Psy-schisme -chapitre dernier

Juliet

Novembre 2000.


-Mon chéri...
-Maman, laisse-moi tranquille.
-Mon chéri, ouvre-moi s'il te plaît.
-Non, Maman, je ne sortirai pas. Je reste avec Takanori.
-C'est bon, Uke. Vas-y. Ne les mets pas en colère pour moi.
-Ruki, je reste avec toi. Je les hais. Je hais Maman, elle t'a frappé. Je n'obéirai jamais plus tant qu'ils seront si indignes avec toi.
-Kai, je te dis d'y aller.
-Uke, mon chéri, ouvre cette porte.
-Maman, ne m'empêchez pas de rester avec mon frère.
-Ce n'est pas ça, Uke.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Un de tes camarades de lycée est venu te voir. Ton aîné. Il semblerait qu'il veuille te parler.
-Qui est-ce ?
-Il ne m'a pas dit son nom.
-Eh bien, va le lui demander !
-Uke, sois raisonnable. Viens le voir, il dit avoir quelque chose d'urgent à t'annoncer.
-Takanori, pardonne-moi.
-Enfin, tu es si formel, pour peu de choses.
-Je reviens bientôt, promis.
-Prends ton temps, Kai.
-Takanori ?
-Oui.
-Ferme la porte de la chambre à clé derrière moi.
-...C'est compris.




-Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, a lâché Kai tandis qu'il s'avançait nonchalamment vers le seuil, les mains dans les poches.
Un sourire sournois a enlaidi les lèvres de son interlocuteur qui pénétra dans l'appartement sans même attendre d'y être invité.
-En général, je fais plutôt pleurer que rire.
-Je ne te connais pas, rétorqua Kai, imperturbable, veillant à ce que sa mère ne puisse pas entendre à travers la porte de la salle de bain où elle s'était enfermée. Alors, pourquoi est-ce que tu viens me voir ?
-C'est bien toi, Yutaka Uke, non ?
-Bien sûr.
-Tu es très populaire au lycée.
-Tu l'es aussi. Mao, c'est bien ça ? Oui, tu es le voisin de mon ami Tôru... Écoute, je vais être bien clair : ta réputation ne me donne pas envie de te connaître plus que cela. Aussi je serais fort aise que tu ne t'attardes pas trop chez moi.
-Quel accueil glacial.
-Il est à ton image.
-Je te pensais si gentil, comme le dit la rumeur ! Mais comme les autres, tu juges les gens sans les connaître.
-Je te connais bien assez d'après ce que l'on dit sur toi. Quelqu'un comme toi à mes côtés m'est méphitique.
-Je ne viens pas en ennemi, tu sais, répondit Mao avec un soupir las.
Son chagrin odieusement affecté tendit les nerfs d'Uke.
-Tu me déranges, c'est clair ?
-Je voulais juste te parler.
-De quoi ?
-De ton frère.

En entendant ces mots, le corps tout entier de Kai s'est raidi et il a empoigné Mao par le col, menaçant.
-Toi... qu'est-ce que tu sais de mon frère ?
Par la force d'une main seule, il a entraîné Mao à l'extérieur du seuil, mais le jeune homme lui faisait face, impavide.
-Je sais ce que tout le monde dit de lui.
Cette main qui tenait Mao prisonnier par le col, elle tremblait de rage. Et les yeux noirs d'Uke se ravivaient de mille feux ardents mais derrière ses lèvres crispées, il enfermait toute la haine qu'il se forçait à taire pour ne pas commettre de scandale.
-Je ne supporterais pas que tu viennes te moquer de mon frère.
-Si tu dis cela, c'est que tu penses qu'il y a lieu de se moquer de lui, non ?
           Le calme de Mao était foncièrement déstabilisant. Intrigué, Uke l'a relâché sans relâcher sa méfiance pour autant. Il a pris garde de fermer la porte d'entrée derrière lui afin que personne n'entendît leur conversation.
-Qu'est-ce que tu lui veux ?
-Je ne lui veux rien, moi. Et ce qu'on dit de lui, qu'il est fou et dangereux, tu sais, je m'en moque. Moi aussi, je suis fou et dangereux. Non, je le suis sans doute bien plus que ton frère. Contrairement à ceux qui rient de lui devant toi... je me fiche de qui il peut bien être.
-Alors, pourquoi es-tu venu ici ? tempêta Kai qui perdait sa patience.
-Mais, je suis venu te mettre en garde.
-Quoi ?
Uke s'approcha de lui, menaçant, et au fur et à mesure qu'il avançait, Mao, lui, prenait du recul. Il n'était nullement effrayé, mais voulait éviter tout contact avec ce garçon.
-Ton frère, il est bien atteint d'une maladie mentale, c'est ça ?
-C'est une maladie d'ordre psychologique, pesta Kai, amer. Ne confonds pas cela, s'il te plaît. Contrairement à ce que l'on dit, mon frère n'est pas fou.
-Oui, oui, d'accord, enfin, je dis ça, moi j'ai compris, et puis, je m'en fous, mais enfin, quoi qu'il en soit, le mental, le psychique, le psychologique, pour lui, c'est du pareil au même, tu sais.
Uke eut un mouvement de surprise, et il considéra Mao avec une infinie curiosité comme s'il se demandait quel genre de créature inconnue pouvait bien se présenter devant lui. Tout autant que ses paroles, la manière dont Mao les avait prononcées, avec un vif empressement, sans prendre son souffle, était intrigante.
-Tu délires, n'est-ce pas... a murmuré Uke qui ne savait comment se donner une contenance afin de dissimuler le malaise grandissant en lui.
-Mais c'est la vérité, tu sais.
Les yeux de Uke se sont mis à scintiller d'inquiétude. Pourquoi ? Pourquoi ce ton si triste avec un visage si froid et insensible ?
-Que veux-tu dire par "pour lui, c'est du pareil au même" ? Et d'abord, de qui tu parles ?
Mao se rongeait les ongles. Bruyamment. Ça faisait "tic,tic, tic" contre ses dents et cela excitait la nervosité de Kai. Mao baissait la tête, comme s'il avait honte de quelque chose.
-Je connais quelqu'un, tu sais. Il est capable de choses horribles. Ton frère sera en danger. Oui, c'est forcé tu sais. Un jour ton frère...


