Psy-schisme -chapitre septième

Juliet

Au moment où Natsuki entrouvrait les paupières, un rayon lumineux ardent a agressé ses rétines et dans une plainte de désagrément il détourna la tête.
Couvrant son visage de sa main tremblante, il a poussé un cri de rage.
Aussitôt une infirmière s'est précipitée dans sa chambre.
-Monsieur ? Que se passe-t-il ?
-Éteignez cette lumière, je vous ai dit d'éteindre la lumière, bon sang ! Mes yeux me brûlent, mes yeux me brûlent, je vais devenir aveugle, je vous ai déjà dit que je voulais dormir dans le noir ! Ah, je n'en peux plus de ces conditions infernales, laissez-moi sortir !
-Monsieur, nous ne pouvons vous laisser dormir sans lumière. La nuit dernière, vous vous êtes blessé en tombant.
-Saletés de médecins, où est-ce que je suis ici ? Je veux rentrer chez moi !
-Votre état est grave et nous devons vous prodiguer les soins nécessaires jusqu'à ce que vous alliez mieux.
-Non ! Vous n'avez pas le droit, c'est contre la loi ! La volonté du malade passe avant le devoir du médecin et d'ailleurs, qui a décrété que j'étais malade ?! Tous ces médecins qui viennent me voir pour des tests psychologiques, et toutes ces infirmières qui viennent me torturer, vous n'avez pas le droit !
-Monsieur, calmez-vous je vous en prie. Vous êtes fatigué et énervé, cela est normal.
-Pourquoi est-ce que je suis enfermé seul dans cette chambre ? C'est une prison, ici ! Je n'ai même pas le droit de sortir ni de voir personne !
-Vous-même dites toujours que vous ne voulez voir personne. Les visites seront interdites tant que vous n'aurez pas retrouvé un p...
-Je ne le retrouverai pas. Jamais.

Natsuki s'est perdu dans un éclat de rire nerveux qui résonnait comme une alarme prévenant l'approche d'un train prêt à écraser celui qui s'en approcherait. Il enfouit son visage dans sa main crispée, plantant dans sa peau ses ongles mous et renversa si brusquement la tête en arrière que son crâne percuta le mur, à l'endroit où la veille il s'était blessé en se levant dans la nuit. Comme il se perdait dans les répercussions de son rire, son mental entamait un processus psychique qui peu à peu le menait à des réactions dont il n'eut qu'à moitié conscience. Avant que l'infirmière n'ait pu réagir, son poignet déjà saignait abondamment, déchiqueté par ses morsures.
Quelques secondes après qu'elle eût sonné l'alarme, un groupe de médecins s'introduisait dans la pièce, immobilisant de toutes parts Natsuki qui hurlait à s'en déchirer les cordes vocales. Le pauvre se débattait de toutes ses forces qu'il avait à bout. Sa voix s'est déchirée lorsqu'il s'est trouvé attaché sur le lit, incapable de bouger les bras et les jambes. Sa poitrine convulsait à un rythme démesurément saccadé, et il suppliait d'un regard humide l'infirmière qui remettait en place la sonde qui le nourrissait.

-Enlevez-la, souffla-t-il, le visage décomposé. Si vous me faites subir tout ça, au moins enlevez cette chose. C'est ma seule requête, je vous le jure, si vous enlevez cette sonde, je resterai tranquille, toujours...
Mais la jeune femme n'écoutait pas ou plutôt, feignait ne pas entendre. Après avoir vérifié le bon fonctionnement de la sonde et mesuré la tension de Natsuki, elle replaça un nouveau pansement à l'arrière de son crâne.
-Je ne veux pas et vous n'avez même pas le droit...Pourquoi est-ce que vous faites ça ? Je veux voir Hakuei. Où est Hakuei ? Pourquoi est-ce qu'il ne vient plus ? Il est fâché contre moi ? Dites-lui que je lui présente mes excuses, mais je veux voir Hakuei.
-Vous parlez de cet homme qui venait vous rendre tous les jours visites ? demanda-t-elle sans lever le regard. Non, il ne peut venir pour l'instant. Vous savez pertinemment que les visites demeureront interdites jusqu'à ce que votre état se soit stabilisé.
-Mais...
Natsuki déglutit, manquant s'étrangler dans sa salive. Ses pupilles papillotaient étrangement.
-Je me rapprochais du but... Moi, je me rapprochais du but et vous êtes en train de tout détruire... Hakuei ne permettrait pas que vous me détruisiez, je veux qu'il vienne, lui il prendra ma défense. Dites, vous pensez que Hakuei prendra ma défense ?
-S'il tient à vous, je ne pense pas qu'il approuverait ce que vous faites.
-Hakuei ne tient pas à moi.
L'infirmière a levé des yeux ronds sur Natsuki qui avait tourné la tête vers la fenêtre, le regard vide.
-Hakuei veut me tuer. C'est pour cela qu'il me défendrait.
-Vous fabulez complètement, Monsieur. Bien, je vais vous laisser. Profitez-en pour vous reposer, je vous ai injecté une légère dose de calmant. Quelqu'un reviendra bientôt pour le repas.
À l'entente de ce mot, le corps entier de Natsuki se contracta, mais il demeura silencieux en contemplant la grisaille de l'hiver à travers la fenêtre close. En proie à de mélancoliques pensées, ses lèvres asséchées murmuraient des mots fiévreux :
-Je ne veux pas, laissez-moi rentrer chez moi. Il fait plus beau chez moi. Ici, tout est blanc à en devenir malade alors que le ciel est d'un gris pluvieux. Pourquoi me garder ici ? Je vais mourir quoi qu'il arrive. Même si je ressors vivant de cet endroit, Hakuei me tuera... Il veut me tuer, c'est forcé. Mais... je préférerais ne pas mourir de ses mains. Je veux finir ma vie... dignement. Laissez-moi faire ce que je veux. Je veux ce que je veux. Je ne me veux que du bien, je ne comprends pas pourquoi est-ce que vous faites ça, pourquoi... Pourquoi est-ce que je n'ai pas fini à la Fourrière comme Matsumoto Takanori ? Dans le fond, quelle est la différence entre lui et moi ? J'aurais aimé vivre là-bas. L'on m'aurait laissé faire ce que je veux là-bas, pas vrai ? Quand est-ce que revient Hakuei ? Je le déteste, vous savez. Mais il peut vous convaincre. Enlevez cette sonde. Plus que jamais je suis en train de devenir fou mais ça se voit moins souvent, à ce qu'il paraît. Je fais moins de crises mais vous m'épuisez. Regardez-moi, je ne peux plus bouger. J'ai mal au crâne... Je voudrais pouvoir bouger. De plus, le manque d'exercice physique entraîne... Non ! Je vous en supplie, pas ça ! Vous n'avez pas le droit d'agir contre ma volonté, c'est de la torture physique et mentale !

Il avait bien réalisé que l'infirmière était partie depuis un moment et qu'elle n'avait rien entendu de son monologue. L'ombre des nuages défilait lentement dans ses yeux vitreux, donnant là l'image d'une couleur ciel assombrie par un futur orage.
Lorsque Natsuki a fermé les yeux, sentant une vague d'engourdissement l'envahir peu à peu, il a senti une main chaude s'appuyer doucement sur ses paupières.
Il n'aurait su dire si c'était un rêve.
 
