Sous les balcons

Christian Lemoine

Un mouvement parfois, des ailes qui s'excitent en combat singulier pour une miette, un relief. Et des courbes, des spirales, des chandelles en hauteur à frotter les nuages, des piqués froncés sur les yeux ébouriffés. Ou bien sur le sol, des pas hasardeux encombrés d'un déhanchement malaisé. D'autres mouvements, des sons aussi. Soudain, ça s'agite, ça remue. Courses, cris. Des turbulences d'enfants qui brassent dans leurs révolutions des formes nouvelles de nuages. Ou, ce fleuve mécanique, tellement borné, tant mortifère. S'en défaire, en décrocher l'ouïe et la vue pour s'en émanciper. Quelque chanteur de charme, quelque goualante montée d'autres générations, dont le souvenir tagué réinvente les cours misérables, où résonnaient en glas moqueur les maigres pièces jetées, tout juste de nature à repousser l'agonie de la faim. Ce sol, en verticale, à l'aplomb des ombres portées, le voici étalé en peinture, en mosaïque aléatoire. On y décèle une tache plus sombre, une herbe d'une autre espèce, peut-être une touffe égarée hors d'un potager. A l'angle droit des murs et des terres, le plongeon du regard creuse un abîme, une fosse sous-marine, tout un continent englouti dont resurgiraient par espace des coupoles de temples, des faîtages à demi-écroulés ; le rempart large et orgueilleux qui n'aura pas su contenir la mer. Comme un paysage d'Hubert Robert, transposé là par la facétie ironique des simples et des tiges. Ô, cet appel d'un lointain glorifié de légendes, comme il invite l'âme dolente à s'y perdre pour s'oublier. On y croiserait l'ombre de Dahut la belle, de ses amants perfides. Sans doute aussi le spectre désolé de cet autre, éconduit affligé, qui voulait détruire les plaies de son âme par l'éclaboussure de son sang sur un bitume indifférent. Nougaro en ivresse, Higelin en voltigeur. Des espoirs empêtrés, ne sachant lequel suivre de ces deux funambules.
  • J'aime beaucoup cette succession de mots, d'idées. Nougaro et higelin, vous avez choisi deux grands bonhommes, funambules il est vrai.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

    • Merci... Et tant d'autres choses, tant d'autres poètes. Peut-être l'ombre de Nerval, pendu à un réverbère, peut-être une treille qui monte à l'assaut des façades pour couvrir le béton. La nature de l'ombre dépend des ombres de l'esprit.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Voeux 2019 1

      Christian Lemoine

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