Mais il s'est tu, sonné par la douleur. Il a porté ses mains à sa joue brûlante et a fixé Kai avec hébétude. Kai, il pleurait, alors qu'il ne savait même pas pourquoi. L'angoisse mêlée à la colère, peut-être.
-Va-t'en. Je savais que tu étais nocif. Tu es fou. Tu racontes des inepties. Va-t'en !

Alors qu'il allait infliger un nouveau coup à Mao, son bras s'est vu stoppé à une vitesse insoupçonnable. Mao le défiait du regard, lui signifiant qu'il n'accepterait plus qu'il ne le touchât à nouveau.
-Tu ne comprends pas, déclara-t-il du ton le plus froid qui pût être. Je viens te prévenir d'un danger imminent. Non, il n'arrivera peut-être pas tout de suite. Mais un jour, il sera là, c'est sûr. Et si tu n'as rien fait avant pour protéger ton frère, il sera trop tard. Dis, tu l'aimes, non ? Au lycée, j'ai tant entendu parler de toi. Tu es aussi populaire que ton frère mais l'on parle de toi comme d'un Ange protégeant un démon. Aussi fortement que tu es incompris, tu es pourtant admiré et aimé. Alors, quand j'ai su ça, je ne sais pas pourquoi, j'ai immédiatement pensé qu'il fallait te prévenir.
Uke a senti son cœur se serrer. Il a secoué la tête avec frénésie, comme s'il refusait d'avance d'accepter une réalité qu'il ne connaissait pas encore. Et ses yeux suppliaient.
-Je ne comprends pas.
Et, chose troublante, Mao a serré ses mains dans les siennes, fort, très fort, comme s'il avait voulu lui transmettre toutes sa force et sa chaleur.
-Tu sais, cet homme dont je te parle... il est vraiment très, très dangereux. Il est possédé. Oui, ne me regarde pas avec ces yeux-là. Il est possédé par une idée fixe. Il a la phobie. Quoi ? Il a la phobie des gens... des gens comme ton frère, de certaines personnes, mais de toutes sortes... Oui, c'est vraiment une phobie. Je pensais que ce n'était que de la haine pure, mais lui, ça le terrorise, et je ne sais pas pourquoi. Il veut tous... il veut tous les éliminer... Non. Oui ! Il veut les empêcher d'agir ! Soit en les privant de leur liberté de mouvements, soit en les privant de vie... Tu ne comprends pas. Ce type, il est juste fou. Bien plus que moi encore. Il a... des... Comment ça s'appelle ? Des tendances... meurtrières. Dangereux. Vraiment dangereux. Il a une idée. Je le sais, je le sens, je le saisis par les mots qu'il lâche dans ses délires... Un jour, il mettra en place quelque chose de grandiose... et d'effrayant. Je te l'ai dit. Il ne se débarrassera pas de cette idée. Quand il veut une chose, il finit toujours par l'obtenir par la force. Ton frère est en danger. Tant de personnes sont en danger. Des innocents... Je crois qu'ils sont tous innocents... Uke... Tu ne me crois pas, c'est ça ? Tes yeux le disent. Tu me vois comme un dément. Tu te demandes si je ne suis pas échappé de l'asile. Non, Uke, ne me regarde pas comme ça... Moi, pour une fois, je dis la vérité. J'ai peur de lui, en vérité. Lorsqu'il est comme ça, lorsqu'il est perdu dans ses désirs de destruction mégalomanes, j'ai vraiment peur, et je ne peux rien faire... Je voudrais l'en empêcher, tu vois, mais je ne peux pas... Dis, Kai, je ne sais pas combien de temps ça mettra. Mais ton frère fera partie de la liste, c'est certain. Il sera emprisonné. Peut-être tué, même. Non, Uke, tu vois, j'ai un très mauvais pressentiment, je crois qu'il y parviendra, malgré la cruauté de la chose... Il y parviendra. Uke, tu l'aimes, non ? Tu aimes ton frère. Ne le laisse pas... Pas dans ce pays. Il faut qu'il fuie. Uke, tu ne laisseras pas le crime t'enlever ton frère, non ?

Il ne s'en est pas rendu compte. Ce qui avait poussé Uke à faire ça, lui-même ne le savait pas. Était-ce l'instinct, la rage, la terreur ? Mais il y a eu une chute, une succession de bruits sourds, et puis, sans même un hurlement, Mao a dégringolé le long de l'escalier avant que son corps inerte n'atterrisse au bas des marches. Et à travers le rideau flou de ses larmes, Uke voyait apparaître une tâche de sang.
Alarmée par le vacarme, sa mère est apparue sur le seuil de la porte et a poussé un cri en voyant le jeune homme inconscient.
"Qu'est-ce que tu as fait ?"

Le hurlement de Kai, alors que sa mère l'emprisonnait, que lui se débattait en vain, que les voisins arrivaient en catastrophe et assistaient à la scène, choqués, avant de se précipiter sur leurs téléphones pour appeler une ambulance, son hurlement se répercutait indéfiniment dans la cage d'escaliers, et même lorsque Ruki apparut, même lorsque celui-ci s'est mis à s'agiter de tremblements nerveux et à étouffer, Kai ne pouvait pas détacher son regard de la forme floue en bas des marches. Et il se débattait, toujours, en vain, alors que l'on l'emprisonnait comme on l'eût fait d'un criminel.
-Maman ! C'est lui, Maman ! Il va tuer mon frère !