 
 
 
 
 

                                        ~~~~~~~~~~~~~~~~~~
 
 
 
 
 
 

-Il a recommencé ?
Sous la bruine, le rectangle de papier mat se couvrait de minuscules gouttes froides mêlées à d'infimes cristaux de glace. Le polaroïd commençait à onduler à force d'être présenté ainsi à la pluie, et bientôt une autre goutte vint s'écraser sur le visage ancré qui offrait son plus beau sourire à celui qui, la tête baissée et les cheveux dégoulinants en tenant la photo, demeurait immobile.
Une silhouette s'est approchée, discrète et révérencieuse. De son bras raide elle tenait un parapluie qui à présent couvrait la tête du garçon silencieux.
Comme si celui-ci venait de se souvenir de la présence de l'autre, ce sont deux grands yeux bruns et humides, teintés de la plus profonde des douceurs, qui se sont rivés sur ce visage accueillant.
-Regarde-toi. Tu es tout trempé. On dirait un chaton abandonné au bord de la route.
Par-devers le froid grisâtre, il a senti sur sa joue la tiédeur réconfortante d'une paume bienveillante. Éberlués, ses grands yeux noisette ne quittaient pas son regard et entre ses deux lèvres sucrées et entrouvertes semblait se trouver un son n'attendant plus que le bon moment pour sortir. Mais ces lèvres si charmantes et irrésistibles lorsqu'elles souriaient étaient éteintes, et très vite elles se fermèrent, comme résignées.
Ses longs cils noirs se sont abaissés sur ses yeux comme tacitement il demandait le pardon. Son corps trempé, sous sa seule chemise blanche qui lui collait à la peau, réprimait les tremblements qui l'assaillaient.
-Rentrons maintenant, a dit l'autre en levant les yeux vers le parapluie, veillant à ce que son camarade ne se fasse plus mouiller. Tu vas attraper froid.

Lui a hoché la tête, silencieux, et agrippant timidement son bras à celui de son ami, il l'a suivi. Il a traîné le pas sur l'asphalte, faisant fi des flaques profondes qui trempaient son pantalon.
-Ma mère a demandé si tu voulais rester chez moi ce soir. Elle a fait des omelettes fourrées au riz puisque tu aimes ça. Bien sûr, tu ne dois pas t'en sentir obligé. Tu en penses quoi ?
Lui a continué à marcher lentement, les yeux rivés sur le sol comme s'il se concentrait sur ses pas. À chaque fois que son pied se posait sur l'asphalte, cela faisait des flic flac floc qui le berçaient au rythme de leur marche. Collés l'un à l'autre, ou surtout l'un collé à l'autre, ils ressemblaient à deux ombres fantômes marchant sous la pluie dans une rue désertique. En ce dimanche d'octobre, nul n'était là pour les voir, eux deux nomades abandonnés à leur solitude qu'ils considéraient comme une chance.
Comme le jeune homme qui tenait la photographie ne donnait pas de réponse, l'autre a continué sans même être certain d'être écouté :
-C'est bientôt ton anniversaire. Qu'envisages-tu de faire ?
Lui s'est arrêté subitement, puis il a détaché son bras de son camarade. Celui-ci s'est retourné, le parapluie en l'air, et l'a fixé d'un air dubitatif.
-Yu...
-Il a recommencé.
L'autre s'est immobilisé. Considérant le visage grave et contrit de son ami, il s'est doucement approché de lui qui baissa à nouveau la tête comme s'il craignait son regard, s'attendait à une remontrance. L'autre lui a délicatement pris la main mais il s'en défit sans bouger de sa place.
-Il a recommencé.
Comme ses larmes se mettaient de nouveau à couler toutes seules, l'autre a senti son cœur se serrer. Il aurait voulu le prendre dans ses bras mais il devinait qu'il aurait été rejeté. Alors il s'est contenté de l'observer, réprimant sa peine. Lui a enfoui son visage dans ses mains et ses épaules se sont mises à se secouer, pourtant ses sanglots ne laissaient passer le moindre son. C'est quand il est venu de lui-même se coller contre sa poitrine que l'autre a pu refermer son bras autour de lui.
-Je suis désolé. Juste une fois, laisse-moi pleurer s'il te plaît...
-Non, c'est moi qui suis désolé. Depuis toujours, tu avais le droit de faire ça. Tu as vraiment beaucoup attendu, tu sais ? Pleure tant que tu le veux.
-Je ne voulais pas pleurer.
-Ce n'est pas grave. Personne ne nous voit.
-Mais toi, tu me vois. Je ne voulais pas que tu me voies.
-Et moi, je ne voulais pas que tu réprimes ta douleur et me caches tes peines.
-Je ne sais plus quoi faire...
-Il n'y a rien que tu puisses faire.
-Alors, pourquoi est-ce que je suis né ?
-Pour vivre en tant que toi-même, je suppose.
-Ça ne suffit pas. Moi-même, ce n'est rien du tout.
-Tu te trompes. Idiot. Tu es idiot, sais-tu ?
En hochant la tête, ses sanglots décuplés, lui a posé ses mains fines contre la poitrine du jeune homme.
-Ce n'est la faute de personne. Je sais que tu fais de ton mieux, et c'est déjà beaucoup. Sans toi, ce serait sans doute pire. Tu lui es d'une aide précieuse.

Lentement, le jeune homme se détacha de l'étreinte de son ami et d'un revers de manche essuya ses larmes. Il lui adressa un sourire vide qui ne voulait plus rien dire.
-Il ne m'avait jamais frappé, avant. Il n'était jamais allé aussi loin avec moi.
 L'autre a écarquillé des yeux effarés, dessinant sur son front des ridules d'inquiétude.
-Ce n'est pas grave, tu sais. Ce ne serait pas grave si seulement cela pouvait l'aider à se calmer, mais après ça il est toujours plus nerveux, et il est venu s'excuser en pleurant. Il est mignon. Tu sais, à mon sens il n'existe pas de personne plus adorable que lui, et malgré tout ce qu'il fait je ne peux m'empêcher d'être triste. Je ne supporte pas de le voir dans cet état. Chaque jour un peu plus je réalise à quel point je suis et resterai impuissant. Et moi qui avais la prétention de pouvoir l'aider, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire maintenant ? Je ne veux pas le quitter. Est-ce que tu me comprends ? Dis, tu sais, je suis incapable de le quitter.
-Je le sais, Uke.
Uke a levé vers son ami un regard empli de reconnaissance, un regard à faire fondre n'importe quel cœur aride.
-Dors chez moi ce soir. Kai, j'ai peur quand tu restes seul. J'ai un peu peur...

Il a senti l'angoisse le prendre quand seul le silence lui a fait écho. Uke rivait sur lui des yeux qui semblaient le traverser sans le voir.
La pluie battait lentement sur le sol, orchestrant la tension atmosphérique de petits bruits qui se cristallisaient dans les airs.
-Je suis désolé, Anata-kun.

