je doute qu'ils soient nombreux, imaginent ainsi ces pensées comme piégées dans une sorte de salle obscure, sans possibilité d'évoluer, enfermées dans leur propre carcan, régies par la croyance ancienne que ce qui est ténébreux est mauvais. Cependant, j'ai toujours pensé que le noir n'était, scientifiquement parlant j'entends, pas une couleur, et que de la même manière, ce genre d'idées n'en étaient pas vraiment.


Il paraît que le rose est la couleur de l'amour, le rouge celle de la passion, le blanc celle de la pureté, le bleu celle de la sérénité, le jaune celle de la joie et le vert celle de la nature. La plupart des gens qui connaissent ce code couleur ont, il me semble, deux chromosomes X, comme si les hommes étaient insensibles aux nuances qui différencient le mauve du lilas, ou plutôt, qu'ils s'en fichaient éperdument. Cependant, j'ai toujours pensé que pour obtenir du rose, il fallait mélanger du rouge et du blanc, en rajoutant à sa guise une pointe de bleu tout en veillant à ne pas mettre de vert et de jaune.


Il paraît que l'amour, c'est ce qu'il y a de plus beau, que l'amour, c'est plus fort que tout. La plupart des gens qui sont seuls se moque de cette cruelle affirmation tandis que ceux qui sont amoureux louent cette tendre vérité. Cependant, j'ai toujours pensé qu'un tigre à dent de sabre, c'était quand même plus fort et majestueux.


Il paraît que tout Homme doit toujours dire la vérité, et que chaque mensonge désobéit à un impératif catégorique, à la morale et à la vertu. La plupart des gens, disciples de Kant, qui adhèrent en ce principe de vie sont assez prompts à en reconnaître les limites, mais argue toujours la puissance de cette morale qu'ils voudraient universelle. Cependant, j'ai toujours pensé qu'au fond, les comédiens n'étaient au fond que de talentueux menteurs, et que je n'étais pas prêt à me priver des arts vivants par devoir.


Il paraît que l'art différencie l'Homme de l'animal. La plupart des gens qui soutiennent que l'Homme n'est animal que du point de vue physiologique connaissent un bon nombre de points qui différencieraient ces deux mondes : le langage, la satisfaction des besoins, la conscience, la science, l'âme, la raison… Cependant, j'ai toujours pensé qu'il y avait plus de différences entre deux frères qu'entre un Homme et un singe, qu'entre un Homme et un pingouin ou un panda.


Il paraît que l'Homme descend du singe. La plupart des gens qui ont un minimum de cultures scientifiques précise que l'Homme et le singe ont “simplement” un ancêtre commun, et que l'Homme et le singe sont tout deux, techniquement parlant, aussi évolué l'un que l'autre. Cependant j'ai toujours pensé que, d'après la culture populaire, le progrès était plutôt une ascension.

Il paraît que tout ce qui monte finit toujours par redescendre. La plupart des gens ont tendance à associer des phénomènes physiques indiscutables à des comportements humains, et à plaquer une expression pour assurer une thèse qui ne tient sur rien. Cependant, j'ai toujours pensé que si c'était le cas, alors le jugement dernier serait en réalité une invasion de saints zombies.


Il paraît que le sage ne doit pas craindre la mort. La plupart des gens ont tous ressenti à un moment de leur existence cette peur de l'après-vie, cette terreur de voir tout ce que l'on a accompli s'éteindre en un claquement de doigt si ce n'est quelques souvenirs qui terniront inexorablement, cette impossibilité de considérer leur propre inexistence. Cependant j'ai toujours pensé que le sage devait avant tout ne pas craindre la vie, ne pas craindre de décevoir, d'échouer ou de ne rien accomplir, et que la peur de la mort protégeait de celle de la vie.


Il paraît que la vie vaut la peine d'être vécu. La plupart des gens ne comprennent pas le véritable sens de cette expression. J'ai toujours pensé que moi non plus.


Il paraît que la chambre des ados est toujours « sans dessus-dessous ». La plupart des gens pensent qu'il s'agît, soit d'une réaction hormonale tout à fait normal, soit d'un comportement parfaitement compréhensible lié à une certaine prédisposition au désordre et à la révolte, soit d'une fatigue généralisée qu'ils nomment couramment « flemme », qui provient sans doute du mot flegme. Cependant, j'ai toujours pensé que les chambres d'adultes étaient bien plus déprimantes que ces chambres chaotiques d'adolescents rêveurs, car souvent d'une sobriété effarante, d'une fonctionnalité trop fondamentale, dépourvu de tout autre réalité qu'un quotidien monocorde : j'ai toujours préféré le chaos au néant.


