Puzzle de Mots

redstars


Pensées du 11/10/2017


Six heures. J'ai bu mon café à la vitesse de l'éclair, comme toujours, parce que rien ne va jamais assez vite, et qu'il faut courir, et courir encore, comme le lapin d'Alice qui me nargue avec sa montre à gousset. Je suis en retard de rien, pourtant, j'ai même carrément tout mon temps. Mais il faut que je me dépêche, alors je tourne et je tourne dans tous les sens, je grimpe et redescends les escaliers, je fais plusieurs choses à la fois sans jamais me poser, une tornade incontrôlable, agitée, pressée, impatiente. Alors oui, je bois mon café en deux gorgées, je fume ma cigarette en quatre taffes… je sens la patience qui est partie un matin ou un soir, je cours et trébuche sur la traîne de la vie. Et tournoie… et tournoient les étoiles. Surtout juste avant de dormir, quand je m'effondre et que les petites poussières noires qui dansent devant mes yeux m'annoncent que je vais tomber.

 

Il fait encore nuit, mais la nuit du matin est moins néfaste que celle du soir, car oui, il y a bien deux nuits dans ma petite tête de linotte. Celle qui s'installe, celle qui s'en va. Celle qui apporte les angoisses, celle qui les délave.

Je regarde le ciel lourd et épais, les montagnes inébranlables au loin, j'irais bien me balader dans les ruelles abandonnées, oui, j'irais bien rejoindre les chats de gouttière et espionner les gens derrière leurs fenêtres tamisées. Je m'étais levée un matin vers quatre heures, et j'étais sortie en douce, et c'était comme un autre monde que de errer à droite et à gauche, au beau milieu de la route déserte, les volets clos autour de moi. J'ai donc marché un peu, sans trop savoir pourquoi, sans trop savoir jusqu'où, j'ai marché avant de rentrer et retourner dans le creux du lit, là où naissent rêves et cauchemars.

 

Je pense que je verrais bien du monde, et en même temps, non. C'est toujours ainsi, l'envie de tout et son contraire. Et l'incapacité de faire des choix, c'est presque pathologique. Vanille ou chocolat ? J'sais pas. T'as faim ce soir ? J'sais pas. Je vais voir ma coiffeuse. Sans savoir. J'opte selon l'humeur, pour la couleur. Et au restaurant. Trop de choses devant moi. Alors j'attends que le serveur me pose la question, pour répondre le premier plat qui me vient à l'esprit. Parce que choisir c'est trop compliqué. C'est pas quelque chose que je sais faire, et je sais combien ça exaspère mes proches. Vivre ou mourir ? J'sais plus...

 

Devant le miroir, j'hésite, que faire de moi, au fond… je prends tant de place, trop de place, j'essaie une chemise puis une jupe, je me tourne et me contorsionne, non décidément rien ne va. J'opte pour un pantalon en similicuir, un pull informe dans lequel je nage à l'envers, de ceux qui nous donnent l'apparence d'une petite chose fragile et minuscule. Par petites touches, je tapisse mon visage dès que je dois sortir. Je le nappe de couleurs claires ou sombres, j'essaie de me sentir un peu mieux, cachée sous les fards.

 

Je pense encore, je pense tout le temps et sans interruption. Ca se bouscule et s'entremêle, ça se mélange n'importe comment, ça se superpose. Quand j'essaie de poser mes pensées, ça part dans tous les sens, comme mon bureau, c'est le bordel. J'écris sans trop savoir où je vais, comme à l'instant, comme maintenant. Je laisse sortir de qui veut, et puis c'est tout. Ca ne forme rien au final, ou juste quelque chose d'abstrait, je ne laisse de place aux détails, aux reliefs, aux contours.

 

Six heures trente. Je bois un énième café, en sixième vitesse, et le lapin blanc me nargue, j'aimerais en faire un civet, puisque je ne m'appelle pas Alice, non, et que le pays des Merveilles, je n'y ai pas droit. De toute façon, je n'ai pas besoin de trouver le chemin pour m'y rendre, car je pars déjà dans tous les sens, aidée de mes p'tites pilules, ces p'tites pilules censées réguler mes humeurs. Parfois je me fais des cocktails, de cachets aux formes diverses, je dévore le tout sans couteau ni fourchette, j'avale avec une bière ces petites choses qui ne me font plus grand-chose, au fond. Et puis j'observe dehors, je me dis que, peut-être aujourd'hui, tout sera possible. Les feuilles sont rouges et craquent sous mes pas. Je marche à contre-courant dans les rues où les enfants s'amusent. Bientôt ce sera la neige, sous les bottes, la neige crade et grise le long des routes. J'ai pas envie, du tout, vraiment, j'ai pas envie de ces saisons où mon cœur se retrouve à la dérive. Et gratter la voiture, et grelotter sous les couches de vêtements, en mode oignon, mais qui se gèle. Je me moque des chocolats chauds et des flocons, j'attends le retour des bourgeons et de l'espoir.

 

Sept heures. Demain j'ai rendez-vous avec mon psychiatre. Je vais sans doute me taire cette fois, et le regarder manger ses tic-tac comme un écureuil fébrile. En manque de nicotine, il doit détester l'odeur du tabac froid sous mon parfum. Je sais déjà ce qu'il va me dire, il sait déjà ce que je vais répondre, et l'ordonnance, toujours la même, puisque comment modifier ça, d'ailleurs comment vous faites pour tenir debout avec ? Bah… je fais comme je peux. Je m'endors pour un oui, pour un non, ça me détraque vos cachets, ça m'assomme, certains dorment mais moi, je tombe dans le coma…

 

Je vais aller penser ailleurs. M'installer dans un recoin avec mes aquarelles en cours, et retravailler ce monde qui me donne si souvent la nausée.

Non, monsieur le médecin, je n'ai besoin de médicaments, c'est juste le monde, vous savez, vous voyez, c'est juste tout ça qui me fait tourner la tête, et me donne le vertige…


  • Ta pensée se lit très vite comme toi, toujours à courir...va baigner ton cerveau avec tes pinceaux, et oublie pour un moment le reste !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

  • Ah, le lapin avec sa montre à gousset ! Personnellement, je ne porte plus de montre. Je m’en passe très bien. Vous tous, vous avez l’heure, moi j’ai le temps. Les mots, les phrases te viennent comme cela, et bien continue comme cela aussi, car ils te viennent très bien, ainsi.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Merci de ce commentaire ! :)

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Zt245dd

      redstars

  • Il n'y a pas que vous qui courez mais votre écriture aussi

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    julien-greco

    • C'est vrai :) Merci de ton passage

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Zt245dd

      redstars

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