Rouge Cerise, l'avenir

Yannick Bériault

       Nous avons ouvert la boîte qui contenait l'avenir.  Ses parois formaient un livre, aux pages profondes ― chacune un horizon fourmillant dans le temps comme le réseau formé par les branches d'un arbre, par une bronche... livre foisonnant, enfin, où il n'y avait rien d'écrit de main d'homme ― pas encore ―, un horizon arborescent, saturé de traits et caractères desquels nul n'aurait su tirer sens qui puisse être fixé avec probité.  Cette vision fulgurante, et le recul pris après coup, le temps laissé à sa richesse de se déposer en nous, furent pour nous une bénédiction : nous pouvons maintenant esquiver toute espèce d'écueil dans le devenir... ou disons plutôt que nous les excédons, les écueils, qu'ils ne savent jamais ni nous briser, ni nous contenir.  La sérénité qui pour nous en découle n'est pas stoïque : elle est confiance en une providence pourtant imprévisible, et violente, effervescente qu'elle est ― de cela, nous avons vu les signes courir dans les pages bruissantes de l'avenir.  Elle est confiance en notre vitalité désinvolte, et tout aussi sauvage...  Si nous débordons les écueils du devenir, c'est bien parce que nous sommes arrivés à laisser la vie elle-même nous déborder, convaincus par notre vision qu'il n'y avait pas d'autre sagesse.  Pour laisser nos pas nous guider à nouveau, maintenant et à chaque tournant, vers la forêt d'augures dont nous avons vu qu'était constitué l'avenir, nous avons sacrifié nos espoirs sur un bûcher et tout de suite vu nos peurs s'étioler d'elles-mêmes.

       Nous avons ouvert la boîte qui contenait l'avenir, ses intérieurs s'ouvraient sur des possibles foisonants, sur des enchaînements de sens cavalant, qui n'avaient encore rien de causal...  Nous nous sommes ennivrés du vertige qui nous a dès lors saisis, nous mordant les lèvres jusqu'à ce que sang y affleure ― les horizons zébrés d'encre de l'avenir étaient baignés comme du suc ayant coulé d'une cerise.  Nous avons griffé nos peaux, s'accrochant l'un à l'autre avec une passion grisée d'amants carnassiers... l'avenir nous inspira dès lors les plus fins mélanges de tendresse et de violence.

        Quelle jouissance que cette vision d'un avenir qui, bien que tracé, ne se lit ni ne se prédit, mais s'écrit.


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d'abord publié sur lesensdutemps.tumblr.com

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