Primitif le bonhomme?

Jean Claude Blanc

un de ces gus que l'on côtoie sans le voir...hommage

                             Primitif le bonhomme ?

A la retraite, jamais marié

Sur ses guiboles, déglingué

Jeans déchirés, pull rapiécé

L'haleine fade de mégoter

Portrait d'un gus qu'en a bavé

A en crever, se laisse aller

 

Se garde bien de réfléchir

Derrière lui son avenir

Son cœur vide de souvenirs

Se bâtit seul son empire

Où simplement va y mourir

 

Quelques poils gris sur le caillou

Gras et crasseux couvert de poux

Ne risque pas faire des jaloux

Pour une bobonne, quel dégoût

Que lui faire des bisous dans le cou

 

La soixantaine plus guère costaud

En sa cuisine se tient le dos

Comme s'il portait le lourd fardeau

De ses années de péquenot

Se chauffe les pieds devant son fourneau

 

Même pour bouffer, ça lui est dur

Plus aucune dent, tourne au vin pur

Ça lui déforme la figure

Pompant sa clop, sa lippe suppure

L'hiver l'entaille de gerçures

 

Va au village rarement

Que pour ses courses mais pas longtemps

Comme voisin, pas très causant

S'écartent de lui les paysans

Tellement il pue, tellement il sent

La moisissure, les excréments

 

A force d'user son pantalon

Il s'est chopé une infection

Entre les jambes, près des roustons

Ça fait pas mal, laisse béton

Etant de bonne constitution

 

Par chance il garde l'odorat

Pour le pinard de l'économat

Sur sa figure, ça se voit

Son rouge pif, inspire la joie

Ayant encore son corps adroit

Ignorant les crises de foie

Siroter bon pour la santé

Fait oublier les sombres pensées

Alors ne va pas s'en priver

Ça fait le rêver, même éveillé

 

Reste allumée toute la journée

Fidèle compagne, sa chère télé

Images brouillées et son coupé

C'est suffisant, ça le distrait

N'ayant personne à qui parler

 

Touche sa pension, bien maigrelette

Que de quoi remplir son assiette

A l'occasion, quand c'est la fête

S'offre une bouteille aigrelette

Aux faibles degrés, jamais pompette

 

Célibataire, hélas forcé

Y'en avait une qui le voulait

Le voyant sale, débraillé

N'a pas tardé à se barrer

 

Même qu'au lit, sent pas la rose

Voir son bide, c'est quelque chose

Même qu'une veuve, sans doute morose

Une fois seulement a pris la pose

S'est vite tirée, ayant sa dose

 

Finalement heureux comme ça

Sachant que chez lui, il est le roi

Se lave pas quand il fait froid

Se suffit d'un frugal repas

A coups de marc dans l'estomac

 

N'a de visites que les corbeaux

Qui viennent frapper à ses carreaux

A la recherche d'asticots

N'a leur offrir que son menu fricot

 

Un gus comme ça, faut l'inventer

Ça tombe à pic, en moi parait

Un résumé de mon passé

D'un peu de misère rajoutée

Et de laideur confectionnée

Revenait à moi, artiste primaire

De le dessiner, selon mes manières

Au fond de moi, suis son compère

Et même frère solidaire

Ce qu'il pense en lui, vaste mystère

Même que de son sort, s'en soucie guère

Passe ses années à l'ordinaire

Certains experts en leur boutique

S'ingénient à savoir les pratiques

De cet homme-singe, pas venu d'Afrique

Péquenot d'Auvergne, sorte d'Astérix

Descendant de Vercingétorix

 

Alors débarquent sur les sommets

Là où se cache ce gibier

Le prendre en photo, l'apprivoiser

Pour son patois le déchiffrer

Le recracher en bon français

Mais en hiver pas bonne saison

Pas le temps de la reproduction

N'en a plus l'âge, ni la raison

Les volets clos, il fait ronron

Bandes de curieux, bandes de couillons

Tous bananés, dure leçon

De ce bonhomme pas moribond

 

Ras le bol de ces inquisiteurs

Qui se complaisent du malheur

De ces pauvres bougres qui marquent plus l'heure

Pourtant campés sur les hauteurs

De ce pays, sont les seigneurs

Même en haillons, se font honneur

Laissez les vivre dans la saleté

Qu'une apparence, par intérêt

Eux qui savourent la liberté

D'aller, venir, apaisés

En sens inverse du progrès

Qu'une illusion modernité

L'Histoire toujours recommencée

Sont fluctuantes les idées

De ces fils de pub en société

 

On a toujours un train de retard

Les modes changent, mais pour la gloire

Du pauvre diable qui broie du noir

Qui en revient au point de départ

Lui la vedette, mais bande à part

Ne pas se fier aux apparences

De ces indigents, qu'en ont conscience

D'être regardés par négligence

Par les génies, les puits de science

L'idée qu'on se fait de l'humanité

Finaud rustaud en a le secret

S'en vante pas, désabusé      

Ne cherchez pas d'où vient l'énigme

Qui m'a inspiré ces quelques rimes

Ces jours perclus de rhumatismes

Je sens en moi, venir la ruine JC Blanc février 2017 (grâce à ce gus, plus souffre-douleur)

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