Souviens-toi

libellune

Il l'aimait, elle l'aimait. Il la cherchait, elle le fuyait.

Un silence pesant, une porte qui s'ouvre.
Des pas, des manteaux qui s'accrochent à l'entrée et la porte qui, cette fois-ci, claque.
Il y a des bruits étouffés de voix qui montent jusqu'à l'étage, puis un instant de calme et, pour finir, des chaises qui sont tirées de sous une table dans un raclement désagréable.

Je reste les yeux fermés, allongé sur mon lit. Mon mal de crâne d'il y a quelques heures s'est intensifié et le réveil est assez dur pour ne pas changer. Je n'ai pas envie de me lever tout de suite, alors j'attends. Cette sensation agréable d'être sous la couette, qui vient épouser les formes de mon corps couvert d'un simple caleçon, vainc l'envie de rejoindre les autres personnes en bas et pourtant, une des voix que je ne cesse d'entendre vient recouvrir toutes les autres et, à chaque tentative de se faire remarquer se fait de plus en plus forte. Je n'ai pas besoin de chercher à comprendre à qui est destiné ce qui est dit, je devine instantanément que c'est pour moi.

<< Clément... Clément, bordel, ne me dis pas que t'as encore la gueule de bois !

Je ne réagis pas.

- Clément Marcel, bouge ton cul de ta piaule et ramène toi ! Je sais que t'es réveillé parce-que tu as fini notre restant de pâtes d'hier soir, pendant notre absence ! >>

Je soupire. Merde, je suis repéré.
Je repousse d'un coup de pied ma couverture et m'assied à l'indienne, en douceur, avec l'impression continuelle d'être frappé à coup de marteaux sur la tempe. Mes fringues sont à l'autre bout de la chambre, sur ma commode de bois rapporté d'une foire-fouille. C'était d'ailleurs une bonne affaire, sa véritable valeur dépassait les 47 euros que j'avais payé...
Enfin, bref. Je jette un coup d'œil par la fenêtre recouverte de mémos que j'avais accroché depuis mon emménagement ici, faute d'organisation, afin de voir le temps. Couvert avec une pluie fine. Génial.
Puis j'enchaine en regardant mon réveil: 19 heures. Effectivement... Que je le veuille ou non, il est temps que je me lève.

Je m'appuie de mes mains sur le rebord de mon lit pour soulever mon corps fatigué et me dirige vers mes vêtements. J'enfile rapidement mon jean dont la couleur vive du beige s'efface à cause des nombreux lavages, et mon pull en laine gris devenu un peu trop grand. Il faudra que je fasse attention à l'avenir. Les soirées que j'enchaine depuis quelques mois sans manger correctement me fait perdre du poids et je n'ai pas tellement envie de devoir changer de taille.
Je passe ma main dans mes cheveux en bataille afin d'être un minimum présentable même si je me doute que, sans aller me voir dans un miroir pour me recoiffer, ça ne changera pas grand chose; puis je quitte la pièce pour me retrouver sur le palier et descendre lourdement l'escalier en colimaçon. A peine suis-je arrivé en bas que je me fais agresser par Alexandre, mon ami de fac.

<< Salut beau-gosse ! Tu foutais quoi ?  On t'attend depuis une heure en bas !


Pendant qu'il me prend par l'épaule, je remarque qu'il sent l'alcool. Je lui répond en riant.

- Déjà, mec, ça fait même pas 5 minutes que vous gueulez dans toute la maison pour me réveiller. Puis depuis quand vous faites la bringue sans moi ? Tu sens la vodka.

- Oh ne fais pas le blessé, j'ai le droit de prendre deux trois verres sans toi. Puis je te rappelle que tu étais avachi là-haut à ronfler comme un ours, je ne voulais pas arrêter tes rêves de gosses.

-Ah ? T'as peut-être pas tord.

Il me traîne dans le couloir, et j'en profite pour l'observer. Depuis le collège -je m'en souviens encore- nous avions toujours été de bons camarades; je pourrais le considérer comme mon meilleur ami bien que tout le monde nous voient comme des jumeaux à cause de notre forte ressemblance. Il faut dire qu'elle est frappante : Nous avons, nous deux, les yeux d'un bleu proche de l'océan, un nez rond mais plutôt petit puis des lèvres qui, selon ma copine, détiennent une attractivité plutôt féroce. Je pense aussi que nous faisons approximativement la même taille, c'est-à-dire dans les 1m80.
Les seules choses qu'il ne semble pas "tenir" de moi sont mes cheveux frisés d'un noir corbeau et ma mâchoire assez carrée ou s'accumule une fine barbe. Puis, il y a autre chose qui nous sépare vraiment.

-Alors, Alex. Tu as trouvé une nouvelle proie ?

- Justement, j'allais t'en parler. C'est un beau blond, je t'assure, super craquant et sexy. Il est carrément passable pour moi.

- Je vois, fonce alors, avant qu'un autre gay te le pique.

- T'inquiète chéri ! Tu me connais.

- Bordel, t'es enfin debout la marmotte ?

