Réflexions faites

Réflexions faites

Hier soir, nonchalamment assis dans mon fauteuil club en cuir de taupe du Bengale, je fumais ma pipe tout en regardant rougeoyer les résistances de mon radiateur mobile Acova. Mon chat sur mes genoux ronronnait. Et tout en sirotant un verre de ce délicieux Dalmore trente ans d'âge (chaud, rond, la finesse du Northern avec la souplesse du sherry en plus). Bouteille que m'avais fait parvenir d'Ecosse mon camarade Angus Mac Asrol, originaire des Highlands, je me remémorai les innombrables aventures de ma vie bien remplie... Mon esprit, doucement bercé par les bruits du thermostat mécanique du radiateur se remémorait toutes ces expéditions que j'avais faites aux quatre coins du monde, côtoyant des peuples étranges et inconnus, rencontrant des personnages hauts en couleurs...

Il faudrait bien qu'un jour je couche sur le papier toutes ces péripéties et que je songe à engager une secrétaire pour me seconder dans cette tache immense...

Par où commencer d'ailleurs ?

Devais-je d'abord narrer ma prime jeunesse, où, jeune commis d'un négociant en brosses à dents et fil dentaire je parcourais les plaines du Kazakhstan pour essayer de vendre à de farouches tribus les bienfaits de l'hygiène bucco-dentaire ?

Où raconter comment, à peine âgé de 22 ans je m'embarquais comme matelot sur un trois mats-barque qui fit naufrage aux Galapagos et comment, en attendant les secours je survécus pendant six mois en mangeant uniquement du fromage mou, cargaison du bateau qui,  miraculeusement avait été épargnée pendant le naufrage ?

Devais-je décrire mon séjour à Ispahan, ou terrassé par une fièvre maligne je fus hébergé et soigné par un père missionnaire défroqué irlandais qui m'initia au Gin-Rami ? (Mais surtout au Gin d'ailleurs...)

Où devais-je plutôt en priorité coucher sur le papier les nombreuses réflexions qu'une vie mouvementée et féconde, source constante de philosophie, m'avait apportées ?

Homme avant tout pragmatique et s'adaptant aux réalités changeantes de l'existence, sans autre grand principe que celui d'observer les choses avec impartialité et détachement, j'avais cependant acquis quelques certitudes fondamentales dans la vie...

Comme par exemple celles ci :

« Il est préférable d'émettre des généralités plutôt que des chèques sans provision. »

« Ceux qui se contentent de trois fois rien ne risquent pas de mettre les bouchées doubles ».

Ou encore : « Celui qui a un air emprunté devra le rendre un jour ou l'autre ! ».

«  Il vaut mieux gâcher sa vie que de n'en rien faire du tout ! »

« Il vaut mieux avoir l'air de rien que l'air idiot »...

«  Tant qu'à faire il vaut mieux faire sauter des amendes que des pommes-frites».

Oui, un jour, je coucherai sur le papier toutes ces pensées, toutes ces aventures, toutes ces rencontres qui, d'un jeune homme ignorant et timoré au départ, firent de moi, et je le dis sans vanité aucune, un homme d'esprit, aguerri aux choses de la vie et dont les pensées, nourries aux dures réalités et au contact des hommes les plus divers peuvent apporter quelque modeste enseignement aux lecteurs...

Je repris une gorgée de cet excellent Dalmore (bien que j'ai une préférence pour le Whiskey irlandais quand même...).

Mais qu'étais donc devenu Angus Mac Asrol ? La dernière fois que je l'avais vu c'était au fond de la jungle amazonienne, aux prises avec un puma...