Il était très rare qu'Uke appelle Suzuki Reita par ce surnom, tout comme il était rare que Suzuki Reita appelle Uke par le surnom de Kai. Lentement, Reita s'est avancé, la main tendue, mais lorsqu'elle s'est posée sur ce visage morne, aucune réaction ne s'est manifestée.
-Uke, c'est dans les moments où tu m'aimes le plus que tu m'appelles ainsi. C'est ce que tu m'avais fait comprendre, il y a longtemps.
Uke a hoché la tête, et un fœtus de sourire au coin de ses lèvres a creusé là une fossette qui lui donnait plus que jamais un air enfantin. Cette fossette qui avait tant de fois fait chavirer le cœur de Suzuki Reita.
-Je t'aime, mais je ne peux pas dormir chez toi.
-C'est pour ton frère, n'est-ce pas ?
-Non, Anata-kun. Aujourd'hui je voulais seulement te dire au revoir.

Le monde a basculé autour de lui et il s'est senti tomber dans un gouffre sans fond, entraîné jusqu'au neuvième cercle de l'Enfer. Dans son apocalypse intérieure, Reita a secoué la tête, refusant d'y croire.
-Alors, je suis venu te donner ça.
Lentement la main d'Uke s'est plongée dans sa poche, d'où il ressortit le rectangle de papier qu'il tendit à son ami. Dans un silence presque recueilli, Suzuki Reita a saisi la photographie et a contemplé attentivement ce visage rayonnant qui lui souriait.
On aurait vraiment dit que c'était à lui qu'il souriait. Finalement ce sourire avait quelque chose en commun avec celui de la personne qu'il aimait plus que tout au monde.
Après un long moment de méditation, Reita a relevé son regard interrogateur vers Uke, bien qu'il se doutait avoir deviné.
-Qui est-ce, Kai ?
Le jeune homme a émis un rire à la fois amusé et embarrassé. Ce rire avait quelque chose d'étrange et laissait comme un arrière-goût amer dans le cœur de Reita.
-À part toi, quelle personne puis-je aimer au point de transporter sa photo partout où je vais ?
Reita a serré la photo contre son cœur, retenant les larmes qu'il sentait venir.
-Alors, pourquoi est-ce que tu me la donnes ?
Il ne voulait pas comprendre. Il ne voulait pas penser une seule seconde à comprendre. La seule chose qu'il aurait voulu faire à ce moment-là était d'exprimer tout son amour à cet être si sensible et si fragile qui se tenait devant lui.
D'un seul coup, la pluie s'est arrêtée. Comme soudainement privé de forces Suzuki Reita a laissé tomber le parapluie rouge qui a roulé un moment, poussé par le vent, avant de s'immobiliser.
-Parce que je veux que tu saches qui est celui que toute ma vie durant je me suis évertué à protéger, Reita.
Uke a reculé sans détacher ses yeux de son ami. Un souffle tiède s'échappait de sa bouche tremblante.
-Parce que quand je serai parti, il ne restera plus que toi.
-Je ne l'ai jamais rencontré... s'est lamenté Reita dont la voix s'amenuisait sous la douleur.
-Il n'y a qu'à toi que je fasse confiance. Je sais que tu peux le faire. Reita, du haut de tes vingt ans tu as déjà accompli beaucoup plus de miracles qu'un homme ordinaire ne peut en accomplir en toute une vie.

Dans un élan d'amour et de désespoir, Uke s'est rué contre son ami pour pleurer à chaudes larmes. Ses mains aveugles ont cherché son visage, se sont perdues dans ses cheveux et, lentement, il a glissé ses lèvres contre le cou de Reita jusqu'à venir se poser contre les siennes.
Un baiser impromptu, un baiser humide et tiède, un baiser triste et tendre, un baiser premier qui les emportait dans un tourbillon de douleur et d'amour heureux. Reita a fermé les yeux, savourant de tout son être, de toute la force de son cœur battant à tout rompre, ce baiser qu'il ignorait alors être aussi bien le premier que le dernier.
Lorsque Kai a mis fin à cet échange précieux, Reita est demeuré plongé dans une torpeur proche de l'hébétude. De ce baiser dont il avait tant rêvé en secret, jamais il n'avait pu en deviner le caractère sacré. À présent, cela lui apparaissait comme un trésor unique que rien ni personne ne pourrait jamais entamer.
-Je suis désolé. J'aurais voulu dormir au creux de ton nom un peu plus longtemps.

Et Uke s'en est allé, sans un mot de plus, sans jamais se retourner, laissant là un être humain seul, abandonné à son amour, son désespoir et son plus beau souvenir.

 
 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

-Ils disaient que j'avais de la famille.
Takanori était assis sur le lit, tournant le dos à Suzuki Reita. Il était courbé comme si un poids insoutenable pesait sur ses épaules, et de là où il était, à semi caché dans l'entrebâillement de la porte, Reita percevait les infimes tremblements qui secouaient le corps de Takanori.
Sans doute Takanori pleurait-il, même si le ton sur lequel il avait prononcé ces mots était plat et sans émotion. Suzuki Reita s'est avancé, doucement. Il ignorait si Takanori l'avait entendu, s'il s'adressait seulement à lui-même.
-Évidemment que c'était impossible. Seulement, eux, ils répétaient toujours que j'avais de la famille.
Reita l'a vu pencher la tête un peu plus, devinant son front appuyé contre ses genoux. Ses bras étaient mollement tendus, touchant presque le sol, et Takanori semblait tenir quelque chose dans sa main mais l'homme était incapable de distinguer ce que c'était.
Il ne s'était même pas offusqué que Takanori soit rentré dans sa chambre sans rien lui en dire. Peut-être que dès le début, il savait que c'était quelque chose qui devait arriver.
-Ils ne mentaient pourtant pas, tu sais. Ils pensaient ne pas mentir.

        Cette fois, le bruit des sanglots, pourtant si fins et si légers, est parvenu jusqu'aux oreilles de Reita, a chatouillé ses sentiments.
-Qu'est-ce que tu penses que j'ai fini par penser ? Dis, Anata-kun, selon toi, qu'est-ce que je pouvais faire ?
Pour la deuxième fois, Takanori l'avait appelé "Anata-kun". Lui a senti un frisson le parcourir, son cœur se serrer comme comprimé dans de la glace. Il a entrouvert les lèvres mais seul un son indistinct en est sorti.
-J'ai voulu les croire. Au fil du temps l'idée que je puisse avoir de la famille ne m'est pas restée totalement étrangère. Que fallait-il que je fasse ? J'étais soulagé d'avoir un espoir auquel me raccrocher. Mais bien sûr, dès le début Reita, s'il y avait eu de l'espoir, je n'aurais jamais fini à la Fourrière.
-Mais, Takanori, tu es libre à présent, a articulé Reita qui sentait une boule acide dans sa gorge.
Le crâne du jeune homme s'est secoué de gauche à droite. Il s'est redressé et il a semblé à Suzuki Reita alors que ses épaules étaient beaucoup plus frêles qu'il n'y paraissait. La chose que Takanori tenait dans ses mains, il l'a laissée tomber et cela a fait un glissement à peine perceptible. Mais Reita ne pouvait toujours voir ce dont il s'agissait, n'osant s'approcher.

