Plages noires de morts
Jean Claude Blanc
Plages noires de morts
C'est beau, l'été, le sable, la plage
La mer charrie sur le rivage
Des tas de bouteilles, pleines de messages
Cette fois c'est le jour d'un enfant sage
Comme une image, qu'a fait naufrage
A peine 4 ans, est allongé
Semblant jouer avec les vagues
Son petit corps est balloté
De faire le mort, pas drôle la blague…
Visage paisible, on croit qu'il dort
Suce son pouce, ce trésor
Pas besoin pousser la chansonnette
Par cette chaleur, doit faire la sieste
Visage d'ange, ferme les yeux
Belle créature du Bon Dieu
Y'a plein de sel dans ses cheveux
Sûrement chanceux, béni des cieux
Vraiment touchant que ce tableau
Mais difficile peinture à l'eau
En apparence gentil marmot
Aucun sanglot dans ses yeux clos
Débarque du large océan
Poussé dans le bon sens du vent
Mais d'où vient-il, ce petit oiseau
Juché sur la crête des flots
Sorte de touriste de l'improviste
Pas du club Méditerranée
Mais l'improviste pas un pays
N'y a pas de place pour réfugiés
Aucun bagage, pas de famille
Ce petit Etre qui oscille
Au gré de la brise et des marées
La mort encore recommencée…
Tellement tranquille, on croit qu'il rêve
A ses potes échoués sur la grève
Même destin sans aucune trêve
De dériver, même on en crève
Dépenaillé et les pieds nus
A dû partir à la va vite
Car ce gamin, pauvre inconnu
On ne sait pas où est son gite
La mer accueille les clandestins
Et nos manies pour faire le mal
Mais nous renvoie rôle d'assassins
Y'a rien à dire, tout est légal
Petit garçon, frêle innocent
Accompagné de ses parents
A cru mieux vivre en occident
A pris la fuite pour le néant
Chez lui, là-bas c'était la guerre
Y'avait des méchants tortionnaires
Mais à tout perdre a préféré
Tenter l'impossible traversée
Bandes d'étrangers, mal embarqués
Sur une sorte d'Arche de Noé
Mais pas gratos, ont dû raquer
Sans même savoir, où ils allaient
Fallait surtout, se la fermer
Les convoyeurs sont malfaiteurs
Qui sur leur dos, se font leur beurre
Sans aucune pièce d'identité
Le résultat est consternant
Les voyageurs ont coulé
Destination fond de l'océan
Reste quelques corps à repêcher
Mais dans la presse, il fait la une
Est devenu une vedette
Chétif squelette qui végète
Se putréfiant sur une dune
Une seule photo aura suffi
Pour que les vertueux se réunissent
Les présidents d'Europe, unis
Vont faire un geste pour ce supplice
D'autres viendront prendre la relève
Pour y mourir, sourire aux lèvres
En prétendant aimer la vie
Cette existence qui nous ennuie…
C'est beau l'été, le sable, la plage
Suis pas adepte du bronzage
Sur ce cadavre, j'en fais des pages
Qui s'est noyé, à fleur de l'âge
Vont rappliquer les gardes côtes
Pour que demain, tout soit bien propre JC Blanc sept 2015 (modeste hommage aux suppliciés)