Sacré numéro
Apolline
- Je suis lasse, tellement lasse… Je m'en vais.
Cette phrase tourne en rond chez cet homme accablé, assis à sa table jonchée de miettes de pain sec, la tête penchée, sur les oreilles ses 2 mains en poings.
Sa femme l'a quitté hier. Il ne comprend pas, il ne comprend rien. Tout se passait si bien. Le voilà qui refait son film parfait avec elle, cette femme qui l'aimait mais oui qu'elle l'aimait ! Elle lui avait dit, elle lui avait prouvé. Elle était si gracieuse, si bonne, si belle. Vrai que lui, il n'était pas forcément beau mais il avait remarqué que grâce à elle, le regard des femmes sur lui avait triplé de volume. Même les copines battaient des cils pour lui. Elles avaient l'art et la manière de le provoquer, de l'aguicher pour peut-être ou pas, tester sa fidélité. Et s'il avait daigné céder à leurs caprices, certes, cela ne les aurait certainement pas dérangé ces diablesses de passer à l'acte tant leurs curiosités les démangeaient pour savoir ce que cet homme possédait pour avoir attiré une si belle femme dans ses filets. Mais non, il n'avait jamais craqué même si un beau jour, sa femme tellement admirable avait fini par se refuser à lui. Mais oui, mais que s'était-il passé d'abord de si moche pour que soudain, tout cesse jusqu'à ce point ?
Pourtant, à se remémorer, il avait bien su gérer son couple, leur maison et sa profession aussi. Consciencieux et responsable dans son travail, il occupait depuis longtemps le poste de transporteur de produits réfrigérants. Jamais en retard, jamais énervé, toujours le smile. En plus, bien habillé, propre sur lui, une transpiration discrète, non buveur, non fumeur. Même pas l'gros ventre et un strict minimum péteur, merde alors ! Et sa p'tite femme pétillante aux talons hauts qui l'attendait, toujours présente, toujours disponible, qui cuisinait des bons p'tits plats, de préférence bio. Tellement douce, tellement coquine et pleine de foi ! Mais quand même, à son tour, il avait su lui rendre la vie agréable. Toujours prêt à participer aux tâches quotidiennes. Et puis, il l'amenait au restaurant, lui offrait des fleurs, des citrons givrés également, leurs desserts préférées. Ils sortaient au ciné, mater des concerts, danser parfois, se promener dans les bois, faire des galipettes en veux-tu en voilà, ah oui y'en avait eu beaucoup avant... Vrai qu'il n'exprimait pas des masses ses émotions mais elle, elle savait le faire pour deux. Et puis quoi entre eux, jamais un mot plus haut que l'autre. La paix existait heu… sauf… ah oui c'est vrai… quand elle s'est consacrée entièrement à la lecture et quelle lecture ! Ah nous y voilà peut-être dans ce moche… je l'ai vue succomber petit à petit au charme de ce Bernard Werber avec ses trilogies et tous ses volumes interminables des dieux. Pfff… Tous les jours, tous les soirs avec lui. Plus moyen de la toucher ! Et dire que c'est moi qui avais ramené à la maison un premier bouquin de cet auteur à succès traitant de sa fourmilière. Projetant de le lire, malgré sa faiblesse réputée naze dans son style d'écriture, c'est elle qui, déjà inspirée par ce minable s'était jetée sur l'ouvrage. De toute façon, j'ai beau aimé lire mais quel que soit le bouquin, je m'endors toujours dès les premières pages, même s'il me plaît… J'en ai des tas à la maison, entamés… On pourrait dire que j'ai tout mon temps maintenant pour les achever. Par contre le Werber, il pourra s'rhabiller. Je l'aime pas ce gars-là. Aucun point commun ! J'ai l'impression qu'il a gâché ma vie. Mais peut-être que je me fais des idées. En tout cas, cela m'a rendu jaloux. Très jaloux ! Alors OUI okay je me suis vengé, je l'ai trompée ma si belle femme qui m'abandonnait pour cet homme de papier. Craqué facile pour une brunette plutôt bien foutue, un peu crédule à première vue mais sa voix aérienne et son contact édulcoré me correspondaient bien. Posséder une telle dulcinée à distance, en fuyant mon entourage, ça ne mange pas de pain celle-ci de la classer number two. Et puis d'abord ma femme la number one de rigueur ne l'a jamais su. Alors pourquoi elle est partie hein ? Lasse de quoi exactement hein ? Je deviens complètement givré. Voilà maintenant que je repense cette fois à mon ex, cette femme number zéro tellement séduisante, si brillante dans son intellect. Partie elle aussi mais pour aller vivre directe avec notre ami, un artiste à 2 balles, branché sur les fées et les lutins de forêts, qui lui, occupait son temps à photographier des filles nues dans les arbres. Même le monde il est givre. À l'aide ! Cependant me revient en suspension un dernier point…
- Je suis lasse tellement lasse je m'en vais Point
Dans cet adieu fulgurant, nous nous sommes étreints. Très simplement. Mais des espèces de larmes fétides se sont arrachées de mon regard, malgré moi. Et là, ma drôle de voix m'a surpris pour murmurer : « Je ne sais pas aimer. » Elle m'a regardé intense si tendre. J'ai bien vu ses yeux rougis mais depuis combien de temps les portaient-elle ainsi ? Sa bouche a tenté de me répondre mais son « je … » déclenché s'est brisé net dans sa gorge fiévreuse. Et c'est là soudain, qu'à point nommé sous le ciel tourmenté, il s'est mis à neiger. En plein été caniculaire, faut le faire… Au moins les journaux auront de quoi s'attendrir sur ce phénomène surnaturel, plutôt que de glousser pour nous signaler qu'il fait très chaud l'été, alors attention ! Et qu'il fait froid l'hiver, oulala il neige grave alors attention. Bref, pour revenir attentivement à ma saison, celle-là, je n'en vois pas la suite.
