Polissonneries d'anges

violetta

Sur un océan de nuages. Deux anges gardiens s’ennuient. Heureusement, il se passe des choses, en bas…

ANGE D’ELLE - Ca y est, ils remettent ça !

ANGE DE LUI - Encore ? C'est la tienne qui a commencé, bien sûr.

ANGE D’ELLE - Eh non ! C’est le tien qui est à l’origine de la chose… Il avait une insomnie cette nuit. Tu sais ce que c’est…

ANGE DE LUI - Comment le saurais-je ? Depuis quand les anges auraient-ils des émois sexuels ?...

ANGE D’ELLE - Ce que tu es lourd, tu peux imaginer, tout de même !

ANGE DE LUI - Si le Très-Haut nous avait dotés d’imagination, où irait le monde ? Tu as de l’imagination, toi ?

ANGE D’ELLE - Je n’en ai pas besoin… Il me suffit d’observer ce qui se passe sur Terre. Regarde : ton humain est en train de glisser sa main entre les cuisses de mon humaine.

ANGE DE LUI - Elle l’a sûrement bien cherché.

ANGE D’ELLE - Non, elle dormait, je t’assure… C’est peut-être ça qui l’a excité, lui. Tu sais, il paraît que les humains ont des fantasmes.

ANGE DE LUI - Les pauvres, le patron ne les a tout de même pas gâtés. Il leur a mis sur le dos la honte, la culpabilité, la tentation, et les sept péchés capitaux par-dessus le tout ! Plus quelques péchés véniels pour faire bonne mesure… Quoi qu’ils fassent, ils ont le choix entre raison et devoir, ou plaisir et châtiment ! Alors, les fantasmes, ce n’est qu’un petit malheur en plus…

ANGE D’ELLE - Tu n’y es pas du tout ! Les fantasmes, c’est plutôt un cadeau ! Ils peuvent imaginer tout ce qu’ils n’ont pas le droit de faire !

ANGE DE LUI – Pécher par la pensée est aussi condamnable que de pécher par les actes...

ANGE D’ELLE – Tais-toi, j’ai l’impression d’entendre le patron... Fantasmer n’est pas pécher.

ANGE DE LUI - Tu es fou, parle moins fort, tu vas te faire virer !

Un ange passe…

ANGE D’ELLE regarde les deux humains qui se caressent et reste songeur.

ANGE DE LUI - Ton histoire de… fantasme, là… c’est quoi exactement ?

ANGE D’ELLE sans s’arracher à sa contemplation - Le fantasme, c’est du rêve… Mais pas un rêve incohérent et capricieux, comme ceux que nous envoyons aux humains dans leur sommeil. C’est un rêve construit par l’humain lui-même, un rêve élaboré, raffiné comme le sucre est raffiné, c'est-à-dire débarrassé des scories et impuretés qui le rendaient imparfait. Un fantasme c’est un rêve parfait…

ANGE DE LUI - Dis donc, mon humain me semble être en train de passer du rêve à la réalité…

ANGE D’ELLE – A-t-il raison ? Le problème avec les fantasmes, c'est que dès qu’ils sont réalisés, il faut en trouver d’autres… Réaliser un fantasme, c'est superposer la réalité au rêve. C'est dénaturer pour toujours un idéal, une fantaisie personnelle, un désir secret que dans son esprit, on imaginait parfait. Ce n'est jamais plus aussi excitant que la première fois.

ANGE DE LUI – Alors pourquoi les humains passent-ils aux actes ? Ils ne connaissent pas ce risque ?

ANGE D’ELLE – Si, mais ils espèrent toujours que leur fantasme à eux fera exception à la règle… Les plus fous vont de plus en plus loin, c’est l’escalade sans fin, l’insatisfaction perpétuelle… Seuls les plus sages veillent à en garder quelques uns, juste pour eux, dans un coin de leur esprit, intouchables... C’est une forme d’ascèse, en un sens…

ANGE DE LUI : Explique-moi tout de même en quoi lutiner une femme endormie est un fantasme ?

