Rimes Orphelines
Jean Pierre Martinez
Ce texte est offert gracieusement à la lecture.
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Pour toute autre information, contacter l'auteur via son site : http://comediatheque.net
D'abord scénariste, Jean-Pierre Martinez est aujourd'hui auteur de théâtre et poète.
Pour le petit écran, il a écrit une soixantaine d'épisodes de séries : Avocats & Associés, Équipe Médicale d'Urgence, Enquêtes Réservées, Sur Le Fil, Extrême Limite, Studio Sud,
Cap des Pins, La Vie Devant Nous, Indaba, La Dernière Réserve...
Pour la scène, il a écrit quinze comédies : Café des Sports, Come Back, Photo de Famille, Elle et Lui, Strip Poker, Brèves du Temps Perdu, Morts de Rire, Vendredi 13, Le Comptoir, Bed & Breakfast, Les Monoblogues, Sens Interdit, Happy Hour, Eurostar, Le Bocal...
Ses pièces ont déjà été montées par une centaine de compagnies amateurs ou professionnelles, tant en France que dans les pays francophones et hispanophones.
Il est sociétaire de la SACD et membre des Ecrivains Associés du Théâtre.
Toutes ses pièces sont librement téléchargeables sur son site : http://comediatheque.net
Rimes Orphelines
Poèmes à dire et à jouer
Jean-Pierre Martinez
Plage
Un enfant marche depuis toujours sur une plage,
un pied dans l'eau, un pied dans le sable mouvant,
un soleil assagi le réchauffe en dedans.
Il marche vers un rocher aux confins du rivage,
à la lisière mousseuse de la mer agitée.
Il chemine à l'envers, il revient sur ses pas.
Il sait depuis toujours cette pierre habitée
par quelqu'un comme lui et qui ne parle pas.
Les bonnes
À Paris, dans le seizième arrondissement,
il y a aussi des bonnes espagnoles de seize ans.
Seules, parfois, le soir, elles se regardent nues dans les miroirs.
Elles y cherchent la trace d'un soleil éclatant,
et le feu noir de leur regard peu à peu s'éteint
de tant scruter leur image sur le tain.
Aux matins de ces nuits, on leur trouve l'air hagard.
À Paris, dans le seizième arrondissement,
il y a aussi des bonnes bizarres.
Vagues
Les vagues vont et viennent,
battant doucement les algues contre les rochers,
et leurs chevelures s'emmêlent,
dans le clapotis du sable et de l'eau salée.
Le coquelicot
Le coquelicot rêve au bord du chemin, hors champ,
là où nulle moisson ne l'attend.
Imparfait comme une ébauche de fleur,
il est déjà couvert de la poussière du monde,
comme d'une farine.
Son produit n'est pas de bon pain blanc,
mais de croissant de lune.
L'anémone
Au fond des yeux salés vit l'anémone de mer,
au fond des gouffres les montagnes à l'envers,
à l'endroit de l'amour, juste au point de retour.
L'événement
Un événement vient de se produire, juste sous ma fenêtre.
De quoi s'agit-il ? Je n'en sais rien mais je le pressens.
Un être de chair et de sang
cherche en silence son chemin sous ma fenêtre.
Je le vois, je le sens, c'est moi et c'est un événement récent.
Sous ma fenêtre se prépare un bain de sang.
Sur le chemin passe un passant.
Un jour un événement se produira,
juste sous ma fenêtre,
et je serai absent.
La faille
L'océan vertical, faille dans la couleur du temps,
creuse la profondeur de la vague, tandis que m'attend
l'impossible enfant des algues,
aigue-marine aimant.
L'orange
Nos yeux, moitiés d'orange pressées,
ruissellent vers le creux de l'absence.
Ils scintillent un moment, étonnés
par la montée de l'imminence du départ.
Le miroir
Navire brisé sur le miroir étoilé de l'océan,
le soleil perd son sang.
Arabesque
Loin, très loin, par delà le silence,
une arabesque, un silence, puis de nouveau le silence,
le souvenir d'une arabesque,
l'espoir d'une figure à venir,
qui meuble le silence, afin que le temps passe,
ne serait-ce qu'un instant.
Eau et sang, océan
Il pleut sur l'océan, sang et eau, eau et sang.
Le soleil rougissant s'est dilué dedans.
Juste à côté de vous, pas tout à fait à votre place, il y a une île,
un rocher habité, point de vue sur l'exil.
Sur le fil
Jusqu'à la fin des temps, il s'en faudra d'un fil,
qui relie le pantin à la main qui l'anime.
Du cordon nourricier à la corde de chanvre,
une vie en rappel, et toute la descendance
de l'infinie lignée des porteurs du nom d'homme.
