Sortie du soir

aile68

C'est le soir, des lumières se répandent sur l'asphalte chaud. Ce sont les lumières des magasins de nuit. Des voitures roulent comme des fourmis sur une route sans piétons. Ceux-ci mangent à la terrasse des grands restaurants dans le bruit des scooters qui font du rodéo sur le belvédère de la mairie. Des gens sur leur balcon prennent l'air qui leur a tant manqué dans la journée. Chez moi le ventilateur tourne encore. J'ai l'impression qu'il me manque quelque chose, juste une petite chose, pas bien grave mais c'est embêtant. Je regarde les clefs sur la porte d'entrée, elles sont là qui pendent à la serrure, le courrier du jour, il est là posé sur le bureau, mon maillot de bain pour demain, il est déjà dans mon sac. Quoi alors? Des baisers on ne m'en fait plus depuis longtemps, pas l'impression que ça me manque, j'aime ma tranquillité. Ce n'est pas non plus de l'amour qui se perd au fil des jours qui passent. En fait j'ai le sentiment qu'on m'appelle quelque part. J'ai l'impression d'un rendez-vous manqué, je regarde mon agenda, j'aurais dû commencer par là. J'ai oublié un rendez-vous chez mon assureur. Tant pis ce n'était pas grave. La maison est bien assurée, j'ai ma responsabilité civile. J'ai encore l'impression qu'il me manque quelque chose mais tant pis je n'ai que trop cherché. En cette période de canicule je ne sors plus que le soir, à la fraîche. Je croise des gens qui font la même chose, des enfants qui s'amusent encore dans la fontaine. Je dépense quelques pièces chez l'épicier du soir, quelques gourmandises, de l'eau bien fraîche, une tranche de pastèque. Chez Nadir y a toujours des sourires, des accolades, je les regarde discrètement, du coin de l'oeil. Tout à coup quelqu'un me touche l'épaule, je me retourne, c'est un petit enfant, il regarde déjà sa mère en bâillant. C'est vrai que c'est un peu tard. Il doit être mieux dehors lui aussi. Je remonte chez moi tranquillement et sort les courses de mon cabas. Tiens une sucette à la fraise, je n'ai jamais acheté ça. Tout à coup je pense au petit enfant, c'est lui qui a dû confondre mon sac avec celui de sa mère. Un peu plus tard dans la soirée je me mets à mon balcon avec "ma" sucette et je retrouve toute l'insouciance de mon enfance. Je regarde le spectacle de la rue, le parfum de la fraise me remplit de joie.

"Alors c'est bon?"

Mince! Mon voisin d'à côté! La honte! N'empêche que je lui réponds:

- Ah vous étiez là! La curiosité est un vilain défaut.

- La gourmandise aussi on dirait!

J'éclate de mon rire franc et spontané. Voilà ce qui me manquait en fait tout à l'heure. Ce bon rire qui me détend.Je retournerai plus souvent chez Nadir c'est sûr! Mon voisin me souhaite bonsoir comme un gentleman, qu'est-ce que j'apprécie! ça aussi ça me manque, la courtoisie des hommes. Mon rire, la courtoisie des actions rares que je voudrais retrouver dans ma vie d'adulte que je veux tranquille, toutes les femmes voudraient qu'on les traite en princesse.

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