Petit Pierre

Jean Claude Blanc

un personnage ordinaire, paysan à la retraite poursuit sa tâche

                                     Petit Pierre

Plus de 80 berges, ne les fait pas

Il bêche, sème, coupe du bois

Pour ses amis, c'est pas un rat

Pourvu qu'il en recueille l'estime

Ayant perdu sa légitime

 

Même s'il n'est pas mou comme une chique

Pour se déplacer, se fait pas flic

A une bagnole automatique

Mis au rancard sa mobylette

Pas besoin de permis, sa fourgonnette

 

Y'a pas plus joviale compagnie

Tant son langage est fleuri

Bavard, curieux comme une pie

Sait tout ce qui se dit dans le pays

 

Pas le dernier pour faire la fête

Royalement celle du cochon

Pour le saigner, sacré athlète

Amateur de lard, de saucissons

Sans abuser, car vu son âge

Voudrait pas faire son paquetage

 

Pour un coup de rouge, ne dit pas non

Juste une lichette, c'est de bon ton

Car les coutumes, faut respecter

Trinquer au verre de l'amitié

 

Comme il y va de sa santé

Fait boire les autres, ce vieux rusé

Pour qu'ils lavent la chemise aux voisins

Une fois grisés, que de potins

 

Squelettique mais dynamique

Qu'un coup de bise peut emporter

A chacun donne la réplique

Toute la semaine faut travailler

Pas se prélasser devant la télé

 

Pour un coup de main, c'est un vrai pote

Débarque de suite, chaussant ses bottes

Ne s'agit pas de lambiner

Lui bille en tête, chef de corvée

 

Il en démontre à cette jeunesse

Même éreinté, se bouge les fesses

La sienne est morte, et puis après

De gré de force faut continuer

Cette putain de vie, se la gagner

Jamais ne s'en plaint de son existence

Résolu à sa fatalité

Garde pour lui tout ce qu'il pense

Sachant qu'il est né pour en chier

 

Pas de dépenses démesurées

Pour s'habiller à moindre frais

Le même veston depuis des années

Futal lustré et rapiécé

 

Fier de ses gosses, qu'ont réussi

Même s'ils regrettent qu'ils soient partis

Bien trop heureux de les vanter

Pour les avoir bien éduqués

 

Homme à tout faire, n'a pas de prix

Pour les mamies, c'est le grand cri

Plante des fleurs, fauche les orties

Répare les robinets qui fuient

N'exige que, l'ouvrage fini

Qu'un sucre trempé dans l'eau de vie

 

Pas de dimanches, ni de jours fériés

Sa petite retraite bien maigrelette

Pour l'ordinaire l'améliorer

Se retrousse les manches pour une rincette

 

Va au village que pour ses courses

Qu'une fois par semaine, plate sa bourse

Couronne de pain et pâté de foie

Ça lui suffit, pas délicat

 

Seul dans sa turne sur la montagne

N'a pas retrouvé douce compagne

Finalement bien mieux chez lui

Peinard sans bruit en son gourbi

 

Mais difficile vivre en ermite

Souvent s'en va rendre visite

A ses intimes, à l'improviste

Tire vite une chaise, si on l'invite

 

Bien accueilli, naturellement

Car de services tellement il rend

C'est l'occasion de commenter

La météo, l'actualité

 

Qu'il soit bizarre de caractère

D'humour salé, parfois amer

Pour nous restera, notre petit Pierre

Que l'on suivra jusqu'en enfer

Enième illustre personnage

Que je vous offre pour sa sagesse

De ses vertus, j'en fais des pages

Même si modeste, ça le blesse

 

Moindre des choses d'être solidaire

De ce dur à cuire, solide grand-père

Qui n'a de cesse, piocher la terre

Scrupuleux de la parfaire

Pour satisfaire ses congénères

 

« Pauvre Petit Pierre, pauvre misère »

C'est du Brassens à ma manière

Creuse pas sa tombe, bien au contraire

De se défoncer, lui passe les nerfs

 

En a revendre de l'énergie

Pas de près de fermer son parapluie

Encore rêve d'une chérie

Pas une ancienne, une fille jolie

 

Evidemment qu'une plaisanterie

Dans sa baraque, y'a que des souris

Mais des sales bêtes, sauvages rebelles

Leur met des pièges cruels, mortels

 

Quand on évoque sa condition

De vieil homme seul à l'abandon

Ainsi se joue des cornichons

Détourne la conversation

Folle illusion ses allusions

 

Encore en forme et fin d'esprit

S'en moque pas mal qu'on se moque de lui

Ne manque pas de répartie

Mime ceux-là même qui le charrient

Qui pigent rien, trop mal appris

 

Modèle d'auguste auvergnat

En son patois fouchtri-fouchtra

De le gruger, ça risque pas

Compte ses sous sans faire d'extra

 

Riche de bruyère et de forêts

Qu'il n'a pas le temps de contempler

Pour son bonheur d'en être comblé

Son cœur pourtant est guilleret

Et c'est pourquoi, quand je viens ici

Soudain s'effacent mes soucis

Libre comme l'air, enfin je respire

Comme Petit Pierre, veux pas faiblir     JC Blanc juin 2017  (autre personnage de mon pays)

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