ANGE D’ELLE, s’enflammant – Mais bougre de nigaud , tu n’as jamais entendu parler du « fantasme de la belle endormie » ? C'est le genre de fantasme qu’on peut concrétiser sans risque d’en réduire l’attrait. C'est une situation délicieuse et troublante, où un homme découvre une femme profondément endormie, dans un lieu souvent étrange et inattendu… C’est très lent et langoureux… Il prend le temps de l’observer, de profiter de l’abandon du sommeil pour scruter chaque parcelle de son corps… C'est encore mieux si elle n’est pas totalement nue. Il doit prendre des précautions infinies pour découvrir les parties du corps qui l’intéressent le plus. Soulever une jupe pour découvrir une culotte bien tendue sur des fesses rebondies… Ecarter ladite culotte pour voir la…

ANGE DE LUI – Ca va, j’ai compris ! Parle moins fort, je t’ai dit… Nos deux énergumènes, en tout cas, ils ne peuvent pas voir grand-chose : ils sont dans le noir…

ANGE D’ELLE – C’est là que les autres sens entrent en jeu. Entendre le souffle de l’amante… Effleurer sa peau… Humer le creux de son aisselle ou de son aine… Lécher sa nuque…

ANGE DE LUI – Il faut qu’elle ait le sommeil lourd, l’endormie !

ANGE D’ELLE – Il faut surtout qu’elle soit complice du fantasme de son amant. Les fantasmes partagés, ce sont les meilleurs ! Même si elle se réveille, elle se prête au jeu. Elle l’aide, même !

ANGE DE LUI - Comment cela ?

ANGE D’ELLE - Elle bouge un peu pour rendre plus accessible quelque endroit secret qu’elle sait désiré par l’amant, par exemple. Elle change de position, pousse quelques soupirs, puis semble se rendormir : dans cette nouvelle posture, elle offre d’autres parties de son corps à l’exploration amoureuse…

ANGE DE LUI – C’est exactement ce qui en train de se passer en bas… Mais comment sais-tu tout cela ?

ANGE D’ELLE – Je suis un ange gardien très professionnel et consciencieux. Les consignes sont de se documenter sur les mœurs des humains, c’est ce que j’ai fait.

ANGE DE LUI – Avec beaucoup de zèle !

ANGE D’ELLE : Je n’en ai que deux.

ANGE DE LUI - ???

ANGE D’ELLE - DEUX AILES !

ANGE DE LUI – Ah c'est fin !

ANGE D’ELLE – Mieux : c’est spirituel !

ANGE DE LUI - Tu es vraiment un drôle d’ange. Cela fait pourtant un sacré bout de temps que je travaille avec toi, et tu me surprends encore. Mais ce qui me surprend le plus, sans vouloir te vexer ni t’inquiéter, c'est que tu n’aies pas été muté à une autre fonction.

ANGE D’ELLE – Ah bon ? Pourquoi cela ?

ANGE DE LUI – Je te trouve un peu limite, parfois… Pas vraiment religieusement correct… Oh ! Regarde ! Ca y est, il est en train de… de la… enfin, il…

ANGE D’ELLE, fataliste : Il la baise

ANGE DE LUI : Glurps… Tu me fais rougir.

ANGE D’ELLE, avec tristesse : Nous ne rougissons pas, tu le sais bien. Nos émotions ne se trahissent par aucune manifestation physique. D’ailleurs nous n’avons pas de vraies émotions… Pas comme eux, en bas. Regarde avec quel bonheur et quelle insouciance ils se livrent à leur vice favori.

ANGE DE LUI, troublé et bredouillant – En tout cas, si je pouvais rougir, je rougirais… Et puis je ne te comprends pas, tu leur donnais raison tout à l’heure, et là tu reconnais qu’il s’agit d’un vice !

ANGE D’ELLE indifférent aux remarques d’ANGE DE LUI – Ca alors ! On dirait qu’elle me regarde dans les yeux ! Elle regarde vers nous, comme c’est troublant. Attends, tais-toi, elle dit quelque chose, laisse-moi entendre… oui… C’est ça… Elle dit à son amant « S’il y avait un miroir au plafond, on s’y verrait comme pourraient nous voir les anges s’ils existaient… » S’ils savaient que nous les voyons… Mais qu’elle arrête de regarder vers nous comme ça, c'est insoutenable, à la fin !

ANGE D’ELLE se détourne, frémissant.

ANGE DE LUI captivé malgré lui – C’est beau à regarder, surtout qu’ils ne savent pas qu’ils sont observés ! hi hi hi… Oh la la, il la retourne ! Elle se laisse tout faire, la cochonne…

ANGE D’ELLE – Tu es un sale voyeur. Et tu emploies de drôles de mots, pour un ange qui se prétend aussi « orthodoxe » !

ANGE DE LUI – Pardon ?