Il paraît que la réalité n'est qu'une affaire de perspectives. La plupart des gens concèdent ainsi que toute pensée est subjective et qu'il ne saurait y avoir une vérité manichéenne absolu. Cependant, j'ai toujours pensé que la perspective n'était qu'une affaire de réalités.


Il paraît que dans la vie, il n'y ni gentil, ni méchant. La plupart des gens définissent cela par : il y a toujours un contexte, des circonstances atténuantes, des motivations plus ou moins égoïstes, des causes et des sensibilités. Cependant, j'ai toujours pensé que les Hommes n'étaient que des corps, et que seuls leurs actions pouvaient être considérés comme bien ou mal, bien que je ne pourrai jamais reconnaître que la personne qui a mit Papa dans un fauteuil roulant soit réellement un Homme, sinon, comment en voudrais-je à une action.


Il paraît que le corps n'est qu'un réceptacle, et que seul l'âme compte, seul l'âme témoigne de la vrai beauté. La plupart des gens qui parlent ainsi se croient forts car ils se sentent capable d'aller au-delà des apparences, de voir ce que l'œil ne saurait discerner. Cependant, j'ai toujours pensé, honte à moi, qu'il était bien plus facile de tenir ce genre propos quand on est laid.


Il paraît que les yeux sont le miroir de l'âme. La plupart des gens expriment par cette phrase la capacité qu'ont les êtres humains de connaître la nature profonde de leur semblable via un simple regard. Cependant, j'ai toujours pensé que si cela était vrai, alors ce serait notre propre âme que l'on retrouverait dans les yeux des autres.


Il paraît que la nature humaine n'existe pas, que l'existence précède l'essence, et que l'on n'est que ce que l'on est, et point ce que l'on naît. La plupart des gens qui paraphrase ainsi Sartre considèrent que la nature changeante de l'être humain fait qu'il n'en a pas, que tant qu'il vit, il peut être ce qu'il souhaite ou ce qu'il ne souhaite pas et que son existence se suffit à elle-même et ne répond à aucune réelle fonction. Cependant, j'ai toujours pensé que tout comme l'absence de choix est aussi un choix, l'absence d'essence est aussi une essence.


Il paraît que lorsque l'on souffle ses bougies d'anniversaire, on peut faire un vœu, tout comme lorsque l'on voit passer une étoile filante ou quand on jette une pièce au fond d'une vieille fontaine. La plupart des gens ne le font pas passé un certain âge, puisqu'ils savent qu'il n'y a aucune raison logique que leur vœu se réalise dans ces conditions plutôt que dans d'autres. Cependant, j'ai toujours pensé que puisque les vœux n'ont pas plus de chances de se réaliser à ces moments plutôt qu'à d'autres, autant en faire plus souvent, à n'importe quelle occasion, car si on ne souhaite jamais, les vœux ne risquent pas de s'exaucer.


Il paraît que lorsque l'on regarde un ciel dégagé une nuit à la campagne, on peut voir des étoiles, et que parmi ces étoiles, certaines sont déjà mortes. La plupart de ceux qui comprennent ce phénomène vous l'expliqueront mieux que moi, c'est tout simplement parce que la lumière met du temps à se propager. Cependant, j'ai toujours pensé que tant qu'on pouvait voir les morceaux d'étoile que ces rayons représentent, alors elle ne pouvait pas être morte, et qu'elle ne mourrait que quand il n'y aura plus personne pour les admirer.


Il paraît que la lumière est à la fois une onde et un corpuscule. La plupart des gens qui comprennent quelque chose à la physique quantique, ils ne sont pas si nombreux, vous diront que les petites choses peuvent avoir plusieurs “états” simultanément, que la prépondérance de certains états étaient dus à des affaires de statistiques et d'observation. Cependant j'ai toujours pensé que était avant tout libre ; elle vogue à travers l'espace et le temps, dépourvue de masse, à une vitesse faramineuse, transportant avec elle de morceaux de passé, parcourant parfois des milliers de mondes avant de s'écraser contre nous, et de délivrer cet ultime message, ce dernier héritage : voyage.


Il paraît que l'important, ce n'est pas la destination, c'est le voyage qui y amène. La plupart des gens amènent ainsi l'idée que tout voyage permet à l'intrépide de grandir à chacune des étapes du périple, et que seul cette maturité importe en fin de compte. Cependant j'ai toujours pensé que la force de cet adage, c'est de ne pas mentionner le point de départ.