Et puis il s'est tu, il n'a pas eu d'autre choix que de se taire, parce que dans sa panique, dans sa désolation, dans sa terreur, Takanori était venu poser ses lèvres sur les siennes.
Sous les regards scandalisés des voisins et de leur propre mère.
Même sous ce baiser incestueux, Kai ne pouvait pas oublier les paroles de Mao. Et entre leurs lèvres, les larmes d'Uke et de Takanori se sont mélangées.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 


Août 2011.
 


"Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je me souviens de ça ?"
 


-Oh. Tu veux dire... qu'il est ici, en ce moment même ?
-Je lui ai prêté ma chambre. Il dort.
-Oh. Bien. Je n'aurais pas dû venir, Ryô, je suis désolé...
-Satsuki, tu es mon meilleur ami. Tu es le seul autorisé à venir chez moi quand bon te semble.
-Et Asagi ?
-Chez Mashiro.
-Oh...
-"Oh". C'est tout ce que tu dis depuis tout à l'heure.
-Asagi et Mashiro... Au final, il y a quelque chose entre eux ?
-Eh bien, quand je pose la question à mon frère, il ne daigne pas me répondre.
-Oh.
-Je ne m'attendais pas à une réponse aussi intelligente.
-Je suis désolé. C'est que j'ai un peu la tête ailleurs, en ce moment.
-Oh.
-Ne te moque pas de moi !
-Je plaisantais. Ne crie pas si fort, Satsuki. Je ne veux pas réveiller Mao.
-Pardonne-moi. D'ailleurs, pourquoi est-il chez toi ?


"C'est étrange. Ces images, ces sons, tout revient à mon esprit brusquement. C'est comme... l'abréaction de mes souvenirs. C'est bizarre. Ça me fait mal, et pourtant je me sens bien. J'ai vraiment mal, pourtant. Ces cris résonnent en moi comme s'ils étaient poussés à l'intérieur de mon esprit, encore maintenant... Malgré tout, j'ai l'impression qu'ils se libèrent... Les cris que Kai a poussés lorsqu'il m'a fait tomber du haut des escaliers."


-Il avait peur.
-Peur ?
-Mais... oui. Tu sais, j'ai été profondément troublé. Depuis que... depuis qu'il est libre. Cet homme ne l'a pas contacté, mais Mao ce matin est venu toquer à ma porte. Je l'ai trouvé tout tremblant et pâle, on aurait dit qu'il avait assisté à un crime.
-Pauvre homme. Il est bel et bien humain, hein.
-Cela m'a beaucoup inquiété, mais j'ai vu qu'il me suppliait du regard, tu sais, et comme il ne disait rien, j'ai doucement insisté pour qu'il me dise ce qu'il se passe... Alors, il m'a avoué qu'il avait peur.
-Peur, mais de quoi ?
-Il n'ose pas rester seul chez lui. Il craint que cet homme... ne revienne le voir.
-Oh. Ce doit être terrible de vivre dans la crainte constante de voir son pire cauchemar ressurgir.
-C'est ce que je me suis dit. Je ne pouvais pas le laisser seul, dis. Il était comme un enfant.
-Ce matin, tu dis ?
-Oui.
-Et depuis, il dort ?
-Il avait l'air épuisé. Il ne voulait pas, mais j'ai persisté pour qu'il aille se coucher. Dis, je crois que sa peur l'empêchait même de fermer l'œil la nuit.
-Ryô, ce que tu es attentionné. On dirait un père aimant.
-Je ne suis pas comme ça, enfin.
-C'est vrai. Je suppose que tu as envie d'être autre chose que son père.
-Je ne comprends pas ton allusion.


"Pourtant, ce jour-là... J'étais à moitié inconscient, et ces cris qui me parvenaient, les cris de Kai, je n'étais pas sûr qu'ils fussent réels... Ils étaient peut-être le fruit de mes cauchemars enfiévrés, me disais-je alors. Et quand je me suis réveillé à l'hôpital, j'étais certain d'avoir rêvé ces cris, l'agitation paniquée tout autour... Alors, pourquoi est-ce que c'est à présent, onze ans plus tard, que ces cris me reviennent, m'apportant la certitude qu'ils étaient réels ?"

-Que vas-tu faire ?
-Par rapport à quoi ?
-Mais, à Mao. Il a certes peur, mais... Tu ne comptes pas l'héberger chez toi jusqu'à ce qu'il reprenne confiance, quand même ?
-Eh bien, je suppose que je n'aurai pas le cœur à le forcer à rentrer chez lui s'il craint encore que cet homme ne vienne le terroriser.
-Ryô, tu n'y penses pas !
-Quoi ?
-Mais...à quoi tu penses ?
-Dis tout de suite que j'ai l'air d'un satyre.
-Non. Mais lui...
-Sors de chez moi.
-Je n'ai rien dit. Mais ton frère, il ne l'acceptera jamais.
-Mon frère me délaisse. Il m'abandonne pour Mashiro. Je me sens seul. Mao arrive à point nommé, voilà.
-Dit comme ça, c'est vraiment comme si il n'était qu'un animal de compagnie.
-Point du tout. Eh bien, que je me sente seul ou non, la vérité est que je suis toujours ravi de voir Mao.
-Oh. Mais ça, je le savais.


"J'entends... des voix. Des voix sourdes me parviennent, comme de derrière une porte."


-J'espère qu'il n'est pas réveillé.
-En effet. S'il t'entendait, Satsuki, il serait fort vexé.
-Ah ? Mais je ne parlais pas de ça. Je voulais dire que la dernière phrase que tu as prononcée te trahit un peu.
-À quel propos ?
-Mais, que tu l'aimes.
-...Plaît-il ?
-Ça alors. En voyant ta réaction, on croirait vraiment que tu es surpris.
-Mais je le suis !
-Quoi ? Mais, il n'y a pas lieu de l'être. Tu l'aimes, non ?
-Je n'ai jamais dit ça.
-Les actes parlent parfois bien plus que les mots.
-Hein ? Je ne l'ai jamais touché.
-Mais où vas-tu donc chercher cela ? Ryô, je te parle de tous les sacrifices que tu as acceptés pour lui. Tu l'as sauvé à ton propre détriment, non ?
-Ce n'était que de l'argent.
-Il avait une double valeur.
-Le bonheur de Mao n'a pas de prix. Ni matériel, ni sentimental.
-Oui. Viens me dire en face que tu ne l'aimes pas, et je pourrai rigoler.
-Ah ! Je commets une bonne action dans ma vie, et l'on m'accuse d'aimer !
-...Accuser ?