ANGE D’ELLE – Si tu avais ce qu’il faut là où il faut, tu te branlerais en les regardant faire l’amour, avec des pensées sales plein ta sale tête de sale ange frustré.

ANGE DE LUI – Et si c’était mon fantasme à moi, de regarder sans être vu ?...

ANGE D’ELLE– Raconte, ça m’intéresse…

ANGE DE LUI – Je voulais juste m’assurer que j’avais bien compris ce qu’était un fantasme… Mais tu sais, je crois que je pourrais te surprendre aussi.

ANGE D’ELLE – Eh bien vas-y, essaie.

ANGE DE LUI fermant les yeux et prenant son inspiration – Tu te souviens du film qu’on nous a fait visionner, dans le cadre du programme d’immersion culturelle humaine ?

ANGE D’ELLE, blasé – Gorge profonde ? L’empire des sens ? Emmanuelle ? Histoire d’O ? Ca glisse au pays des merveilles ? Blanche-Miche et les sept mains ? Merlin l’emmancheur et sa braguette magique ? A nous les petites coch....

ANGE DE LUI – Non ! Ceux-là sont prévus en stage de perfectionnement niveau IV, je ne suis pas encore arrivé jusque là. Je te parle des Ailes du désir…

ANGE D’ELLE, grave - Der Himmel über Berlin…

ANGE DE LUI – Exactement ! Eh bien tu te souviens de la trapéziste ?...

ANGE D’ELLE – Quel ange ne s’en souvient pas ? Elle nous a tous rendus fous… C’était plutôt risqué de la part du patron de passer ce film en stage de niveau II. Il m’étonnera toujours ! Quel rapport avec toi ?

ANGE DE LUI, l’attention captée par ce qui se passe en bas – Attends, c’est lui qui nous regarde, maintenant. Elle est plantée sur lui, tu te rends compte ? Ce n'est pas une position homologuée, ici…

ANGE D’ELLE – Il ne nous regarde pas ! Il a les yeux fixés sur ses seins ! Les mains aussi, d’ailleurs… Hé ! Mais que fais-tu ?... Ne me touche pas !

ANGE DE LUI, confus – Excuse-moi, je voulais voir ce que ça faisait d’avoir ça dans les mains…

ANGE D’ELLE – Mais on n’a pas de « ça », ni de « ça », ni rien ! Nous n’avons pas de sexe, pas d’émotions. Mais nous avons l’immortalité. Tu parles d’un cadeau…

ANGE DE LUI – Justement, j’en reviens au film. Quand Damiel, séduit par l’âme et la grâce de la trapéziste, décide de devenir pour elle humain - et donc mortel – eh bien j’ai ressenti le désir de… tu vas me dire que je suis fou… j’ai eu envie de faire comme lui…

ANGE D’ELLE, regardant ANGE DE LUI comme s’il le voyait pour la première fois – Continue…

ANGE DE LUI – C’est tout.

ANGE D’ELLE – Comment ça, « c’est tout » ? Tu commences à me raconter quelque chose de passionnant et tu t’arrêtes comme ça ?! Mais dis donc… Tu en connais beaucoup des humaines ?...

ANGE DE LUI – Euh.. non.. C'est-à-dire... j’en connais une…

ANGE D’ELLE – La mienne ?

ANGE DE LUI – Ben oui, elle est souvent avec mon humain, alors forcément !!! Elle n'est pas trapéziste, mais tant pis.

ANGE D’ELLE – Tu sais que tu me donnes une idée ?...

ANGE DE LUI – Tu m’inquiètes, là !

ANGE D’ELLE – Il n'est pas mal, ton humain…

ANGE DE LUI – Tu veux-tu dire que ?...

ANGE D’ELLE – On va descendre sur terre.

ANGE DE LUI – Mais, les autres ?

ANGE D’ELLE - Les autres humains ?

ANGE DE LUI – Non, les autres anges !

ANGE D’ELLE – Ils continueront à se balader en chemise de nuit, pour l’éternité ! Ils ne s’apercevront même pas qu’on n’est partis. Tiens, j’ai une idée : on va laisser nos ailes et nos chemises de nuit sur des portemanteaux, tout le monde croira qu’on est encore là !

ANGE DE LUI – Ce ne sont pas des chemises de nuit mais des aubes. Mais ne te donne pas ce mal. Regarde bien autour de nous : nous ne sommes pas les premiers à concrétiser ce… fantasme. Je ne sais pas si on trouvera des portemanteaux de libres !

