Prière

Christian Lemoine

Pas plus là-bas qu'ici, les liens ne se détisseront, plus obstinés que ce parfilage argenté, mémoire des chasubles antiques. Ces lacs sur nos cœurs, rets ou fourreaux, les protègent ou les prosternent. Il en est ainsi des présences côtoyées, pèlerins ombrageux de nos sentiers engourdis. Ils n'ont plus image ni corps. Pourtant encore ils pèsent au mitan des poitrines béantes, à jamais ponctuées des clous d'or abandonnés par ces pèlerins évadés. Leur est vouée la ressouvenance, comme leur est due la dure tâche de maintenir malgré les souffles les gravures friables des sépultures. Nonobstant les persévérances battues de brèches, la lutte est promise à la défaite, et les cœurs douloureux ne savent que la permanence de leur propre infirmité. Ne les voyons-nous pas, ces âmes en dérive, que ne ravivaient guère que nos plaintes peu à peu éparses ? Contre le tranchant des lames, nous en espérions la fidélité, quels que fussent les éloignements. Tandis que c'est de nos inconstances que surgit parfois l'oubli. Or, malgré notre tort, continuer à les invoquer, à briguer encore quelque éloge en leur réminiscence, afin d'en accueillir une intercession favorable. Pas plus là-bas qu'ici, leur dévotion ne nous sera soustraite. Ne pas lancer d'appel, n'écrire aucun message, ne revendiquer nulle quête. Mais aspirer à leur bienfait pour qu'ils abreuvent nos lèvres, sèchent nos yeux, et inspirent à nos destins l'embellie ; la nouvelle aurore dans laquelle leur absence pourra enfin nous sourire.
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