"Mais elles sont si douces. Ces voix, je voudrais les entendre toute ma vie. Je pourrais demander à ces voix de me bercer. Je le voudrais, mais je n'ose pas. Ah, ces voix... je les connais, je crois."


-Je devrais m'en aller, avant qu'il ne se réveille.
-Pourquoi donc ?
-Je risquerais de gâcher un moment fort émouvant qui devrait n'appartenir qu'à vous deux.
-Satsuki, je t'ordonne de rester.
-Pourquoi ?
-Je commence à me sentir mal à l'aise, avec toutes les bêtises que tu racontes.
-Si ce ne sont que des bêtises, il n'y a pas de raison pour que tu les prennes au sérieux, n'est-ce pas ?
-Sait-on jamais.
-Tu te méfies de lui, maintenant ?
-Mais non ! De moi.
-Oh.
-Ne me regarde pas comme ça.
-Ce que tu as dit, c'est exactement comme si tu avouais craindre ne pas pouvoir te retenir. Je me demande ce que tu serais capable de faire à ce pauvre Mao...
-Va-t'en !
-Tu changes décidément vite d'avis.
-Je ne peux pas avoir une conversation adulte avec toi.
-Que l'on soit adulte ou non, en étant amoureux, l'on redevient tous adolescents.
-Je ne suis ni amoureux, ni adolescent.
-Je ne suis pas d'accord pour le premier.
-Seigneur. Faites que Mao dorme encore à poings fermés.
-Bien, bien ! Je ne t'importune plus. Je m'en vais.
-Tu ne peux pas me faire ça.
-Enfin, de quoi as-tu peur ? Ce garçon est gentil. Il ne te fera rien.
-Reste seulement un peu, s'il te plaît.
-Non. De toute façon, Kyô m'attend.
-À la fin, je ne sais même pas pourquoi tu étais venu me voir.
-Ah, oui ! C'est vrai, cela. À parler de Mao, j'ai complètement oublié le but de ma visite. Bien, ça va maintenant. Je suis soulagé.
-Soulagé ? À quel propos ?
-Eh bien, à propos de Kyô.


"Ces voix si apaisantes se mélangent aux cris d'horreur... J'ai peur. Je suis terrorisé par ces cris. Et pourtant, comme un masochiste, j'ai envie de continuer à les entendre résonner en moi. Ce sont les cris que Kai a poussés quand mon corps a dégringolé les marches de l'escalier et pourtant, c'est comme si ces cris étaient les miens... Oui. Ces cris d'effroi... Ils se libèrent en moi et ressemblent à ces cris que, durant tant d'années, je me suis évertué à taire..."


-À propos de Kyô ?
-Ryô, aide-moi. Je ne sais plus quoi faire.
-Il te cause du souci ?
-Mais, non.
-Et donc...
-Ne me fixe pas avec tant d'insistance, s'il te plaît.
-Oui. Je crois que j'ai compris.
-Pardon ?
-On m'accuse d'être amoureux, mais en attendant...
-Ryô, ce n'est pas une accusation ! Dis, tu sais, je suis fier de toi.
-Alors, sois fier de toi aussi, Satsuki.
-Pourquoi ?
-Parce que tu as autant fait pour Kyô que je n'en ai fait pour Mao, non ?
-Je ne sais pas.
-Je te l'affirme. Satsuki, de quoi as-tu peur ?
-Je ne sais pas... Au début, lorsque je l'ai rencontré, cet homme étrange qui semblait implorer silencieusement qu'un miracle vienne, en attendant devant ma maison... J'ai juste voulu l'aider, tu sais. Mais, c'est sans doute de ma faute, Kyô ne m'a jamais quitté depuis.
-Quoi ? Tu veux dire que tu ne le supportes plus ?
-C'est le contraire.
-Oh.
-J'ai pris tellement l'habitude de l'avoir à mes côtés... Non, je me suis tant attaché à lui que, je crois que je ne supporterais pas qu'il s'en aille...
-Eh, Satsuki...
-Oui ?
-Il ne doit même pas y penser, tu sais. Dis, je crois sincèrement que Kyô n'a jamais pensé à partir.


"Je veux continuer à les pousser. À les pousser à travers le souvenir de Kai.
Oh, Uke... J'étais inconscient, vois-tu. J'étais inconscient, et pourtant à ce moment-là, je ressentais en moi grandir une infinie reconnaissance à ton égard. Ces cris-là... Je savais que tu les poussais pour Takanori. Mais, en même temps, tu les poussais aussi pour moi, pas vrai. Parce que tu me voyais, en bas, et que je ne pouvais pas bouger. Tu me voyais et savais que tu étais la cause de l'état dans lequel j'étais.
Uke, j'étais heureux de t'entendre pousser ces cris d'horreur et de désespoir.
Ces cris, ils voulaient tout dire.
Ils voulaient dire comme tu aimais ton frère. Même si tu n'as rien fait pour le protéger, même si tu n'as pas voulu croire en mes mots, ils signifiaient la force avec lequel tu l'aimais.
Mais il y a autre chose, Uke.
Tes cris, ils me disaient aussi qu'il existait en ce monde au moins une seule personne qui avait peur de me voir mourir."


Un soupir s'est échappé d'entre ses lèvres. Par-delà sa conscience, il perçut un bruit de porte, que l'on referme avec précaution, puis des voix qui s'éteignent, un rire, un peu nerveux... non, un rire timide, embarrassé, mais qui contient en lui quelque chose de rayonnant.

"Il doit être heureux, celui qui rit ainsi."