-Libre ? De quoi, Reita ? Tu t'imagines que je resterai avec toi ? Non. Ce n'est pas une chose à laquelle nous sommes destinés. Cela ne doit pas se passer comme ça. Ce que tu fais, je ne peux pas l'accepter. Je devrai partir tôt ou tard, que tu l'acceptes ou non mais en partant, je n'aurai rien à retrouver. C'est pourquoi il aurait mieux valu que tu me laisses retourner à la Fourrière. Je n'ai plus d'autre endroit à moi, maintenant. Parce que Reita, nous sommes des inconnus. Dis, tu sais, nous resterons des inconnus... Alors...
-Ce que tu penses est que tu es un poids pour moi, pas vrai ?
Il n'y eut nulle réponse. Takanori gardait la tête baissée vers la chose qu'il avait laissée sur le sol, muet. Les larmes restaient accrochées à ses cils comme de minuscules stalactites de cristal. Au son que faisaient les pas de Suzuki Reita qui doucement s'approchait, il s'est vivement retourné, et c'est par des yeux suppliants qu'il a fixé l'homme.
-Je n'ai pas de famille, Reita. Je n'en ai plus, et je crois que tu le sais. Je n'ai eu qu'une seule famille dans ma vie. Une famille qu'une seule personne constituait. À présent elle n'est plus là. Je suis comme un orphelin, je le suis entièrement depuis que mon frère n'est plus là. Mais j'ai toujours été l'orphelin de mes parents. Ils m'ont abandonné. Abandonné ? répéta-t-il avec un rire nerveux. C'est idiot, j'ai vingt-neuf ans. Je veux dire qu'ils n'ont jamais fait attention à moi. Je ne peux pas leur en vouloir, c'est une chose tout à fait légitime lorsque l'on sait le mal que je suis capable de faire.

Reita l'écoutait, contrit, s'en voulait de ne pas même trouver la force de convaincre Takanori qu'il ne se trouvait aucun mal en lui et dans ses actes.
-Pourtant, lorsqu'à la Fourrière ils me répétaient que je ne restais en vie seulement que parce que ma famille les payait pour cela, j'ai réellement fini par croire qu'en ce monde, quelqu'un se souvenait de mon existence et espérait me venir en aide. Maintenant je sais, Reita. Et je t'en veux. Tu sais, je t'en veux, je t'en veux de ne m'avoir rien dit pendant tout ce temps, je t'en veux de m'avoir indirectement fait espérer que je puisse être finalement aimé de ma propre mère. La réalité est que je t'en veux de m'avoir sauvé.

Reita n'a pu que baisser les yeux devant le regard humide et dénué de reproche de Takanori, mais les pensées déferlaient en lui comme autant de déflagrations à l'âme.
-Sauvé quand la seule personne qui nous aimait n'est plus là, je suppose que tu ignores même ce que ça peut bien signifier.

Peut-être que Suzuki Reita ne l'ignorait pas vraiment. Peut-être qu'en réalité, il comprenait cela aussi bien que Takanori. Seulement la peine, le désarroi et le désenchantement de Takanori, à ce moment-là, n'étaient pas les siens.
-C'est aussi de ma faute d'avoir espéré que ma mère, car elle seule est encore en vie, ait pu faire quelque chose pour moi. Dès le début, je n'aurais jamais dû penser à une éventualité aussi grotesque. Je ne suis qu'un idiot. Un idiot qui a tenté de lutter pour rien. Pourquoi est-ce que j'ai lutté, hein ? Pourquoi est-ce que je continuais à me rebeller contre les hommes de la Fourrière ? Peut-être que...

Takanori a reporté son regard devenu sec sur le rideau rouge sombre, clos, qui plongeait la pièce dans la pénombre. On aurait dit que par-delà les vitres hermétiquement dissimulées il tentait de déceler un morceau de liberté à saisir au vol.
-Il aurait mieux valu que je les laisse me faire tout ce qu'ils voulaient. Puisqu'ils ne pouvaient me tuer... j'aurais dû me laisser mourir, simplement.

Lorsque la main de Reita s'est posée sur l'épaule de Takanori, celui-ci l'a délicatement repoussée. Plutôt par pudeur et gêne que par rancœur.
-Mais j'étais effrayé à l'idée de le suivre.
Une vague de larmes a envahi les yeux de Ruki, un vague à l'âme a sinistré le cœur de Reita. En silence, il s'est assis sur le lit aux côtés de l'homme qui ne bougea pas.
-Je n'avais pourtant plus rien à attendre. D'un monde sans lui je n'avais rien à espérer, je le savais depuis le début. Même toi, Reita. Je ne t'attendais pas. Je n'aurais jamais pu imaginer ta venue. La réalité est que j'avais même complètement effacé en moi l'idée de ton existence. Malgré tout, tu vois, j'étais terrorisé à l'idée de le suivre. Mais pourquoi ? Pourquoi...
           Il a joint ses mains et y appuya son front strié des rides du chagrin.
-Tu ne m'attendais pas, Takanori. Pourtant je suis venu.
Takanori a relevé la tête et a adressé à Suzuki Reita un sourire teinté de tristesse.
-Si tu es venu, ce n'est pas pour moi. Je ne t'attendais pas, mais une autre personne attendait que tu viennes à moi.

Bien sûr, il n'y avait rien à répondre à cela. C'est une culpabilité hésitante qui a fait vaciller les pensées de Reita, se balançant d'un côté et de l'autre sans trouver de parti. À la fin, il a plongé son crâne entre ses mains.
-J'ai dit que je t'en voulais, mais la réalité est toute autre, Anata-kun. Tu as agi par amour, agi parce que tu tiens même les promesses que tu ne prononces pas. Mais la réalité est que jamais tu ne pourras être de ma famille. Je n'ai plus de famille, Reita. Cela est fini. Et tout l'argent -Ô, je n'ai aucune idée du montant- que tu as déversé à la Fourrière en te faisant passer pour un membre éloigné de ma famille afin qu'ils me maintiennent en vie n'y fera rien. Toujours la liberté demeurera une entité que l'argent ne pourra acheter.


Lorsque Takanori s'est levé, ce fut à son tour de poser ses mains sur les épaules avachies de Reita. Celui-ci a redressé un visage décomposé par la détresse vers lui.
-J'ai été traité comme un fou furieux et dangereux, Reita. Qui sait ce que cela pourrait t'apporter ? Moi, je ne vois pas la raison pour laquelle je te mettrais en danger. Je ne vois pas non plus pourquoi je devrais t'être attaché. De tout ce que tu as fait, je n'ai rien désiré. La seule chose que je souhaite à présent est de m'en aller. Vas-tu m'en empêcher ?
-Alors, où iras-tu ? s'étrangla faiblement Reita, au bord de la crise de larmes.

Takanori a soutenu son regard durant de longues minutes, ainsi. De longues minutes comme une éternité insoutenable où des mots se perdaient dans l'air, se taisaient, s'écrasaient sous le poids des sentiments et des convenances. Des mots qui ne devraient probablement jamais être dits. Une communication disloquée et tacite par laquelle ils s'enfonçaient un peu plus.
À la fin, Takanori a détaché ses mains des épaules de Reita et alors, il s'est baissé, saisissant la photographie qu'il avait laissée sur le sol.
Il l'a fixée un moment, pensif, sans rien laisser paraître d'autre sur son visage qu'une impassibilité à la limite de l'apathie.
-Je ne te demande pas qui te l'a donnée. Je crois que la réponse est évidente. Toutefois, cette photo m'appartient à présent. Parce que ce sourire que tu peux voir ancré sur mon visage, ce n'est pas à toi que je l'adressais.

