RAF

Ryan Korten

Mon début de roman intitulé "RAF" fait le portrait d'un des personnages principaux : Martin, à qui la vie a joué bien des tours. Il s'est retiré de la civilisation, vit dans une cabane, dans la forêt.

[...] Lorsqu'il entrait enfin chez lui, le soleil était couché, le vent soufflait d'une intensité plus élevée et il sentait sa cabane trembler sous ses pieds. La pluie avait également doublé ses forces et il craignait qu'il ne dorme réellement les pieds dans l'eau cette nuit. Il resta assis un bon moment à regarder tomber la pluie, sur le vieux tabouret qui traînait sous sa petite véranda. Son regard était vide, son visage ridé. Il était vieux et moche, l'air abattu en plus de l'oreille et de l'arcade gauche qui lui manquaient. Il s'était volontairement exilé, loin du monde des vivants, de la civilisation et était venu vivre parmi bois et ravines. Là, dans le vacarme de la pluie et du feuillage fouetté par le vent, il repensait à sa tumultueuse enfance. Ses cris raisonnaient dans sa tête comme si on les avait imprimés en sa mémoire. C'était des cris de secours d'une enfance douloureuse, passée et finie, mais toujours douloureuse, d'une enfance sans cesse ravagée par les coups et les insultes, par les tempêtes et les orages. Ainsi, le temps qu'il faisait augmentait sa haine. L'harmonie entre le spectacle houleux qu'offrait la nature et les pensées dévoratrices de Martin rendaient l'atmosphère bien plus lourde et désolante. La nature, qui, elle, au moins, l'avait accueilli et rassuré et des pensées atroces qui l'avaient à jamais rempli d'une haine sourde qu'il cachait au plus profond de lui-même. Il n'avait rien pu décider de sa vie, il n'a eu que des coups durs, toutes les personnes qu'il avait croisées tout au long de sa vie n'ont été que des personnes insolentes et hypocrites et il en avait tellement vu, tellement vécu, tellement souffert, qu'il en est lui-même devenu le portrait de tous ces gens réunis, le fruit bien mûr d'un mal-être acharné. Martin était devenu égocentrique, il ne pensait qu'à lui, c'est d'ailleurs pourquoi il avait établi domicile ici, loin de sa propre race qu'il méprisait tant. Il lui passait pourtant quelquefois par la tête de changer un peu son comportement, qu'il qualifiait lui-même de « gamineries » que de vouloir renier les autres et ne vivre que pour soi. Mais ses souvenirs qui lui semblaient si proches, pourtant son enfance bien loin déjà, le rattrapaient et il se résignait à cela. Il se voyait mourir là, dans sa petite cabane de bois, mort sans que personne ne s'en aperçoive, mort sans personne pour pleurer sa perte. Jamais les membres de sa famille ne s'étaient manifestés et pour lui, c'était bien mieux comme cela. Il ne se rendait que très peu en bas, au village. Lorsqu'il s'y rendait, c'était soit pour se ravitailler en vivres, soit pour aller chez le docteur Frank. Mais il évitait le plus qu'il ne pouvait d'y aller et y allait la plupart du temps lorsqu'il en avait assez de manger des lapins, ou encore lorsqu'il ne pouvait soigner lui-même ses maladies avec des plantes qu'il savait bien choisir en fonction du mal qu'il avait. Au village il n'adressait la parole à personne et personne ne la lui adressait, à l'exception d'une fois, à l'épicerie, lorsque le boulanger lui lança, lorsqu'il était presque sorti de l'épicerie, un « bonjour » bien épicé joyeux à quoi fut répondu « Il est tout, sauf bon, il sera tout, sauf bon, malgré que vous souhaiteriez qu'il soit bon, mon jour. Souhaitez-moi mauvais jours, je vous prie, un souhait qui serait vrai », deux phrases sèches, sans saveurs, saucées d'un mal-être indéfinissable et il s'en retournait dans les bois vivre sa vie de solitaire. Lorsqu'il sortait enfin de ses songes, la pluie s'était calmée, mais il pleuvait quand même violemment. [...]

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