Les voix s'éloignent, s'étouffent, s'évanouissent, définitivement. Il essaie de bouger. Il essaie de bouger, mais il n'arrive pas à s'extirper de son sommeil pourtant, s'il essaie, cela veut dire qu'il a déjà cessé de dormir.
Alors apparaissent des bruits de pas, lents, à peine perceptibles, mais il a l'impression qu'ils s'approchent, il a un peu peur, sur le coup, il se demande où est-ce qu'il est, et à nouveau un bruit de porte, qui s'ouvre, le grincement discret de la poignée que l'on abaisse, des sons feutrés. Son cœur, à l'intérieur de sa poitrine, s'affole, mais il ne peut ouvrir les yeux, comme si une chape de plumes s'était abattue dessus.
De plumes ?
Des plumes ne pourraient être aussi lourdes pourtant, rien d'autre que des plumes ne pourrait être aussi doux que la caresse qu'il sent sur son visage.
Il a renoncé à tenter d'ouvrir les yeux. C'est qu'il craint, au fond de lui, que cette caresse prenne peur et ne s'en aille à son réveil.
Alors, le visage de Mao qui jusqu'alors était tiré par sa lutte intérieure s'est apaisé et, à nouveau, il a sombré dans l'inconscience, bercé par ce qui devait être la caresse d'un Ange.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Un son bref, cliquetant, et l'écran de la télé est devenu noir.
Les deux hommes sont restés assis, côte à côte. Ils fixaient l'écran, muets et sourds à toutes choses, comme si cet écran était alors la seule chose qui comptait en ce monde. Ils demeuraient immobiles comme si le temps avait été mis sur pause et qu'avec lui, leur esprit et leur corps s'étaient figés.
Combien de temps sont-ils restés ainsi, tous deux ?
Même leurs battements de cœur, c'était comme s'ils s'étaient arrêtés.
Alors que, plus que jamais pourtant, ils sentaient la vie s'imprégner en eux.

-Mais pourquoi, a fait la voix de Mashiro qui, alors qu'il se trouvait à quelques centimètres d'Asagi, semblait parvenir comme du fond du plus profond des rêves. Pourquoi est-ce que ça te fait pleurer ?

Asagi se tait. Asagi ne pleure pas, mais ce sont ses larmes qui coulent toutes seules. Cela fait toute la différence. Asagi n'a pas envie de pleurer, mais il ne contrôle plus rien. Ni le temps, ni ses battements de cœur, ni l'écran de la télé qui ne se rallumera pas.
Et c'est vrai, à l'intérieur de son cœur, il sent un vide immense se creuser.
Ce vide qui libère alors tout le poids qui l'avait encombré jusqu'ici.
Les larmes d'Asagi agissent pour lui.
Elles finissent de libérer tout ce qui pesait en silence à l'intérieur de lui.
Asagi ne pleure pas.
Mais Mashiro ne semble pas le comprendre.
 
 
 
 

                                                ~~~~~~~~~~~~
 
 
 


-Tu ne sembles pas comprendre, a fait la voix éraillée de Reita alors que Takanori, contrit, était venu l'étreindre depuis l'arrière du canapé.
-Ne pleure pas pour ce genre de choses, a murmuré Ruki au creux de son oreille comme ses bras l'enlaçaient autour de son cou.
-Il n'y a pas de problème à pleurer.
-Cela m'embarrasse. Je me demande si tu es trop sensible ou bien si je ne suis qu'un sans cœur. Moi, Reita, ça ne m'a pas fait pleurer. Suis-je cruel ?
   Un rire s'est échappé d'entre les lèvres de Suzuki Reita, qui a eu l'effet d'une brise sous cette chaleur oppressante, et ses mains sont venues couvrir celles que Takanori avait jointes autour de lui.
-Je ne pleure pas pour lui, tu sais.
 
 


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-Pardonne-moi de t'inquiéter. Je te dis que je vais bien.
Satsuki a doucement repoussé les bras que Kyô était venu tendre vers lui. L'homme recula, les yeux brillants, et dévisageait Satsuki avec un infini chagrin.
-Pourquoi ? Pourquoi est-ce que toi, tu pleures ?
-Tôru.
Et lui qui l'avait refoulé quelques secondes plus tôt est venu l'étreindre de toutes ses forces, toute sa tendresse.
Et c'est comme si à présent, c'est Tôru qui devait être consolé.
-Kyô, en ce monde, même les belles choses peuvent faire pleurer.
 
 


                                                  ~~~~~~~~~~~
 
 

Les pages ont glissé le long de la table, et dans un froissement ultime se sont écrasées sur le sol. Quand Hakuei a enfoui son visage au creux de ses mains, il a senti que quelque chose, délicatement, enserrait ses poignets.
Découvert, il a vu le visage de Natsuki, debout à côté de lui, qui le dévisageait avec douleur.
-Si tu pleures pour cela, alors tu pleureras pour tout, tu sais. Ne deviens pas ainsi. Ne me fais pas de la peine.
Ravalant ses larmes, Hakuei a secoué la tête et a doucement attiré Natsuki qui se laissa asseoir sur ses genoux. Au pied de la chaise, ses pieds écrasaient les pages du journal.
-Natsuki, est-ce que j'ai l'air d'être triste ?
À nouveau, Natsuki l'a longuement dévisagé avant qu'un sourire ne vienne illuminer ses lèvres. Alors, comme pour leur voler ce sourire, les lèvres de Hakuei sont venues se poser contre les siennes.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