Takanori a semblé attendre une réponse de Reita qui demeurait silencieux, abattu, puis lentement a déserté la pièce. Lorsqu'il a même entendu la porte d'entrée claquer pour plonger l'appartement dans le silence, Reita n'a pas cillé.

 
 
 
 
 
 

                                          ~~~~~~~~~~~~~~~~
 
 
 
 
 
 


Sous la blancheur des draps, une forme allongée s'est raidie, contractée.
Attachée au tissu par la sueur, elle se dessinait presque en transparence sous le satin. Quelque chose a claqué, au fin fond des brumes de la pénombre. Sous ses paupières closes des rêves défilaient comme des nuages orageux dans les yeux révulsés de Hakuei, et très vite la chaleur devint si insoutenable qu'il se mit à suffoquer, se tournant et retournant pour chercher de l'oxygène nouveau quelque part dans cet air renfermé et tiède que les draps plissés contenaient.  
Il devait se libérer pour respirer, pourtant les frissons glacés qui l'assaillaient sous la sueur le paralysaient si bien que même ses poumons, par-delà son sommeil, lui paraissaient bloqués. Dans un élan de panique il a ouvert des yeux écarquillés et, réalisant où il était, il s'est échappé du lit comme une proie d'un prédateur. À demi-nu il a couru jusqu'à la salle de bain où il s'est mouillé le visage d'eau froide. Il a regardé son visage sur le miroir, ce visage cerné et blême comme la mort.
Il s'est contemplé comme il contemplerait un inconnu subitement apparu dans son appartement. Avec déconcertement et effroi.
À la fin, il a détourné les yeux, presque intimidé, et est retourné dans sa chambre, écarté les volets clos et a ramassé le drap qui s'étalait sur le sol. Il s'est habillé, lentement, un costume entièrement noir, a vérifié l'heure sur le réveil -6h25- et est sorti sans même prendre le temps de fermer la porte à clé.


La femme a poussé un cri de terreur. Elle a manqué se renverser de sa chaise avant que Hakuei ne la retienne violemment. Il a approché son visage du sien, figeant son visage dans une expression de rage de façon à se montrer persuasif. Mais plus que de la rage, c'est de l'angoisse qui le tenaillait.
-Maintenant, je veux le voir. Maintenant.
Sans même attendre de réponse il l'a relâchée, délicatement, et a couru appeler l'ascenseur ; n'en tenant plus au bout de cinq secondes il a laissé tomber et a gravi les escaliers à toute vitesse avant d'atteindre l'étage où Natsuki était gardé avant de changer de chambre.
Il a pénétré dans cette chambre bien qu'il savait ne plus y trouver Natsuki, mais à la place de Takanori qu'il s'attendait à voir se trouvait un vieillard à mi-chemin entre la vie et la mort. Hakuei a grimacé sous le coup de la nausée puis sans attendre s'est remis à arpenter les couloirs à la recherche d'une aide quelconque.
Il a intérieurement remercié le ciel lorsqu'il a vu apparaître deux sympathiques infirmières qui poussaient un brancard. Il a accouru vers elles, haletant :
-Excusez-moi, je cherche Natsuki, il était ici avant mais il a été transféré dans une autre chambre, je voudrais vraiment le voir même si on me l'a interdit, c'est urgent, pouvez-vous m'aider ? Je vous en prie !

Elles qui au début continuaient à courir en poussant le brancard sans l'écouter, pressées, se sont brusquement figées. Elles l'ont considéré comme un bête curieuse, inquiètes, avant de se consulter tacitement du regard. Hakuei restait là, essoufflé, baladant sans fin ses yeux de l'une à l'autre, attendant une réponse.
-Alors...
L'un d'elles a baissés les yeux vers la forme allongée sur le brancard. Cette forme humaine dont ne dépassait qu'un visage si décharné qu'il en était méconnaissable.
Hakuei s'est laissé tomber à genoux dans un cri d'horreur.
-Natsuki !

Ce nom a résonné trois fois dans le bâtiment, imprégnant les lieux de toute sa force vitale.


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

-Je ne peux même plus te voir. Idiot. Je ne te vois même plus...
       Par-delà sa conscience anesthésiée ces mots ont pris forme à l'intérieur de Natsuki, s'engluant comme des morceaux de vase éparpillés dans la mer qui se rejoignent pour former une immense tache verdâtre au-dessus de l'eau calme et claire. Ses paupières bleutées ont cillé, imperceptiblement, et sous son masque à oxygène ses lèvres desséchées ont semblé bouger. De la buée a pris place sur la paroi de plastique transparent, et dans une plainte de douleur Hakuei s'est penché, collant son oreille tout près de cette bouche emprisonnée.
-Je n'entends pas ce que tu dis.
Les lèvres de Natsuki continuaient de se mouvoir, pourtant, avec une extrême lenteur comme s'il faisait des efforts concentrés pour articuler. Mais aucun son ne parvenait aux oreilles de Hakuei, et celui-ci s'est redressé, toisant l'homme avec une colère feinte pour dissimuler son indicible chagrin.
-Je ne t'entends pas. Je n'arrive plus à te voir non plus. Ce que je vois de toi est devenu flou et indistinct, ça ne te ressemble pas. À quoi cela sert-il que je sois venu, dis-moi ? Pourquoi est-ce que je suis venu te voir, idiot ? Tu me fais faire des choses insensées, moins insensées tout de même que ce que toi as fait. Moi, je ne te pardonnerai pas. Jamais.
Natsuki a entrouvert les yeux. Deux prunelles comme des étendues de glace bleutée qu'un timide rayon de soleil polaire venait caresser.
Hakuei a souri pour se donner une contenance et a effacé les larmes qui, depuis le début, s'écoulaient en dépit de sa volonté.
Natsuki a voulu tourner la tête mais bien sûr, les épais bandages qui enserraient sa gorge, et les tuyaux la perforant l'immobilisaient totalement. Il a levé sa main tremblante, cette main qui a semblé si frêle à Hakuei qu'il a eu l'impression qu'elle allait se briser. Il a saisi cette main avec la plus infime des délicatesses et a caressé le front blanc de Natsuki en murmurant des mots apaisants.
-Ne bouge pas. Repose-toi.