Jusqu'à la fin des fins, il s'en faudra d'un homme,
sommé de tricoter cette pelote de haine,
de s'en faire un manteau pour traverser l'hiver,
en tissu de maints songes une tenue légère.
Tous ces fils qui sont l'homme, tous ces fils de soi-même.
Tous ces fils qui s'en mêlent de cette filiation,
qui se tissent jour à jour pour n'en faire qu'un linceul.
Tout seul au bout du fil, il s'en faudra d'un nom,
une vie en balance au bout d'une corde raide.
Il s'en faudra d'un fil, une drôle de bobine.
Liberté
J'étais champ de décombres, je suis un champ de blé.
La mémoire des combats et les blessures au front
ensemencent mes plaies, je ne suis qu'un sillon.
Les moissons à venir vous diront ma revanche.
La vie coule de mes veines, et irrigue mon chant.
Sur les ruines des batailles, j'ai construit ma maison,
dans le fond des tranchées assis mes fondations.
Du feuillage de mes branches j'ai réchauffé les miens.
Et enfin de ma sève dans un coin de jardin.
J'ai signé l'armistice avec ma part de l'autre.
Et si la nuit réveille ma crainte de l'ennemi,
si la douleur m'aiguille tapie dans les ténèbres,
j'ai survécu. J'ai fait la paix avec moi-même.
Seuls au ciel les corbeaux connaissent ma destinée.
J'en ai fini avec la culpabilité.
Légèreté
Poussé par le hasard de destins en déroutes,
j'ai couru les chemins de l'exil sur la terre,
et foulé les déserts pour revenir à toi.
Ma Méditerranée, jusqu'à la dernière goutte,
le sel de tes larmes sera ma patrie, la mer.
Je ne suis qu'une plume emportée par le vent,
je veux être ta course et ton essoufflement.
Je serai légèreté et si tu penses à moi,
que jamais en mon nom pierre ne soit baptisée.
Je veux être ce vent qui vivant m'a porté.
Et si la pesanteur doit encore me lester,
si par-delà ma vie je dois encore peser,
quand je serai poussière de grâce épargnez-moi
une sombre demeure, je veux n'être que sable
soulevé par la brise, et bercé par les vagues.
La parole
L'enfant qui est en nous jamais n'eut la parole,
et ses mots resteront sur le bout de la langue.
Une tache d'encre à peine sur une page blanche,
nos souvenirs d'enfance sont une langue morte.
Qui viendra à l'oreille demain me chuchoter
les mots de mon enfance à jamais abîmés ?
Au fond d'un vieux tiroir des buvards entachés,
les brouillons d'une vie restée dans l'encrier.
Les voix de mon enfance sont à peine un murmure,
dans un ciel révolu la pâleur d'une étoile.
Mon avenir conjugue un passé illusoire,
j'ai perdu à jamais la mémoire du futur.
Comment dire en un mot notre part de silence,
et de l'oubli de soi l'indicible violence ?
Jusqu'au dernier soupir de notre destin d'homme,
les mots de notre enfance nous restent dans la gorge.
Pas un mot
Il n'y avait pas de mots, ni pour ce souvenir.
Pas de mot pour le dire, ni pour le contredire.
Pas de mot pour dire ça, qui me contredira ?
Il n'y avait pas de mot, je ne m'en souviens pas.
La bonne heure
Une seule fois dans ma vie, en retenant son souffle,
comme une montre arrêtée connaître la bonne heure,
faire face à mon destin au risque de la perdre,
et au dernier moment pouvoir me retourner,
pour lui prendre la main vers l'enfant que j'étais.
Au petit bonheur
Au petit bonheur je vais mon chemin,
sans me retourner.
L'automne a balayé les feuilles de ma route
et le vent de l'hiver efface déjà mes pas
dans la poussière de l'été.
Qui pourra dire au printemps :
je suis passé par là ?
Demain
Avec toi j'ai rêvé aux soleils du midi,
combattu corps à corps les démons de l'ennui,
pour voir enfin la veille se fondre dans la nuit,
l'espoir dans l'existence d'une ultime insomnie.
Je résiste au sommeil de mon indifférence,
demain sera l'auteur de notre mot d'absence.
Préhistoire
En un temps réuni, nos pères d'humanité,
quand à jamais la voix de leurs frères s'était tue,
étrennaient le langage de nos jours dispersé.
Sans fardeau du passé, sans projet d'avenir,
célébrant le présent autour d'un feu de paille,
ils sacrifiaient à l'aube la flamme du souvenir,
blottis à la lisière de l'oubli d'être là.
Leurs rêveries forgeaient les outils éveillés
de nos rêves aux frontières de l'animalité.