Il paraît qu'au départ, il n'y avait rien. La plupart des gens désignent par ce départ une période précédant l'Homme, précédant la matière, précédant le temps. Cependant, j'ai toujours pensé qu'aujourd'hui plus qu'hier, il n'y a rien.

Il paraît que parfois, il suffit d'un rien. La plupart des gens utilisent ces termes pour remonter le moral ou nous inciter à la prudence, que quand la balance est équilibrée, il suffit d'une poussière pour la faire pencher d'un côté ou de l'autre. Cependant, j'ai toujours pensé que ceux qui scande cette phrase comme on scande un texte trop mûrement répété oubliaient de préciser que parfois, un tout ne suffit pas, ne suffirait pas à me la rendre.


Il paraît que la balance est le symbole de la Justice. La plupart des gens pensent que c'est un symbole vachement puissant, parce que la justice mesure le bien et le mal, mesure la validité d'un point de vue, et finit par trancher. Cependant, j'ai toujours pensé que la balance qu'on lui attribue était quand même assez ringard, et qu'on devrait moderniser la Justice en lui donnant une balance d'aujourd'hui, comme ça elle pourrait peser plus précisément, mesurer avec plus d'exactitude, même si je crois qu'elle aurait l'air bien ridicule la Justice, avec une balance d'aujourd'hui.


Il paraît que le ridicule ne tue pas. La plupart des gens n'en meurent pas, c'est vrai. Cependant, j'ai toujours pensé que lorsque l'on est mort de honte, lorsque l'on est au bord du gouffre, il paraît plus facile de faire un grand pas en avant, surtout quand on est Japonais.


Il paraît que c'était mieux avant. La plupart de ceux qui partagent cette opinion, sont communément appelés des « réac » par le reste de la population. Cependant, j'ai toujours pensé que cette phrase voulait en réalité dire que la prospective d'un futur théorique était souvent bien meilleure que la perspective d'un présent pratique.


Il paraît que la théorie, c'est bien beau, mais bon… La plupart des gens qui placent ainsi la pratique au-dessus de toute théorie, comme si la théorie ne pouvait se suffire à elle seule, comme si elle n'avait pour vocation que d'être exploitée par la pratique ensuite. Cependant, j'ai toujours pensé que quand on essaie de tenir un propos sérieux, on ne finit pas sa proposition par des point de suspensions.


Il paraît que le capitalisme, c'est l'exploitation de l'Homme par l'Homme. La plupart des gens qui revendiquent ainsi une société plus humaine et juste estiment qu'il est possible de créer une Société qui ne tourne pas autour de l'argent, de la propriété et du profit. Cependant, j'ai toujours pensé qu'on avait pas besoin d'être capitaliste pour exploiter son prochain.


Il paraît que la Terre est ronde, et qu'elle tourne autour du soleil et autour d'elle-même. La plupart des gens trouvent risible de réfuter ces thèses, alors qu'ils sont parfaitement incapables de les prouver. Cependant, j'ai toujours pensé que du point de vue du parachutiste qui fait le grand saut, ça devait être le sol qui se rapprochait, le sol qui était attiré par lui et qu'ainsi, sans point de référence, on ne pouvait pas définir de mouvements.


Il paraît que les opposés s'attirent. La plupart des gens qui croient ainsi expliquer l'amour comparent ainsi les êtres humains à des aimants dont les pôles identiques sont voués à se repousser tandis que les pôles opposés ne peuvent que s'attirer. Cependant, j'ai toujours pensé que tous les aimants avaient deux pôles.


Il paraît que le père Noël vit au pôle Nord, à moins que ce ne soit en Laponie. La plupart des gens pensent qu'il n'existe pas, ni en Laponie, ni au pôle Nord. Cependant, j'ai toujours pensé que c'était idiot de douter comme ça de l'existence d'un être possible sous prétexte qu'elle est impossible, et que j'avais même la certitude de sa réalité, puisque s'il n'était pas réel, il n'y aurait aucune raison que la quantité de cadeaux qu'il m'offre d'habitude ait brusquement diminuée de moitié Noël dernier.


Il paraît qu'il faut que j'arrête de douter de tout comme ça, que ce n'est pas comme ça que j'ai été élevé. La plupart des gens ne se posent pas de questions, jamais. Cependant, j'ai toujours pensé que douter était une saine habitude, et qu'on ne pouvait pas tous vivre dans l'ignorance.


