Prénature

Christian Lemoine

Le ciel bleu qui criait au-dessus des arbres. Et les odeurs ! les parfums de la forêt exaltés de chaleur ; la terre, les feuilles mortes, les branches brisées tombées au sol. Simplement, les écorces. Ou les fougères grillées ramassées en tapis craquant. Les parfums de la forêt haussaient le ton, aussi bruyants qu'un fruit trop sucré. Troncs, branches, écorces : l'exhalaison sèche et moussue des fagots dans la mée mariée à l'empyreume des suies aux abords du foyer. Les feuilles mortes, fragrance chaude et froissée, elle aussi un peu acide. La terre ; l'arôme de la terre ; âpre, granuleux, presque corrosif, entre l'onctueux et l'abrasif. Flottait dans l'air une illusion de printemps. Le bouquet du ciel bleu, un mélange de citron et de sel enrobé de meringue. Une saison décalée, arrivée trop tôt, sans que les complots floraux aient eu le temps d'allumer les alertes. A peine les premiers balayages safran des jonquilles, les premières larmes blanches des perce-neiges. A peine le murmure aquarel des crocus et des primevères. Les apex vert flambant des feuilles à venir ? Pas encore. Et le ciel, la tenture sans ourlet ni couture. Un drap presque uniforme à la pureté mortifère. Tout psalmodiait l'indécence et la clémence outrancière des effluves printaniers pris dans l'hiver envoûté. Ployant déjà sous la menace des rançons.
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