Plus seuls

C'est une bonne mère, le corps déformé par les nombreuses grossesses et des années de durs labeurs, les murs, même la cuisinière sont gris, celle-ci a tant donné. Le buffet expose de vieilles photos en noir et blanc, les plus belles pour moi et les plus émouvantes, tout semble d'un autre temps, la télé en couleurs semble un anachronisme. Aux côtés de la bonne vieille, veille un vieux monsieur occupé à réparer le panier en osier qui en a porté du pain et des légumes du jardin. Pas un signe de la terre, elle aussi est fatiguée, elle a froid, presque peur mais pourquoi? Peur du temps qui passe, peur de la pluie et de l'hiver, sur la commode la poussière danse parmi les bibelots qui indiquent le temps, bleu pour le mauvais temps, rose pour quand il fait soleil, ça amuse les enfants. 

Les couleurs sont des signes de vie partout où elles paraissent, elles habillent la bonne mère d'un vieux tablier jaune à carreau vichy, éclairent la table de la cuisine d'un blanc éclatant qu'elle repasse encore, elle voudrait tant qu'un arc-en-ciel entre dans la cuisine, aux beaux jours elle laisse toujours une fenêtre ouverte pour l'inviter à entrer. Non, la vie de la bonne vieille dame et son bon monsieur n'est pas triste, elle a juste besoin d'un appel, d'une sonnerie de téléphone qui leur montrent qu'on ne les oublie pas, dans le placard on range la poupée de la petite Caroline pour les jours où elle vient accompagnée de sa nounou et de son jeune frère. Jours sacrés que ceux-là, on met le tourne-disque en marche, on danse, on fait des rondes, même avec un corps déformé, fatigué. On sort la boîte de cacao et on fait du chocolat, les journées peuvent être belles dans la vieille maison gris arc-en-ciel. Toute la maisonnée alors sort dehors, dans le jardin aux petites fleurs qui poussent la terre pour montrer qu'elles sont là.

C'est une bonne vielle dame et son bon vieux monsieur, des grands-parents d'autrefois qui rendent les contes vrais et les journées radieuses quand ils ne sont plus seuls.