C'est une nouvelle voix qui s'est élevée. Nous venons à peine d'entrer dans la pièce que Mylène, une rencontre d'il y a quelques semaines, me crie dans les oreilles en coupant notre conversation. Je pousse un long soupir pour finir par sourire :

- Salut, tête de piaf.

- Tu t'es remis de la petite fête d'hier ?

Elle secoue sa tête, faisant danser ses longs cheveux blonds, puis me fixe intensément de ses yeux émeraude. Je la trouve mignonne, avec cet air audacieux. Il faudrait que je prenne un café avec elle, un de ces jours, ou quelque chose du genre en tête à tête même si ça m'étonnerai que cela l'intéresse.

- Mieux que toi. Tu as l'air encore bourré, je me trompe ?

- On ne peut décidément rien te cacher, vieil homme ?

- Je n'ai que 20 ans, tu sais ? Et il me semble que tu as le même âge.

Elle hausse les épaules puis s'allonge mollement sur la table de la cuisine sans oublier de ronchonner. J'esquisse un sourire amusé en me retirant de l'étreinte d'Alex pour me diriger vers la cafetière, afin de me faire un cappuccino. Lui, continue sur lancée en débinant tout ce qu'il s'était passé à la soirée.

- On est arrivé chez Tom, tu sais, le gars du collège. C'est lui qui a organisé la petite cuite d'été même si il faisait moche. Et franchement, il a changé, c'est un gars cool. C'est dans son salon que j'ai rencontré mon beau petit surfeur des îles et je peux te dire que j'ai tout de suite compris qu'il ne cherchait pas de filles. Je me suis jeté sur l'occasion, on s'est échangé nos numéros.

- Je suis content pour toi mais je t'en supplie, n'oublie pas de me prévenir si jamais il passe ici, d'accord ? Ce serait pas mal que je sois au courant quand tu veux me présenter tes copains.

- Mais oui, t'inquiète.

J'ouvre les placards au dessus du lavabo et tire une tasse colorée tout en n'oubliant pas de surveiller si Mylène ne s'assombrit pas comme un vulgaire chiffon sur le linoléum de la cuisine. Une fois ma boisson chaude préparée, je tire un sucre de sa boite, prêt des paniers à fruits.

- Et toi, Clem? Du neuf niveau petite amie ?

Je m'installe sur une chaise libre tandis que lui pique le tabouret qui me servait d'habitude à attraper les casseroles au dessus du frigo, inutilement grand; puis fixe
la vapeur s'échappant de ma boisson sans répondre. Un silence gênant s'installe.

- Je t'en ai déjà parlé. Personne ne m'intéresse, actuellement.

- Tu es vraiment compliqué ! Revois tes critères, ça va faire 6 mois que tu n'as même pas ne serait-ce que d'accoster une nana.

On se regarde puis nous rions et, pendant plus de deux bonnes heures nous passons le sujet et nous nous remémorons nos meilleurs souvenirs ensemble. Mylène, elle, s'est assoupie. En fin de compte elle ne me plait pas plus que ça, songé-je. Il est évident qu'elle est trop simple bien qu'elle soit gentille.
C'est au moment où je remarque que le soleil commence à se coucher qu'Alex se lève en fouillant dans ses poches

- Je crois que je vais ramener la bourrée avant qu'elle ne se décide à rester ici. Tu m'accompagnes ? J'ai pas le courage de l'affronter seul.

Je ne l'écoute qu'à moitié, mon regard se baladant à travers la fenêtre de la cuisine. Le ciel est un peu plus dégagé qu'auparavant.

- Non, je vais sortir en même temps que toi mais j'irai faire un tour au parc.

- Encore ?

- Et pourquoi pas ?

- Comme tu veux ! Allez, on fonce.

Pendant qu'il attrape Mylène par le bras et tente de la réveiller en douceur, je me lève et quitte la cuisine pour me faufiler de nouveau dans ma chambre. Je dégage du pied quelques cahiers abandonnés lâchement sur le sol, faute d'envie de revoir mes cours de fac et me dirige vers mon bureau en bordel où j'ai laissé hier mon écharpe, afin de l'enfiler.  Je chausse ensuite mes vans grises encore neuves et rejoins le duo en bas. Ils débattent afin de savoir qui aura raison, car évidemment, il était dans les plans de Mylène de rester ici. Je fonce et ouvre déjà la porte de la sortie.
Tandis qu'Alex me salue de la main, elle grogne sans convictions. Je lui tire la langue dans un geste enfantin et referme enfin derrière moi pour me retrouver, seul, dans les rues de ma petite ville, les mains dans les poches. Je soupire de soulagement, et lève la tête vers le ciel désormais sans nuages. Je peux déjà voir quelques étoiles aussi scintillantes que les lumières lointaines d'une ville endormie. Où plutôt, n'est-il pas mieux de dire que ce sont ces lumières lointaines qui cherchent à ressembler aux étoiles sortant laborieusement de leur réveil ?

Je commence à avancer d'une marche rapide. Plus vite arrivé au parc de mon enfance, mieux ce sera; j'espère juste au fond de moi que je ne serais pas embêté, car le spectacle qui s'offre les soirs d'été là-bas ne mérite pas d'être dérangé, bien que ce soir, j'ai l'impression que ce ne sera pas de tout repos.

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