Prologue

Adèle Delahaye

DRIIIIIIIING ! DRIIIIIIIING ! DRIIIIIIIING !

- Bien ! C'est la fin des cours, je vous laisse ranger vos affaires !

Pas besoin que la prof me le dise, je l'avais déjà fait avant. Je jette mon sac sur mon épaule puis quitte la salle, sans oublier de récupérer mon carnet sur le bureau de Madame Favro.

Je sors ensuite dans les couloirs, direction la salle de maths.

- Elle t'a mis un mot ? me demande Thomas, mon meilleur pote.

Il est légèrement plus grand que moi et une casquette est enfoncée sur sa tête, cachant ses cheveux marron foncé et bouclés.

- Non, répondis-je. Rien. Cette vieille harpie a pas eu le temps d'écrire quoi que ce soit, je suis parti avant. Et toi ?

Thomas grimace légèrement, puis me répond :

- Ouais, j'ai eu une heure de colle...

- Quand ?

- Mardi à huit heures.

Aïe. Ça tombe mal : nous avions prévu de faire une sortie en ville, mardi, vu qu'on commençait à 10 heures... Notre projet tombe à l'eau.

Thomas remarque ma déception, car il me propose :

- Si tu veux je peux sécher hein.

- Sécher l'heure de colle ? demandai-je. Non ! On ira dimanche, c'est tout.

- Comme tu veux, dit-il en haussant les épaules.

Après avoir descendu deux étages et traversé la cour, nous sommes arrivés à destination. Le prof nous fait entrer et nous allons nous assoir. (Thomas est juste devant moi.)

Monsieur Martin se racle la gorge puis s'exclame :

- Ne sortez pas vos affaires tout de suite ! Regardez-moi, j'ai quelque chose à vous dire, enfin plutôt quelqu'un à vous présenter.

Je me redresse et remarque, à la gauche du professeur, un garçon de mon âge, frêle et plutôt petit. Il a des cheveux châtains bouclés, des yeux rieurs, un nez pointu et des lèvres fines.

Je ne saurais pas dire pourquoi, mais il dégage quelque chose de puissant, une sorte de force et autre chose - qui ne m'inspire pas confiance.

Thomas se retourne et je croise son regard. Il a senti la même chose que moi.

- Je vous présente Nico, dit le prof, votre nouveau camarade de classe. J'espère que vous lui ferez un bon accueil...

Nico croise mon regard, et son sourire s'élargit. Moi, je tente de rester impassible.

- ... Nico, tu peux aller t'installer à côté de Jason. Jason, me dit le prof, lève la main.

Le nouveau n'a cependant pas attendu que je lève la main. Déjà, il vient vers moi. Il tire la chaise et s'y installe puis sort sa trousse et son cahier.

- Jason ? me demande t-il. Tu attends quoi ?

Je me rends compte que j'étais plongé dans mes pensées et que je n'avais pas bougé d'un millimètre. Je sors mes affaires à mon tour, puis fais mine d'écouter le cours.

Je m'interroge : nous sommes presque à la fin de l'année scolaire, et Nico ne vient que maintenant. Il a dû être viré, il n'y a pas d'autre explication possible.

Mais viré à cause de quoi ? Sûrement pas à cause d'une baston - il n'a pas du tout le profil du mec qui se bat. Mais alors ?

- Nico ? demandai-je. Je peux te poser une question ?

- Vas-y, me dit-il en continuant de noter des choses sur le cours.

- Pourquoi tu es ici ?

Sans lever les yeux de son cahier, il me répond :

- J'ai été viré. J'aurais été à l'origine d'un incendie. (Il soupire, las.) C'était pas moi, évidemment, mais bon, je ne leur en veux pas. Ils ne pouvaient pas savoir, ils ne voient pas à travers la Brume.

La Brume ? Il y avait du brouillard dans le collège ? Ah, non ! C'était la fumée de l'incendie. Évidemment.

Il me sourit, énigmatique, et la sensation d'insécurité revient, renforcée.

- Ah, dit-il, au fait, je suis clepto, en quelque sortes.

- Cleptomane ?

- Ouais, voilà. Cleptomane. Hyperactif et dyslexique, aussi.

Vu de l'extérieur, j'avoue que je ne l'aurais pas deviné... Sauf si on fait attention au rythme régulier que fait son pied gauche en tapant par terre.