C'est donc dans ce climat de type banban que ma femme s'est détachée de mes bras, pour s'éloigner… S'est retournée une dernière fois vers moi. Je n'ai pas su quoi dire. Raide comme un piquet, j'étais gelé « Je, je… je… » Mers lèvres glacées tremblaient… On aurait dit qu'elle attendait quelque chose, cet essentiel… un point de départ, un point de salut, un point de sauvetage…
En ce qui concerne mon point de chute, moi Lecabel, je déclare forfait. Pourtant, ce n'est pas faute de lui avoir envoyé des signes, pleins de signes à mon humain bien aimé, comme par exemple des chansons. Car telle est ma mission : tout en subtilité accompagné du souffle et du mystère des Dieux. D'ailleurs, pas plus tard que ce matin, dans son réveil branché en alarme radio, le bout de mon aile avait même réussi à pousser l'volume du morceau sélectionné : « Amoureux solitaires » de Lio. Eh bien, vous savez quoi ? Il m'a fait son numéro … BOUM BOUM BOUM ! Trois coups de poing réactifs du dormeur sur l'tintouin de la table de chevet en criant un mot d'oiseau aura suffi pour que je m'envole à mon tour. Être un Ange à ce point pour lui et le voir toujours au même point, on y perd non seulement sa romance mais encore toute vraisemblance. Faut-il céder, ne plus s'aider ?
Bonjour Apolline,
· Il y a plus de 5 ans ·Voilà un texte original, et émouvant dans le fond !
L'euphémisme de la métaphore entre l'Auteur, et ses livres eu égard, à la tentation désabusée, de fuir cette réalité existentielle, relève bien du mystère de ce souffle ancestral messianique, celui qui véhicule depuis la nuit des temps, l'histoire de la VIE ! tout en restant intemporel.
La déité de Dame Nature, à contre-pied, ironique à souhait dans ce récit est assez probante !
Merci Apolline pour ce partage, qui incite à penser, à réfléchir, mais surtout, à mon sens, à vivre le temps présent pleinement, qui s'écoule lentement dans le sablier, grain de limon, par grain de limon !
Peut-être que la quintessence de l'Amour se trouve là, et bien là !
Enfin ton texte est empli de références, tant philosophiques que musicales, et le seul Empyrée qui semble paraître, est bien celui de la fourmilière, où l'entraide ne fait jamais céder, devant le dur labeur incessant et continuel du temps qui s'écoule, pour la belle et royale Reine !
Bravo Apolline pour ce texte angélique.
5/5
Au plaisir de te lire.
Bien Amicalement.
© Paul Stendhal
C.E. le dimanche 28/07/2019
Paul Stendhal
Tu formes sans déformer à toi seul un magnifique Messager dans le grand Cœur de la Vie.
· Il y a plus de 5 ans ·Au nom de ton écoute attentive, je te tire ma plus douce révérence :)
Apolline
Chère Apolline,
· Il y a plus de 5 ans ·Je te remercie très sincèrement, et du fond du cœur, de ton élogieux commentaire à ma réponse sur ton texte.
Permets-moi de te répondre par deux de mes citations :
"Écrire, c'est ouvrir son âme, en levant le voile de la vie !"
© Paul Stendhal
"Toute la vie en un éclair, et dans cet éclair, sa vie entière ! Aimer jusqu'à l'Amour, et ne jamais s'en éloigner !"
© Paul Stendhal
Et pour finir par une autre citation d'un Auteur que j'affectionne particulièrement :
"Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour."
© Christian BOBIN
Aussi, je souhaite te saluer avec un profond respect, toi, l'Auteure qui est aussi une "Messagère dans le grand Cœur de la Vie".
À bientôt de te lire.
Bien Amicalement.
© Paul Stendhal
C.E. le dimanche 28/07/2019
Paul Stendhal
subtil et surprenant...Bravo Appoline;)
· Il y a plus de 5 ans ·Patrick Gonzalez
De la finesse dans nos plumes Patrick ;) Merci à toi !
· Il y a plus de 5 ans ·Apolline
:)))
· Il y a plus de 5 ans ·Patrick Gonzalez
original et drôle, merci Apolline
· Il y a plus de 5 ans ·marielesmots
Avec plaisir d'en rire dans l'fond :)))
· Il y a plus de 5 ans ·Apolline
Vraiment cela fait du bien de te relire ! Bises
· Il y a plus de 5 ans ·ade
oui car il faut rire Ade, tu sais bien ;)
· Il y a plus de 5 ans ·Bises à toi et MERCI :)
Apolline