Quand arrive l'été
aile68
Quand arrive l'été elle se souvient des mots d'avant, ceux qu'il lui disait dans le creux de l'oreille, et qui caressaient sa jeunesse, tandis que les goélands lançaient leurs cris plaintifs, s'en venant de loin d'au-delà de la ligne d'horizon. Quand elle a vu celle-ci se briser au premier baiser donné, volé, la jeune fille dévastée se mit à courir sur la plage, avec quelque chose de cassé en elle. Les mots d'amour en son sein la choquaient et s'entrechoquaient, mauvaises nuits, mauvais souvenirs, elle se rappelle qu'elle a frôlé la mauvaise réputation.
Quand arrive l'été elle comprend enfin le sens des chansons d'antan que les jeunes entonnaient sur la plage italienne, avec ses parasols alignés comme des sentinelles au garde à vous. Parfums d'huile de coco, elle avait acheté la sienne sans qu'elle s'en serve longtemps préférant l'ombre et la fraîcheur de la maison près de sa grand-mère après ce fameux baiser. Celle-ci a bien vu que quelque chose n'allait pas, c'est là qu'elle lui a appris le tricot, lui promettant qu'elle lui apprendrait à coudre l'année d'après. "Une chose à la fois lui dit-elle. Tu es jeune, tu as bien le temps d'apprendre." Et la jeune adolescente interprétait ces mots de la sorte: "Tu as bien le temps de connaître les garçons et de comprendre les choses de l'amour." Quel amour? se dit-elle, indignée, toujours sous le choc du premier baiser.
Elle a sauvé son été cette année-là, l'année de ses treize ans, auprès de sa grand-mère, bonne grand-mère, qui lui apprit des histoires du village et de sa famille en Italie. L'histoire de ses parents, la manière dont ils se sont rencontrés, leurs fiançailles, leur mariage. On aurait dit que la grand-mère connaissait l'histoire de sa petite-fille sans qu'elle soit sortie de chez elle. Mais les langues vont bon train... cependant comme elle était une étrangère dans son pays d'origine, ça elle ne pouvait le supporter, on la gracia, trouvant même l'affaire normale. "La petite est en vacances" dit-on. Elle comprit longtemps après pourquoi les gens ne cessaient de dire cela quand ils la voyaient. Elle ressentit alors un sentiment de haine et de colère.
Elle s'en souvient encore alors qu'elle est adulte, tandis que sa fille joue sur le sable sur une autre terre étrangère, en Espagne. Pour les petits enfants la notion d'étranger n'existe pas, la petite fille est bien là où se trouve sa mère, innocente et l'esprit insouciant. La ligne d'horizon est bien horizontale et les goélands lancent toujours leurs cris plaintifs comme si c'étaient les mêmes que l'année de ses treize ans. Voilà que soudain une main lui caresse les cheveux, son mari lui tend une glace qu'elle n'attendait pas. Son visage s'éclaire de gourmandise et de surprise, c'est les vacances pour de vrai alors sans baiser volé ni de réputation à sauver!