- Moi aussi je suis dyslexique, dit Thomas en se retournant.

- Et toi, Jason ? demande Nico.

- Moi ? Non, j'ai rien.

Il me regarde avec étonnement, mais ne fait aucun commentaire. Normalement, ce n'aurait pas été à moi d'être surpris ?

                                           .oOo.

Quarante-cinq minutes plus tard, la sonnerie retentit et nous quittons la salle de classe, direction le self.

Nous sommes en train de mettre nos sacs dans notre casier, Nico avec nous. Soudain, il nous dit :

- Je vais aux toilettes, je reviens tout de suite.

Et il s'en va, nous laissant seuls, et je ne dirais pas que son sac est entre de bonnes mains (celles de Thomas, le mec le moins respectueux du monde). Ce dernier me jette un regard interrogateur. Je le connais par cœur, je sais ce qu'il veut.

- Okay, cédai-je. Mais promets-moi de ne rien prendre.

- Promis, dit Thomas avec le sourire.

Il ouvre le sac et commence à le fouiller, pendant que je monte la garde au cas-où on aie de la visite.

- Hé ! s'exclame soudain mon ami. Viens voir, Jason !

Je m'approche et il extirpe du sac un étui long de dix centimètre. Une poignée dépasse. Il la saisit et sort un poignard qui semble fait en bronze (et qui a l'air de servir, vu son éclat).

- Mais c'est quoi ce bordel ?  questionnai-je. Quel ado se balade avec un poignard dans son sac à dos ?

- Un demi-dieu.

Nous nous retournons d'un coup et nous retrouvons face-à-face avec Nico, les mains dans les poches, adossé contre les casiers.

- Je vais t'expliquer... commence Thomas.

- Non, dit Nico avec un sourire amusé, il n'y a rien à expliquer. Pas besoin de chercher des excuses. Maintenant, on fait le bilan : tu as fouillé dans mon sac sans mon autorisation - violation des biens privés - puis tu étais sur le point de voler mes affaires. Si je parle de tout ça à l'administration, qu'est-ce qu'ils diront, à ton avis ?

Je vois Thomas déglutir. Il a un passé juridique très compliqué. Au collège aussi, il a souvent frôlé l'expulsion définitive.

- Tu n'oserais pas... dit-il.

Nico haussa les épaules, puis dit :

- Pourquoi pas ?

Thomas se jette sur lui, puis tente de lui donner un coup de poing dans le ventre. Je dis "tente" parce que Nico esquive d'une rapidité déconcertante, avant de saisir le bras de mon ami et de l'immobiliser avec une clé de bras.

Moi, je reste debout, à observer. Je vois Thomas m'adresser un regard suppliant, mais je ne vais rien tenter. Nico est bien plus fort que ce que l'on pourrait penser à première vue. Faut pas le chercher.

Il donne d'ailleurs l'impression de faire ça tous les jours, faire des clés de bras à des gens. Je sais que si je tente quoi que ce soit, je vais me retrouver par terre en deux secondes.

Actuellement, Nico transpire l'assurance. Je comprends que ce qu'il dégage ce n'est pas de la force à l'état pur (sinon ç'aurait été extrêmement drôle, vu son physique) mais de la puissance comme... Comme s'il était le fils d'un dieu, avec des pouvoirs magiques et tout. Sauf que, bien entendu, ce n'est pas le cas.

- Lâche-moi... souffle Thomas en tentant de se libérer de l'emprise de Nico.

- Arrête de bouger, réplique ce dernier, tu auras encore plus mal. Je peux vous pardonner et faire en sorte de tout oublier, continue t-il en se tournant vers moi. Venez juste en colonie de vacances avec moi.

Je le regarde de travers.

- En colo ? demandai-je. C'est une blague ?

- Absolument pas, répond Nico. Après, si vous trouvez que c'est trop difficile, je peux vous demander cinq-cent euros en liquide...

- Non, non ! s'exclame Thomas. La colo, c'est parfait !

Nico le relâche, puis ils se serrent la main en signe d'accord.

- Alors je vous donne rendez-vous samedi des vacances d'été. Je vous donnerai l'adresse et l'horaire plus tard.

- Ça marche, accepte Thomas.

- Et toi, Jason, me demande le nouveau, tu peux ?

- Ouais, je vais venir.

De toute façon, j'avais rien à faire pendant ces vacances...

Signaler ce texte