-Ryô... Ryô ?
La silhouette de Ryô se découpait de profil, assise sur le canapé. L'homme s'est tourné vers la voix qui s'adressait à lui et, lorsqu'il a vu Mao qui se tenait craintivement à l'encadrement de la pièce, il a souri. Essuyant les larmes perlant au coin de ses yeux, il a d'un signe de la main invité le jeune homme à venir le rejoindre. Mao a semblé hésiter puis s'est timidement avancé vers lui. Ryô a tendu les bras et l'a accueilli comme un enfant.
C'est vrai, Mao avait l'air d'un enfant alors, avec son air encore endormi, ses cheveux ébouriffés, et son attitude si pudique comme il était enfermé dans son étreinte. Mais pourtant, c'était alors Ryô, avec son sourire, avec ses larmes, avec son visage enfoui au creux du cou de Mao, qui ressemblait le plus à un enfant.
-Malgré ça, Mao, est-ce que tu reviendras me voir ?
Et, en guise de réponse :
-Ryô, qui est-ce qui vient d'appeler au téléphone ? Dis, Ryô, pourquoi est-ce que tu pleures ?
Ryô a passé ses doigts sous le menton de Mao et l'a forcé à soutenir son regard.
-Réponds-moi, Mao. Même si tu n'es plus en danger, même s'il ne devait plus jamais servir à rien que je te protège, est-ce que tu reviendrais me voir ?
  Mao a hoché la tête, d'abord avec circonspection, troublé, puis son hochement s'est fait de plus en plus vigoureux et il a enfoui son visage au creux de la poitrine de Ryô, s'agrippant à ses bras comme à sa propre vie.
-Je viendrai toujours te voir, Ryô, tant que tu voudras bien de moi. Mais, dis, je ne comprends pas... Qu'est-ce que tu racontes ?
-Tu n'as plus de raison de craindre de te trouver seul chez toi, Mao.
-Pourquoi, dis ? Pourquoi...
Ryô a fermé les yeux. Il a plongé ses mains dans les cheveux en bataille de Mao qui se laissa tranquillement faire, bercé par ces caresses qui ressemblaient étonnamment fort à ces caresses d'Ange qu'il avait senti un peu plus tôt, durant son sommeil. Ainsi, il n'avait pas rêvé.
-Mao, je ne pleurais pas de chagrin, tu sais. Je pleurais de soulagement. Je suis soulagé que tout cela soit fini pour eux, à présent. Dis, ils sont libres tu sais. Et toi aussi tu es libre. N'aie plus peur de revivre cet enfer. Mao, tu peux vivre tranquille à présent. Avec ou sans moi, tu peux reconstruire ta vie. Parce que cet homme, il n'existe plus.
 
 
 
 
 
 
 


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Mai 2012.