ANGE D’ELLE – Mais alors… ton humain et mon humaine, ils sont les derniers à avoir des anges gardiens ?

ANGE DE LUI – Sans doute. Parmi les derniers, en tout cas

ANGE D’ELLE – Mais alors, il n’y a plus que nous deux ou presque à faire les zouaves ici ?!

ANGE DE LUI – Comment savoir ? C'est grand, le paradis ! C’est long l’éternité ! Tu sais, Woody Allen disait « L’éternité c’est long, surtout vers la fin. »

ANGE D’ELLE – Il disait aussi : « Je ne sais pas s’il y a une vie après la mort, mais au cas où je prends un slip de rechange. »

ANGE DE LUI – N’empêche, si on descend, on ne pourra plus les regarder faire l’amour, comme ça, d’en haut… C’était beau !

ANGE D’ELLE – Tu vois, vieux, c'est ce que je disais tout à l’heure : quand tu réalises un fantasme, tu prends un risque…

ANGE DE LUI – Tiens, regarde, elle est en train de le… enfin elle a pris son… dans sa…

ANGE D’ELLE – Oui elle est en train de le sucer, de lui turluter le chinois, de lui tailler une pipe, de lui téter le nœud, de lui mâchouiller le bricolet, de lui brouter la tige…

ANGE DE LUI – Et lui il et en train de… de la… lécher…

ANGE D’ELLE – Il lui fait minette, il la broute, il lui déguste la case trésor, il lui bouffe le frifri, il lui picore le bonbon, il lui mamoure le bibelot… J’ai des lettres, tu apprécieras le florilège d’expressions !

ANGE DE LUI – On pourra faire ça, nous ?

ANGE D’ELLE – Un 69 ? Ensemble ?! Ah non alors ! Je ne pourrai jamais faire ça avec un ancien collègue de travail !

ANGE DE LUI – Avec eux.

ANGE D’ELLE – Alors là… Tu me poses une colle. Ils faisaient comment, là, dans ton film ?...

ANGE DE LUI – Pourquoi tu me le demandes ? Tu l’as vu comme moi, pendant le stage.

ANGE D’ELLE – Je vais te faire un aveu, mais ne le répète à personne ! Je me suis endormi…

ANGE DE LUI – Et dire que je te prenais pour un ange digne de confiance !

ANGE D’ELLE – Tout le monde peut se tromper ! Dis… Avant de descendre… On pourrait peut-être voir si ça nous plaît, si on aime ça…

ANGE DE LUI – Ca quoi ?

ANGE D’ELLE –S’embrasser. Juste pour voir…

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Extrait du recueil "Ainsi va la vie" déposé à la SGDL

  • En me baladant sur les sentiers de WLW, je retombe sur cette jolie saynète que j'avais déjà commentée ! Toujours aussi plaisante et coquinement mutine ! Il y a des sites où mettre les pièces (leproscenium, par exemple).
    Avez-vous écouté, de Jeanne Cherhal, "les nuits d'une demoiselle 2.0", une version branchée de celle de Colette Renard ?

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Cher Astrov, vous ne pouvez imaginer à quel point votre commentaire me fait du bien... Je n'écris plus rien, plus aucune fantaisie ne m'habite (pas de mauvais jeu de mots, s'il vous plaît). Je relis mes textes et ai du mal à croire que j'ai pu les écrire un jour. J'espère que vous allez bien.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Evelyne lagarde clio 6 redim

      violetta

  • Il faut prendre quoi pour écrire ce genre de choses ?

    C'est un joli délire, avec des certains passages qui m'ont bien fait rire (bon je sais pas si c'était vraiment le but recherché, mais...c'était assez cool)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Avat

    hel

    • Il ne faut rien prendre ! Il faut juste se dire un jour : S’il y avait un miroir au plafond, on s’y verrait comme pourraient nous voir les anges s’ils existaient…

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Evelyne lagarde clio 6 redim

      violetta

  • A la lecture on se sent pousser des ailes dans le dos, mais ça déchire la peau et ça fait mal.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Ic16 orig

    pouetpouet06

  • Bien vu ! Cette chanson a en effet été une de mes sources d'inspiration.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Evelyne lagarde clio 6 redim

    violetta

  • Très joli dialogue céleste! Les expressions utilisées par les anges m'ont fait penser à la chanson de Colette Renard "Les nuits d'une demoiselle".

    · Il y a presque 11 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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