Pour la première fois, Natsuki semblait vouloir obéir ou peut-être bien n'avait-il tout simplement plus la force de tenter quelque opposition.
Un murmure indistinct a traversé le masque respiratoire, parvenant aux oreilles de Hakuei sans qu'il ne pût en discerner le sens. Il s'est à nouveau penché sans ôter sa main de son front.
-Je suis désolé, je ne t'entends pas.
Natsuki a lentement abaissé les paupières comme pour lui signifier que ce n'était pas grave, puis a planté ses yeux ternes dans les siens.
-Ne me regarde pas...
Hakuei s'est figé un instant avant de se redresser, raide comme un automate.
-Pourquoi cela ?
Il disait sans colère ni reproche, seule une pointe d'inquiétude semblait paraître dans sa voix. Natsuki a tenté de soulever sa main libre pour en couvrir son visage, en vain. Bouger lui faisait trop mal.
-Je suis monstrueux... Ne me regarde pas. Je ne veux pas que tu voies mon visage... mon corps.
Sa bouche était devenue invisible sous la buée laissée sur le masque.
Hakuei a vivement secoué la tête, contrit.
-Mais non. Tu es beau, tu sais. Les cicatrices et les ecchymoses s'en iront. Tu resteras toujours beau.
C'était peut-être la première fois que Hakuei lui parlait d'un ton aussi doux sans montrer aucune réprobation, aucune colère.
Natsuki a laissé vagabonder son regard à travers la fenêtre, se perdant dans la contemplation des fines gouttes de pluie qui commençaient à s'écraser contre la vitre. D'une voix morte, il a murmuré :
-Je ne parlais pas de ça... Hakuei, regarde. À cause d'eux, je suis en train de redevenir un monstre. Alors que... je pensais réellement être capable de réussir, d'atteindre ce but que je m'étais fixé. Maintenant... je me perds dans un chemin que je ne me suis pas tracé.
-Non ! Non, Natsuki, s'exclama Hakuei en sentant le désarroi serrer son cœur. Tu n'es pas un monstre ! Et ce but que tu cherchais à atteindre et dont tu étais déjà si proche n'était pas normal ! Mort, c'est ainsi que tu te vois beau et digne ? C'est en étant mort que tu seras fier de celui que tu es, heureux de ce que tu as accompli ?
-Je ne veux pas mourir, Hakuei. Je voulais juste changer.
-Oh mais si, tu as voulu mourir. Natsuki, ces cicatrices sur tes poignets et ta gorge en sont la preuve, non ? Tu as essayé de mourir par un moyen plus rapide et radical. Mais jamais personne au monde n'a voulu que tu meures.

               La paume que Hakuei laissait posée sur le front du jeune homme, il l'a lentement laissée glisser le long de sa joue pour y rester.
Attiré par le contact chaud et doux, Natsuki a tourné la tête de façon à ce que, coincée entre sa joue et l'oreiller, la main de Hakuei ne puisse plus se libérer.
Hakuei a souri, attendri. Mais quelque chose l'effrayait en secret. Sous la peau blafarde de Natsuki, il sentait nettement les os de la pommette.
Toutefois il n'a rien fait, parce que pour la première fois Natsuki le laissait le toucher sans le repousser ou hurler de terreur.
-Tu ne comprends pas, Hakuei. À chaque nourriture que j'avale, c'est un peu plus de vie que je vole. Une vie qui ne m'est pas due... Moi, je veux tenir... sans avoir à puiser trop de vie, sans prendre trop de place aux yeux des autres. Mais eux me torturent. Ils veulent ma mort, ou que je devienne dément. Ils m'injectent de la nourriture par intraveineuse comme si j'étais malade... Et m'empêchent de bouger comme on enchaîne et muselle un chien désobéissant. Je suis désobéissant, Hakuei, parce que ce qu'ils font va à l'encontre de mon bien-être mais tu vois je ne suis pas un chien.


                   Des larmes ont commencé à perler au coin des yeux de Natsuki, mais elles demeuraient là comme pour nettoyer son chagrin sans jamais couler. Avec douleur Hakuei s'est penché et dans toute sa pudeur a déposé un baiser sur le front de Natsuki. Il a attendu quelques secondes, craignant que celui-ci ne proteste, mais celui-ci s'était laissé faire en gardant les yeux fermés.
Alors, dans un élan de tendresse et de détresse, Hakuei est venu enfouir son visage au creux de ce cou délicat et caché derrière le bandage serré.
Il a voulu humer le parfum de sa peau mais ne sentait rien d'autre que l'odeur des produits désinfectants, du tissu et un peu du sang.
Hakuei s'est mis à pleurer sans retenue, si silencieux cependant que Natsuki ne se rendit compte de rien.
-Pourtant, je désirais même donner tout ce que j'ai pour toi. Tu pouvais puiser ma propre vie aussi. Voir toute la vie du monde en toi, c'est ce qui me rendait heureux. Natsuki, tu ne te souviens pas ? Je t'aimais quand tu étais vivant.
 
 
 
 
 
 
 


                                           ~~~~~~~~~~~~~~~~
 
 
 
 
 
 
 
 

-Il y a un moyen de sauver Asagi.
Ryô a sursauté trois fois. La première, lorsqu'il a entendu la porte de son appartement claquer brusquement. La deuxième, lorsque la voix de Mao a annoncé la nouvelle qui a fait chavirer son cœur, et la troisième enfin lorsqu'en se retournant il aperçut, aux côtés d'un Mao essoufflé, une espèce de jeune hurluberlu travesti.
-Qu'est-ce que cet homme fait là ? s'est-il exclamé à l'attention de Mao.
-Ryô, qu'est-ce que ça peut faire ? Tu as écouté ce que je viens de dire ?
-Il a reconnu que j'étais un homme... a soufflé Mashiro, ébahi.
    Sans jeter un seul regard sur Mashiro, Ryô se précipita sauvagement sur Mao qui demeura de glace. Les mains de Ryô, agrippées au col du jeune homme, tremblaient.
-Qu'est-ce que tu as dit ?
Le plus souverainement du monde, Mao a retiré les mains de Ryô, plantant ses yeux de glace dans les siens, plus sombres que jamais.
-Je t'ai dit que Mashiro et moi avons trouvé le moyen de sauver Asagi.

Ryô a frôlé la crise cardiaque, la crise de larmes et de rires. Il a cru devenir fou, sa tête s'est mise à tourner sous le coup de l'émotion, la pièce s'est remplie de son rire nerveux et joyeux alors qu'il secouait farouchement la tête, refusant d'y croire comme s'il traitait Mao de menteur.
-Je...tu disais... Je croyais que tu avais totalement abandonné. Et cet homme ? Qu'est-ce qu'il fait avec toi ? Tu disais ne plus jamais vouloir le revoir, que ce n'était qu'un égoïste trop peureux.
Mashiro a tourné un visage décomposé vers Mao qui, lui, n'avait pas détaché son regard brillant de Ryô. Il a souri.
Personne n'aurait su dire ce que signifiait ce sourire en coin.
-Tu poses les mauvaises questions au mauvais moment. Il se trouve que peut-être, je n'avais pas totalement laissé tomber. Eh bien, la question que tu devrais poser est de savoir quel est le moyen de sauver Asagi, non ?

Ryô s'est laissé tomber à genoux devant Mao, et larmoyant il a joint ses mains en signe de prière. On eût dit un fidèle en pleine adoration devant un Saint.
-Dis-le moi ! Ô, je t'en prie, dis-moi comment retrouver mon frère !

Ryô s'est projeté en avant et s'est retrouvé littéralement prostré, les bras tendus et mains à plat sur le sol, aux pieds de Mao qui retrouva son sourire goguenard.
-Tu ne devrais pas te réjouir si vite, cependant.
Ryô a levé vers lui un visage blafard dissimulé sous les épaisses mèches noires et ondulées qui lui donnaient un aspect paradoxal, à la fois noble et sauvage.
-Que veux-tu dire ?
Mao l'a toisé un moment d'un air condescendant qui inquiéta quelque peu Mashiro sur le coup, et sans répondre il sortit un paquet de cigarettes de sa poche et quelques secondes après, la flamme crépitait au bout du filtre entre sa bouche. Il a baissé la tête, ses yeux transparents rivés sur ceux, implorants, de Ryô. Indolemment il a recraché la fumée sur son visage.
    Ryô n'a même pas protesté, bien trop absorbé par l'attente de la révélation. L'atmosphère mettait Mashiro de plus en plus mal à l'aise. Il commençait à se balancer de gauche à droite sur ses pieds, les paumes moites serrant le pan de sa robe à froufrous. Mao semblait prendre un malin plaisir à plonger Ryô dans l'angoisse de l'attente.
-D'après toi, Asagi a un comportement tout à fait normal en société, non ?
-...Bien sûr, a balbutié Ryô qui ne savait où il voulait en venir.