-Non, non, pas encore. Enfin, vous êtes si impatients !
-Natsuki ? Ah, où est passé Natsuki, le bougre !
-Mais qu'est-ce que je fais là ?
-Natsuki, nous t'attendions ! Dépêche-toi à présent !
-Je ne sais toujours pas pourquoi est-ce qu'il revient à moi de faire cela.
-Parce que tu t'es proposé pour le faire, non ?
-Je cède ma place à Kyô qui en meurt d'envie.
-Il va y avoir un meurtre, je crois. Satsuki, ne ris pas !
-Pardon mon amour. Si tu avais vu ta tête.
-Bien, alors, Hakuei bien-aimé, ne veux-tu pas prendre ma place ?
-Je suis trop viril pour cela.
-Asagi, alors ?
-J'ai le rôle de la Reine de cœur, moi.
-Quand on y pense, Mashiro serait le plus adapté.
-Je ne veux pas jouer le rôle d'Alice !
-Mais tu es celui qui ressemble le plus à une fille ! Et de loin !
-Mais vous m'aviez promis que je jouerais le rôle du Chat du Cheshire !
-Mais qui a eu l'idée d'une fête aussi stupide ?
-Je peux savoir pourquoi tout le monde me regarde ?
-Parce que c'était ton idée, Asagi.
-Quoi qu'il en soit, je ne veux plus faire Alice, cette robe est trop courte pour moi. Tiens, Takanori. Tu es petit, toi.
-Bien, je ferai Alice... dans tes rêves, Natsuki. Demande à Reita.
-Je suis Chapelier et je le reste, merci.
-Bon, de toute façon, c'est tout trouvé... Puisque c'était ton idée, Asagi, tu assumes jusqu'au bout. Échangeons nos rôles !
-Natsuki ! Sois un peu plus coopératif !
-Mais enfin, c'est pour le frère d'Asagi que nous le faisons, non ? Il est normal qu'il fasse le plus grand sacrifice !
-Quel sacrifice ?
-De porter une robe et une perruque pareilles !
-Natsuki...
-Qu'est-ce que tu me veux, toi ?
-Tu es radieux ainsi, tu sais.
-Bon, puisque Hakuei semble le vouloir, je jouerai le rôle d'Alice.
-Il retourne vite sa veste, le renégat. Satsuki, ne ris pas !
-Pardon, Kyô, mon amour. On aurait presque dit que tu es jaloux.
-Je veux quitter cette troupe de dégénérés.
-Et... dans combien de temps arrivent Ryô et Mao ?
-Ils viennent d'atterrir à l'aéroport. Je dirais d'ici... une heure, voire plus ?
-Et tu penses que je vais accepter de rester planté ici comme un idiot à attendre que les deux tourtereaux daignent arriver ? Satsuki, ne ris pas !
-Je fais ce que je veux, mon amour.
-À la fin, qu'est-ce qui vous arrive ? Il ne suffit pas que ces chanceux aient effectué un voyage à Paris, il faut en plus que nous organisions une fête pour leur retour ! Asagi, soyez maudits, toi et tes idées !
-Ce n'est pas leur retour que nous fêtons ; nous célébrons le fait que mon frère bien-aimé et Mao soient devenus un couple.
-Oui. Dieu qu'ils en ont mis du temps, d'ailleurs.
-C'est mon frère. Il est si timide, et si romantique. Il voulait le lieu le plus splendide qui soit pour déclarer sa flamme à Mao. Ah, heureusement que j'ai été plus entreprenant avec Mashiro. Je n'aurais pas pu attendre.
-Asagi, ce que tu dis prête à confusion. Ne me mêle pas à ça, s'il te plaît. De plus, j'ai été le premier à entreprendre quoi que ce soit entre nous deux.
-Satsuki, tu ris décidément pour un rien.
-C'est toi qui me fais rire, mon amour.
-Plaît-il ?
-C'est ton costume...
-Je n'ai pas choisi d'être le lapin blanc !
-Mais tu l'as accepté !
-Seigneur, achevez-moi.
-Au fait, où est le gâteau ?
-Le gâteau ?
-Mais, oui ! Nous avions commandé un énorme gâteau !
-Les amis, j'ai une importante nouvelle à vous annoncer.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-J'ai oublié d'aller chercher le gâteau à la pâtisserie. Il devait être prêt à dix heures du matin.
-Mais, il est treize heures !
-C'est cela, oui.
-Kyô ! Où as-tu donc mis ta tête ?
-J'ai dû la perdre au moment où j'ai su que je serais le lapin blanc.
-C'est du joli !
-Pour un gâteau, vous n'allez pas faire une histoire.
-Une fête sans gâteau, c'est comme Alice au Pays des Merveilles sans lapin blanc !
-Ah oui ? Eh bien, personnellement, je me passerais très bien de lapin blanc. Satsuki, ne rigole...
-Tais-toi, mon amour.
-Bon. Il s'agit bien de la pâtisserie où nous nous étions rendus l'autre jour, n'est-ce pas ? Attendez-moi là, j'y vais de ce pas. Prévenez-moi si vous avez des nouvelles de Ryô et Mao.
-Mon cœur, où vas-tu ?
-Mais, à la pâtisserie, Asagi, je viens de le dire !
-Ah oui ? Et tu comptes y aller avec ton costume de Chat du Cheshire ?
-Je n'ai pas le temps de me changer. Au revoir, tout le monde !
-Mashiro est vraiment parti !
-Et voilà, Satsuki est bon pour rire pendant une heure encore.
-Je ne connais plus Mashiro. Je ne me montrerai plus jamais en public avec lui.
-Asagi, ce n'est pas toi qui te trouvais à Harajuku avec Mashiro, la dernière fois ? D'après mes souvenirs, il était déguisé en...
-C'était un autre temps !
-La semaine dernière.
-C'est ce que je dis. Bien, de toute façon, je n'y peux rien si je l'aime malgré tout. C'est de sa faute, naturellement.
-Tu n'as pas peur, Asagi ?
-À quel propos, Reita ?
-Mashiro, il était vraiment mignon, tu sais... Je crois que beaucoup d'hommes l'abordent d'ordinaire, et là...
-Reita !
-Tu es jaloux, Ruki ?
-Bien sûr que non ! Enfin si, mais de toute façon ne dis pas cela à Asagi !
-Je crois que je vais rejoindre Mashiro.
-Asagi, es-tu sérieux ?
-Et si Mashiro se faisait enlever ?
-Et voilà, maintenant Satsuki est hilare.
-Il ne peut pas se faire enlever !
-Bien sûr que si ! Reita a raison ! Il est vraiment mignon ! Et naïf comme il est, il pourrait lui arriver n'importe quoi !
-Depuis quand es-tu sa mère ?
-Je suis son petit ami !
-Tu ne vas quand même pas partir déguisé en Reine de Cœur ?
-Je n'ai pas le temps de me changer. Au revoir, vous autres !
-C'est le monde à l'envers.
-Seigneur ! Regardez, c'est incroyable !
-Quoi donc ? Tu nous affoles, Kyô !
-Mais, ça !
-Ça ?
-Satsuki ne rigole plus.
-C'est que... je viens de recevoir un message de Ryô.
-Et alors ?
-Ils s'étaient trompés sur l'heure. À cause des décalages horaires...
-Oh non, vont-ils être en retard ?
-Pas vraiment.
-Alors, où est le problème ?
-Ils sont déjà là.
-Quoi ?!
-Au secours ! On sonne !
-Mais la Reine de Cœur et le Chat du Cheshire sont partis ! Et nous n'avons pas le gâteau !
-Chut, chut, je réponds ! Oui, qui est à l'appareil ?
-C'est une catastrophe. Et le principal instigateur de la fête n'est pas là ! Ryô va être si déçu !
-Les dès sont jetés, à présent.
-Alors, tu leur as ouvert ?
-Satsuki, pourquoi ris-tu ?
-Ce ne sont pas eux.
-Quoi ?
-C'était le livreur. Il nous apporte le gâteau.
-... Quelqu'un peut me dire pourquoi Asagi et Mashiro sont partis ?


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


"Kai... J'ai fait... un rêve. J'ai fait un doux rêve..."

-Takanori ?

"J'ai rêvé... que je dormais au creux de ton nom, comme lorsque je le faisais jadis. Je dormais, paisiblement, et je sentais par-delà mon sommeil la caresse de toi sur mon visage."

-Takanori. Pardon, tu dois te lever. Quelqu'un est venu te voir.


"Mais, au beau milieu de mon sommeil, Kai, tu t'es levé... En silence, tu t'es levé, et après avoir déposé le plus doux des baisers contre ma joue, tu es parti... Sans revenir."


-Un homme d'une soixantaine d'années. Il dit que...


"Je n'arrivais pas à me sentir triste. Tu vois, Kai, c'est comme si tu avais mis tout de toi dans ce baiser. Et encore maintenant, je le sens, tout tiède contre ma peau.  Kai, j'ai fait un rêve... Un si tendre rêve..."

-Je ne peux pas te le dire comme ça. Ruki, mon amour, tu dois te lever.


"Lorsque tu es parti, Kai, il ne s'est écoulé qu'un temps infime avant qu'une étreinte des plus aimantes et chaleureuses ne vienne m'envelopper... Kai, j'ai fait un rêve... et depuis, il ne s'est jamais terminé, tu sais."

-Je ne sais pas quoi faire. Takanori, cet homme veut vraiment te voir, tu sais.