Il paraît qu'on ne souffre pas de ce qu'on ignore. La plupart des gens ne comprennent pas qu'ignorer est polysémique, qu'il peut vouloir dire « ne pas connaître », mais qu'il ne peut tout aussi bien vouloir dire « ne pas savoir », et qu'on peut souffrir de ce qu'on connaît mais qu'on ne sait pas. Cependant, j'ai toujours pensé que ça ne servait à rien d'énumérer les causes de souffrance, et que je serai franchement reconnaissant si quelqu'un pouvait me dire ce qui cause l'agrément.

Il paraît que la souffrance nous rappelle que l'on est en vie. La plupart des gens qui sont en vie, souffrent, c'est indéniable. Cependant, j'ai toujours pensé que l'on avait aucun moyen d'être sûr que la mort menait à l'indolence.


Il paraît que la technologie signe la mort de l'humanité. La plupart des gens qui affirment par là que les appareils que nous utilisons nous éloignent les uns des autres sont nostalgiques d'une époque qu'ils seront bientôt les seuls à avoir connus, et que d'autres revendiqueront bien assez tôt. Cependant, j'ai toujours pensé que si quelque chose devait un jour signer la mort de l'humanité, ce serait l'humanité, ou alors les épinards.


Il paraît que les épinards sont bons pour la santé, et qu'il faut d'ailleurs manger 5 fruits et légumes par jour, et éviter de manger trop salé ou trop sucré, et limiter sa consommation de viande, et faire attention aux produits dangereux pour la santé comme les plats surgelés, et ne pas encourager l'esclavagisme de nos frères et à la destruction de l'environnement en consommant certains aliments comme l'huile de palme, et manger équilibré, et manger de tout, et ne pas trop manger. La plupart des gens qui respectent tous ces principes sont parfaitement admirables pour les efforts qu'ils font, et rigoureusement détestables pour les remarques qu'ils font sur notre alimentation dépravée et irresponsable. Cependant, j'ai toujours pensé que les épinards, c'est vraiment pas bon.


Il paraît que partout dans le monde, de l'autre côté de la terre comme à quelques rues de chez nous, des gens souffrent d'une alimentation qui n'existe pas, et meurent de faim. La plupart des gens s'apitoient sur leur sort une fraction de seconde, puis détournent le regard, préférant résoudre leur problème qu'ils savent solubles. Cependant, j'ai toujours pensé que l'inadmissibilité de cette situation n'avait d'égal que ma propre impuissance, alors je pleure pour eux, en sachant que ça n'aidera pas plus.


Il paraît que les hommes, ça ne pleure pas. La plupart des gens qui vantent cette prouesse pensent qu'il s'agit là d'un trait vide de toute virilité, visiblement risible en vérité. Cependant, j'ai toujours pensé que dans ce cas, rien n'est plus viril qu'un caillou.


Il paraît que le genre ne signifie pas le sexe, qu'on peut naître homme dans un corps de femme, qu'une femme peut naître dans un corps d'un homme, que le bout de chair qui se développe et pourrit entre nos jambes n'est pas toujours représentatif de ce que l'on est. La plupart des gens qui soutiennent cette théorie, qui défendent les droits des ‘'trans-genres'', sont souvent confrontés à la virulence d'autres gens, plus conservateurs. Cependant, j'ai toujours pensé que l'Homme n'avait pas besoin d'être défini par un genre, que ce mouvement qui prône l'abolition des frontières de l'humain en bâtissaient juste des nouvelles.


Il paraît que le sexe sans amour, c'est comme Noël sans œufs de Pacques. La plupart des gens ne sont, soyons honnête, pas partisans de cette maxime allemande et de la pratique du ‘'plan Q''. Cependant, j'ai toujours pensé que…, que je ne comprenais pas la moitié des termes que je viens d'employer.


Il paraît que la somme infinie des termes d'une suite tend parfois vers un élément fini. La plupart des gens ont cessé de comprendre les mathématiques dès lors qu'elles se sont garnis de lettres. Cependant, j'ai toujours pensé que ces mathématiques étaient si belles, si humaines, si poétiques.


Il paraît que la politique est une forme de poésie, que les discours de campagne se font en vers et que les applications du pouvoir se font en prose. La plupart des gens ne croient plus en la politique. Cependant, j'ai toujours pensé que c'était une bien triste époque pour être poète.