Mao a haussé les sourcils et a lentement hoché la tête, satisfait.
Quelque chose inquiétait sérieusement Mashiro, mais le garçon ne parvenait à mettre le doigt dessus. Quelque chose dans le détachement de Mao qui lui donnait un mauvais pressentiment.
-Tu n'as qu'à lui dire, toi, a dit Mao dans un haussement d'épaules.
         Délaissant Ryô toujours à genoux, il s'est avancé vers la fenêtre et l'a ouverte en grand, indifférent au vent et au froid glacial qui pénétraient dans la pièce, et s'est accoudé au rebord afin de savourer pleinement sa cigarette, les yeux dans le vague.
Mashiro a mis du temps à comprendre qu'il s'était adressé à lui.
Mais lorsqu'il a parlé, il n'a pas pu soutenir le regard de Ryô.
-Si vous voulez avoir une chance de le libérer, il vous est réclamé dix millions de yens.
Le sol s'est ouvert sous les pieds de Ryô.

Après qu'un long silence empreint d'un lourd vertige eût surplombé la pièce, le rire de Mao a retenti, aussi froid que la glace, aussi discret que la sournoiserie. Il gardait le dos tourné.
-Sinon, vous n'avez jamais pensé à la prostitution ?
 
 
 
 
 
 


                                            ~~~~~~~~~~~~~~~~
 
 
 
 
 



Il a secoué la tête, lentement, en proie à une torpeur due à un choc immense.
Il a continué à faire "non, non, non" de la tête comme ça, se mordant inconsciemment la lèvre inférieure.
-Je n'y aurais jamais pensé...
Il avait dit cela sur un ton de détresse, un murmure éthéré qui soufflait comme un vent d'hiver mourant.
-Je n'aurais jamais pensé que tu reviendrais malgré tout.
La silhouette timide, debout sur le perron, ne bougea pas. Gardant la tête baissée sous sa capuche en un signe de respect et de crainte, il s'est contenté de ciller sur ses yeux fuyants.
Il ressemblait presque à un enfant, son petit corps emmitouflé dans ce lourd manteau de cuir doublé de fourrure de laine. Sur son front baissé tombait des mèches désordonnées. Il n'attendait peut-être qu'un signe.
Sur le bout de ses chaussures noires, de la poudre de neige commençait à s'accumuler.
-Je suppose que je ne peux pas te laisser là.
Il s'est senti brusquement tiré en avant, une main fermement agrippée à son bras. Et au moment où sa capuche tomba, dévoilant son visage apeuré, la porte rouge se refermait dans un fracas.
-Tu es trempé, s'est lamenté Satsuki dans un soupir presque théâtral.
-Il ne pleut pas, tu sais.
-Alors la neige a fondu sur ton visage.
-Il n'a pas neigé sur mon visage.

Satsuki l'a dévisagé un moment, méditatif, puis lui a tourné lé dos dans un murmure incompréhensible qui semblait exprimer tout son désarroi.
-Tu ne devais plus revenir. C'est ce que je t'ai demandé. J'ai pensé que tu étais pieux et sage. Alors j'étais persuadé que tu m'obéirais. Je me disais... que tu ne saurais aller à l'encontre des vœux d'un Ange.
-Mais j'ai découvert que tu n'étais pas un Ange, Satsuki.
Lui s'est immobilisé, le corps raide, avant de se retourner. Il a contemplé Kyô avec un air intrigué et lentement s'est approché de lui, si lentement qu'il semblait le craindre. Kyô soutenait son regard mais la peur irrationnelle que lui provoquait l'approche de Satsuki était manifeste.
-Découvert ? Tu as découvert... que je ne suis pas un Ange. Tu as découvert celui que tu habillais d'un costume pour trouver le vrai moi, que tu ne voyais pas.
Kyô a hoché la tête, les mâchoires serrées. On eût dit qu'il se retenait de prononcer des mots qui lui brûlaient les lèvres.
-Avant de me découvrir, Kyô, j'aurais voulu savoir de quoi est-ce que tu m'avais couvert. De quoi est-ce que tu avais caché la réalité pourtant si évidente que je ne suis qu'un être humain.
À l'extérieur une brusque rafale de vent glacé a provoqué des courants d'air violents dans la maison. Lorsque la porte du salon claqua Kyô ne put retenir un cri de terreur. Il enfouit son visage entre ses bras, tremblants.
Satsuki l'a toisé avec un mélange de désolation et de condescendance. Kyô n'aurait jamais dû revenir. C'est ce qu'il se disait, et bien que quelque part au fond de lui il ne pouvait lui pardonner, il était obligé d'admettre qu'il n'était pourtant pas si malheureux de le revoir.
-Je ne sais pas.

La voix de Kyô, si fluette et fragile qu'elle semblait sur le point de se dissoudre dans les airs, a obligé Satsuki à se pencher vers lui, attentif.
-Je ne sais pas, a répété Kyô en reculant. Ce qui a fait que je vous voyais comme un Ange, je ne sais pas. J'aurais pu dire que vous êtes bien trop beau pour que cela soit concevable à la conscience humaine qui, lorsqu'elle ne peut croire à ce qu'elle voit, déforme la réalité pour la conformer à ce qui lui semble pouvoir expliquer les choses qui ne peuvent l'être. J'aurais vraiment pu dire ça, parce que beau, vous l'êtes sans doute à un point même que vous ne pouvez le concevoir de votre point de vue intérieur. Mais ce n'est pas ça. Votre beauté ne peut suffire à expliquer la perception faussée que j'ai eue de vous. Il y a autre chose, de plus profond et invisible, quelque chose qui n'est intrinsèque qu'à vous et que vous dégagez par une aura indicible. Pour la première fois de ma vie, j'ai rencontré un homme qui ne m'a inspiré aucune méfiance.

Kyô a poussé un hurlement de terreur lorsque sans crier gare, les mains de Satsuki se sont plaquées contre le mur, ses bras emprisonnant d'une part et d'autre le pauvre homme terrorisé.  Le vrillant d'un regard de glace acéré, Satsuki approchait son visage si près de celui de Kyô que son souffle chaud se faisait sentir sur le front baissé de celui-ci.
-Arrêtez... supplia le jeune homme, au bord de la rupture.
-Vous n'avez pas peur de moi, hein...
Dans un soupir chagriné, Satsuki s'est redressé, passant furtivement sa main dans les mèches blondes de Kyô.
-Je suis certain qu'il y a autre chose d'encore plus profond, ajouta Satsuki en s'avançant vers la fenêtre pour contempler les blancs flocons tombant dans un silence cotonneux. Quelque chose de trop profond pour que vous ne puissiez le saisir, quelque chose de bien trop enfoui au fin fond d'un gouffre noir pour que vous puissiez le voir. Mais quelque chose qui vous concerne et qui n'a rien à voir avec moi. C'est ce que je ressens, c'est mon avis personnel. Toutefois, je suis certain de ne pas me tromper.
-Vous vous trompez pourtant, affirma Kyô qui avait repris de son assurance comme il rivait ses yeux brillants et sombres sur le dos fin de Satsuki.
-Mais c'est pourtant devant ma porte rouge que tu t'es arrêté la première fois.

