Présent de l'indicatif

Christian Lemoine

Revient le temps des écorchures, les façades grillagées qui balafrent les jours ; le temps des engelures, celles qui craquent aux jointures et dénient au souffle le pouvoir de la survie ; le temps d'une interminable hivernation. De la vie se meut quelque part, cependant, et des bruits, des rumeurs. Au-delà des cloisons, quelque signe d'un habitant invisible. Ou un simple rejet d'une mémoire engourdie ? Sur les gazons flétris glissent des nappes translucides, des flaques étendues ainsi que des étangs, et tout aussi paisibles. Silence et calme. Mais le ciel est trop clair, le vent trop perçant ; aucun vêtement ne sait prémunir des frissons. Revient le temps des camisoles de l'esprit, en quoi il se conforme, se réconforte et s'abîme. Cellule capitonnée ; pour que les cris ne s'en échappent ? Pour qu'aucun son surgi du dehors ne trouble l'errance tranquille d'une âme en déshérence ? L'un et l'autre : surface polie et froide où rebondissent vers leur vacuité, en paraboles dénaturées, les échos des grands vides et les hurlements des insanes. De glace et de pierre. Revient le temps de la conscience aiguisée, trop nette. Celle qui tranche à vif dans les sourires enjôleurs, dans les paroles sibyllines, dans les gestes distants. Celle aussi qui toise dans le miroir les affres d'une imperceptible déchéance. Comme se joue du quotidien la racine supposément immobile, qui parvient pourtant un jour à briser les bitumes pour y immiscer son plus frêle surgeon. De même, par sournois millimètres, la peau qui résiste moins, la peau qui se désélastise, accusant les ruptures infimes. Revient le temps qui n'est jamais parti. Le temps des couches exsangues, des oreillers désertés. L'obstiné présent de l'indicatif.
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