Sablier

Christian Lemoine

Ciel clair, bleu pâle, quelques nuages allongés qui paressent, glissent en silence. Lumière menteuse qui simule une froidure anticipée d'hiver précoce. Les flaques de soleil jetées sur les façades se découpent en bris épars de verre, éclats de puzzle tracés par les ombres des branchages. Blancheur de cette lumière solaire, frappée elle aussi du sceau du gel. Pourtant, la douceur surprend, lorsque, si l'on se hasarde au-dehors, on hume l'ampleur des volutes d'air accrochées entre les brindilles dressées des arbres installés en leur hiémal repos. Cette sérénité se heurte en contraste troublant contre le temps étiré, long, infini. Et grondant ; telluriques rouages sans cesse mordant dans la chair des désirs. Un goutte à goutte perpétuel délivre la substance liquide qui assure la survie du patient. Sa lenteur pesante martèle le battement insidieux, scansion d'une clepsydre... seconde... après... seconde... comme... si le... temps... s'était... immobilisé. Des vivants excités s'agitent, ploient sous des harnais d'actions qui les stimulent et les écrasent. Les voilà, hirsutes et imbus, croyants indéfectibles en la vie qui les meut et s'invente une essence. Ils tournoient en derviches pour mieux se bercer de légendes. Tandis que l'immobile, qui comprend en la contemplant l'étendue vacuité, s'écharde à espérer des layons aurifères, des gemmes bouleversantes qui éclipseraient les fers des évidences. Sans succès. Le sablier prétend auner le pulvérin pétrifié, saisi dans la gangue comme la femme sans nom retournant son regard vers ses filles sacrifiées.
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