Il paraît que les musiques tristes rendent heureux. La plupart des gens ont une explication à ce phénomène ; certains soutiennent qu'il s'agit là d'une forme de catharsis, d'autres que c'est simplement l'expression de notre sadisme. Cependant, j'ai toujours pensé que les musiques tristes ne rendent heureux que les gens heureux, et j'affirme que ce n'est ni un remède, ni un vaccin.


Il paraît qu'il y a une explication à tout, que chaque phénomène résulte d'un ensemble de causes et conduit à une cascade de conséquences. La plupart des gens reconnaissent cette pensée déterministe qui effraie ceux qui considèrent qu'elle sabote leur liberté. Cependant, j'ai toujours pensé que rien n'avait de conséquences, mais est-ce vraiment depuis toujours..?


Il paraît que vous ne m'enlèverez pas, ma liberté de penser. La plupart des gens n'écoutent plus les paroles des chansons, leur sens, leur vérité. Cependant, j'ai toujours pensé que je préférerais mille fois posséder la liberté de ne pas penser.


Il paraît que la vérité sort de la bouche des enfants. La plupart des gens ne considèrent pas les enfants comme des personnes, ne voient dans ces mots qu'ironie et sarcasme. Cependant, j'ai toujours pensé qu'on retrouve souvent dans la bouche des enfants la vérité des parents, mais également et surtout une langue et deux rangées de dents ; voilà ma vérité.


Il paraît que la langue forge l'esprit comme le sculpteur façonne ses enfants. La plupart des gens ne voient leur langage que comme un outil, comme la glaise du sculpteur. Cependant, j'ai toujours pensé, bien naïvement peut-être, que derrière chaque langue se cachait un même monde, celui des idées, et que lorsque l'on est dépourvu du fardeau de la parole, on apprend à mieux penser.


Il paraît que l'on porte tous ses propres fardeaux, et qu'il est vain de comparer leur poids. La plupart des gens n'arrivent même pas à supporter leurs propres maux, comment pourraient-ils décharger ceux des autres ? Cependant, j'ai toujours pensé que si jamais un miracle se produisait, qu'un génie ou un Dieu me proposait d'échanger mes peines contre quelqu'un d'autre, peu importe qui, j'accepterai… je suis las de l'immobilisme, des larmes, des désespoirs et de l'inconscience.


Il paraît que la dépression, c'est quand l'envie de vivre se meurt et que le désespoir, c'est quand l'envie de mourir s'efface elle aussi. La plupart des gens ne peuvent pas comprendre, ce n'est pas de leur faute, ils en sont incapables. Cependant, j'ai toujours pensé que les suicidaires devraient s'estimer heureux d'avoir le choix de la mort, de pouvoir jouir à leur guise de leur existence, de leur fin.


Il paraît qu'au moment de la fin, on voit toute sa vie défiler devant ses yeux. La plupart des gens qui en témoignent sont des menteurs. Cependant, j'ai toujours pensé que les aveugles devaient s'ennuyer quand ils décédaient.


Il paraît que l'amour rend aveugle. La plupart des gens pensent que l'amour rend simplement con. Cependant, j'ai toujours pensé que ce qui rendait aveugle, c'était plutôt la cécité.


Il paraît que les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. La plupart des gens qui boivent de l'alcool savent bien que cet étonnant breuvage possède la curieuse propriété de supprimer l'inhibition, et qu'ainsi, l'alcool rend con. Cependant, j'ai toujours pensé qu'il valait mieux être saoul que sot, ça dure moins longtemps, le temps de prendre le volant et de détruire des vies.


Il paraît qu'il y a longtemps, aux temps jadis, l'Homme avait la foi et croyait en un tas de pensées absurdes et infondées. La plupart des gens qui se sont tenus à mes cotés doivent venir de cette époque, puisqu'ils n'arrêtent de me déblatérer leurs stupides espoirs, leurs théories infâmes, disent à mon père qu'il faut tâcher de vivre, que des accidents surviennent tous les jours, qu'il existe des centaines d'handicapés pour qui tout roule, des milliers de veufs qui parviennent à retrouver l'amour, des millions de pères qui n'ont pas la chance de pouvoir dire adieu à leurs enfants, des milliards de rescapés mais trop peu de survivants… Cependant j'ai toujours pensé. Et je n'en peux plus de penser, d'entendre sans pouvoir agir, de sentir chaque seconde un infinité de pensées me transpercer le crâne. Nous ne sommes pas libres et égaux, en rien.

Signaler ce texte