Il s'est avancé vers Kyô d'un pas assuré et a planté son regard lourd de sens dans le sien. Au coin de ses lèvres chaudes naissait un infime sourire de tendresse et de détresse.
-Devant ma porte rouge, ce n'est pas moi que tu pouvais pourtant voir.

Un vide blanc s'est creusé dans l'esprit chamboulé de Kyô. Un vide chaotique sans début ni fin qui l'a plongé dans un silence incapable. Ses yeux ne reflétaient plus rien d'autre que ce vide mystérieux et envahissant.
-En fait, ce n'est pas moi que tu appelais non plus.

                                 Il ne s'est pas souvenu, Kyô.
Prisonnier du regard bleu et envoûtant de l'homme qui le toisait tout en lui souriant avec bienveillance, il ne s'est pas souvenu que ce jour-là, agenouillé devant la porte rouge, il avait appelé le nom de sa mère.


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

-Dix millions de yens... a répété Ryô, encore sous le choc de l'annonce.
      Il faisait froid, dans la pièce du Directeur. Un froid bétonné et paralysant qui engourdissait les gorges et les poumons. Même parler semblait demander un souverain effort. Pourtant Ryô ne s'en préoccupait pas. Le visage neutre du Directeur, semblable à celui d'un androïde, le fascinait tant qu'il ne faisait plus qu'attention à lui. Un visage sur lequel se mouvaient des lèvres édictant avec lassitude les moyens de récupérer son frère.
À droite et à gauche de Ryô se tenaient respectivement Mashiro et Mao, silencieux et graves. Bien que Mao était comme à son habitude royalement stoïque, la nervosité de Mashiro se faisait sentir dans ses battements de jambes réguliers.
-C'est cela, conformément à la loi. Si vous tenez à avoir une chance de récupérer votre frère... Vous devez verser une caution en liquide d'un montant de dix millions de yens à la Fourrière. Cette caution sera rigoureusement gardée durant deux mois. Deux mois, c'est-à-dire la durée pendant laquelle votre frère aura obtenu la décharge lui permettant de vivre à l'extérieur de la Fourrière, chez vous comme vous le désirez. Durant ces deux mois, il sera bien évidemment demandé à chacun de ses proches de dûment surveiller Asagi pour s'assurer du mieux possible à ce qu'il ne fasse pas de crises et n'ait aucun accès de violence qui puisse mettre un tiers en danger.
-Mais, bredouilla Ryô en passant anxieusement sa main dans ses cheveux, cela reviendrait à traquer mon frère... Je veux dire, je ne peux décemment pas le surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il me faut bien le laisser libre sinon, comment voulez-vous qu'il vive ?!
-Nous avons effectivement bien conscience de ce problème, répondit le Directeur du tac-au-tac avec une assurance sans égale. C'est pourquoi en vue de pallier ce petit souci, nous avons à notre disposition des bracelets radars.
-Plaît-il ? s'exclama Ryô, choqué.
Dans un sourire purement professionnel, le Directeur fit rouler sa chaise en arrière et d'un geste souple ouvrit le tiroir de son bureau, duquel il sortit un bracelet métallique d'une largeur de deux centimètres au milieu duquel se trouvait un écran rectangulaire noir.
-Il est éteint, bien sûr. Durant les deux mois où votre frère sera en liberté, il ne devra jamais cesser de porter ce bracelet. Il est hydrofuge, bien entendu, et résiste à tous les chocs. Ce bracelet détecte les connexions nerveuses du cerveau particulières à la crise lorsque celle-ci est en route. C'est pourquoi si une crise de quelque nature que ce soit a lieu, une lumière rouge se mettra à clignoter, émettant des ondes sonores qui alors parviendront jusqu'à nous par le biais de connecteurs, et nous serons immédiatement au courant de ce qu'il se passe.
-Et... qu'adviendra-t-il si mon frère est de nouveau atteint d'une crise violente ? s'inquiéta Ryô.
-Nous ferons immédiatement appel à notre équipe de secours qui s'empressera de venir chercher votre frère afin d'éviter qu'il n'y ait des victimes à déplorer. Suite à quoi il sera immédiatement ramené ici. Si cela doit arriver, malheureusement vous devrez comprendre que nous nous verrons contraints de garder Asagi pour le restant de ses jours ici. De plus, tout comme la caution de dix-millions de yens vous sera remboursée dans son intégralité si, au cours des deux mois, nul incident n'est à rapporter, il vous faut ne pas perdre à l'esprit que si votre frère commet à nouveau un pas de travers, alors ladite caution sera encaissée dans sa totalité. C'est pourquoi, Monsieur, bien qu'il vous tienne à cœur de récupérer votre frère, vous devez réfléchir au fait que vous prenez le risque de délaisser pour toujours dix millions de yens.

Toute la pesanteur de l'atmosphère s'est appuyée sur Ryô qui courba ses épaules, sentant sa poitrine oppressée. Le regard lourd et inquiet de Mashiro pesait sur lui comme une nouvelle épée de Damoclès prête à s'abattre.
Le léger sifflement provoqué par le battement des jambes de Mashiro avait disparu. Il s'était immobilisé, fixant Ryô en semblant lui crier "non, non !" de ses yeux implorants, mais Ryô, le regard rivé sur ses mains moites posées sur ses genoux, ne le voyait pas. À côté toujours, Mao demeurait le symbole même de l'impassibilité.
-Alors ? finit par s'enquérir le Directeur après un long silence pesant.
-Même si... murmura faiblement Ryô sans lever les yeux. Même s'il s'avère au final que mon frère est condamné à finir sa vie dans cet endroit... Si je vous donne cet argent, cela veut dire que je pourrai le garder à nouveau auprès de moi, même si ce ne devait être que pour une journée ?

Pour la première fois depuis le début de l'entretien, Mao a tourné le regard vers Ryô. Ses yeux ont ensuite croisé ceux de Mashiro. Il reporta immédiatement son attention sur le mur d'un air détaché.
-Vu comme cela, oui, dit le Directeur. En payant cette somme, vous permettez à votre frère de vivre comme il l'entend, même si ce devait n'être que pour un jour.
                Les paupières de Ryô se sont closes sur ses yeux noirs que les larmes commençaient à embuer, puis il a ouvert son regard décisif sur le Directeur. Il a pris une profonde inspiration :
-Je vous apporterai la somme de dix millions de yens, en espèces, dans les plus brefs délais. En attendant, je remets Asagi à votre bienveillance.
     
Plus pâle que jamais, il s'est levé et s'est dirigé vers la porte d'un pas robotique. Il a adressé un faible au revoir au Directeur et, suivi par Mao et Mashiro, il s'en est allé sans un mot.

Signaler ce texte