"Oui, ce rêve m'a glissé en lui et depuis, je m'y laisse couler, lentement, paisiblement, tu vois, ce rêve me conduit tout en douceur là où mon cœur souhaite aller... Kai, c'était un double rêve. Un rêve où tu me câlinais durant mon sommeil, un rêve où tu m'as embrassé, un rêve où tu es parti, aussi...
Oh, Kai, c'était comme deux rêves contenus en un seul rêve. Après le bien-être au creux de toi, il y a eu la félicité de cette étreinte... Elle n'avait pas ton odeur, Kai, et pourtant, elle était si délicieuse...
Kai, j'ai fait un rêve, un doux rêve... Qui ne s'arrêtera jamais, je crois."


-Tu m'entends, n'est-ce pas ? Tu veux continuer à dormir ? Que dois-je faire ? Que dois-je dire à cet homme ? Takanori, il souhaite...


"Parce que, même lorsque je me suis réveillé, cette étreinte qui m'avait enveloppé après ton départ... Elle ne s'est jamais détachée de moi."


-Ruki, tu es réveillé...
-Reita ? Reita... Pourquoi est-ce que tu me tiens comme cela ?
-Je ne savais pas comment te réveiller sans brusquerie. Alors j'ai voulu te prendre délicatement dans mes bras, comme ça...
-Reita, tu as l'air inquiet... Qu'est-ce qu'il y a ?
-Ruki, pardonne-moi...
-Non, tu me fais peur lorsque tu me regardes avec ces yeux brillants.
-Un homme se trouve sur le seuil de la porte. Il m'a demandé si tu habitais bien ici et a dit qu'il désirait de tout cœur te parler.
-De tout cœur ?
-Oui. Ce sont ses mots. Ruki, je crois que c'est assez urgent...
-Mais, qui est-ce ?
-Je ne sais pas si je peux te le dire. Peut-être vaut-il mieux que tu parles avec lui.
-Non, Reita, je veux savoir. Dis-le moi avant, je t'en prie.

"Kai, c'est bien plus que tu ne le voulais, non ? Cet être que tu rêvais de voir devenir mon ami et mon protecteur comme il l'a été pour toi... Il est devenu l'amour de ma vie. Et vois, Kai, vois combien il est tendre... Tu peux ainsi être rassuré, n'est-ce pas ? Kai, tu l'aimais, et il t'aimait aussi, mais dans le fond, ce que tu vois là... c'est ce que tu espérais sans jamais oser l'avouer, n'est-ce pas ?"


-Ne pleure pas, Ruki. Promets-le moi.
-Pourquoi ? Je devrais pleurer ?
-Si ce que dit cet homme est la vérité, cela pourra te choquer énormément.
-Reita...
-Oui ?
-Tu es là, n'est-ce pas ?
-Eh bien, oui. Tu me vois, non ?
-Alors, j'endurerai tout. Qu'importe ce que pourra me dire cet homme. Moi, je sais que tu es là, et que la réalité demeurera la continuité de mon doux rêve. Alors, Reita, dis-le moi à présent.
-Ruki, cet homme...
-Oui.
-Il dit qu'il n'est pas le père d'Uke.
-Il serait impossible qu'il soit son père, puisque notre père est mort...
-Mais il dit que tu es son fils, Takanori.


"Kai... Kai ! J'ai fait un rêve. Dans ce rêve, Kai, tu étais là sans être là.
Kai, ce rêve était doux et douloureux. Kai, dans ce rêve, tu étais déjà un souvenir..."

-Qu'est-ce que ça veut dire, Reita ? Kai et moi avons vécu notre vie avec un même homme, et ce même homme était bien notre père à tous les deux, non ? Reita, je ne comprends pas... Cet autre homme qui se présente sur le seuil, ce ne peut pas être mon père s'il n'est pas le père de Kai...
-Ruki, calme-toi. Non, tu peux pleurer, vas-y pleure. Viens. Tu n'es pas obligé de le voir si tu ne le veux pas.
-C'est pour cela que ma mère me haïssait ? Dis, Reita, je n'étais pas le fils de l'homme qu'elle aimait, quand Kai l'était, c'est pour cela que ma mère...
-Non, Ruki, non, elle ne te haïssait pas.
-Mais, Reita...
-Oui, mon cœur.
-Uke est mort sans l'avoir su... Sans avoir su qu'il n'était pas vraiment mon frère...
-Non, Ruki.
-Quoi ?
-Je suis désolé. Kai... Uke le savait.


"Kai, j'ai fait un rêve. Ce rêve, je l'ai fait lorsque j'avais quinze ans. À ce jour, je ne peux pas l'oublier. Kai, c'était le plus beau des rêves.
Kai, j'ai rêvé que toi et moi ne partagions pas le même sang.
Kai, et j'ai rêvé que les baisers que tu me donnais
étaient l'empreinte d'un amour d'une autre nature."

-Alors, lâche-moi, Reita.
-Ruki ?
-Je ne peux pas le faire attendre.
-Tu veux dire que tu...
-Est-ce que c'est anormal ? Reita, je crois que j'ai envie de rencontrer mon père pour la première fois.
-Ruki...
-Oui ?
-Veux-tu que j'attende ici ?
-Non, Reita. Tu dois venir, je pense. Je veux dire... tu es une partie de moi, c'est ce que je ressens. Alors, si mon père veut me rencontrer pour me connaître, tu dois être là aussi.


"De toute façon, Kai, cela n'a plus d'importance, pas vrai...
Puisque tu le savais,
si tu avais préféré m'aimer de cet amour-là,
plutôt que de tomber amoureux de ton meilleur ami,
alors tu l'aurais fait, pas vrai...
Mais, Kai, après tout, tu ne m'aimais pas de cette manière,
et moi non plus, puisque j'étais ton frère.
Kai, cela n'a pas d'importance.
J'ai eu tellement d'amour, dans le fond. Kai, encore maintenant, je suis débordé d'amour. Car en plus de m'avoir donné le tien, tu m'as offert celui de Reita.
Et cela, Kai,
ça vaut tous les rêves du monde."













(terminé le 28 mars 2011)

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