Structure de l'Ange
Lussia Dc
170 km/h. Le paysage commence à se flouter. J'ai les mains moites mais je me cramponne au volant. J'ai une larme au coin de l'œil parce que je sais au fond de moi que je vais mourir. Mais je m'en fous, je le fais pour toi.
190 km/h. Le paysage commence à disparaître. J'ai le cœur empoisonné d'adrénaline mais je ne décélère pas. J'aperçois le clignotement des gyrophares dans le coin du rétroviseur et je sais que la fuite est perdue d'avance mais je tente le tout pour le tout. Parce que c'est toi.
200 km/h. Le paysage commence à se distordre de façon effrayante. Le monde autour n'existe plus, comme si j'étais entré dans une autre dimension. Je te regarde du coin de l'œil, assise sur le siège passager, silencieuse et impassible. C'est tout toi.
205 km/h. Les sirènes hurlent au loin, déformées par l'effet Doppler. Je souris : tu ne pouvais pas me demander un caprice de femme classique ? Des fleurs, un voyage, un parfum... Fallait que tu me demandes ça ! Mais c'est ce que j'aime chez toi...ce je ne sais quoi qui rend fou.
210 km/h. Les roues chauffent et une odeur nauséabonde de caoutchouc brûlé emplit l'air. Ma mère me répétait souvent : "T'es pas fait pour ce monde Angelo. T'es un ange prématuré, tombé du ciel trop tôt. Innocent et déjà si abîmé par la vie. Méfie-toi des gens. Surtout les femmes, fuis-les." Alors je me suis méfié, comme un con, parce que je me disais qu'elle avait raison. Sous prétexte de son ancienneté et de son expérience, il est stipulé que l'adulte a toujours raison. Mais c'est des conneries tout ça. Prenez mon père par exemple, le contre exemple de la maturité : tout plaquer pour une jeune secrétaire de vingt ans de moins que lui. Je comprends pourquoi ma mère déteste les femmes.
km/h. inconnu. Le moteur gémit et l'ombre d'un véhicule fonce droit sur nous. J'y connais rien en amour moi. Mais tu sais, je ressens comme une pression dans ma poitrine et de l'électricité dans mes veines. Je crois que j'ai fait un court-circuit mental. Je me sens vivant, à tel point que je suis prêt à mourir. Si ça se trouve c'est pas ça l'amour, mais bon qu'est-ce que ça peut faire ? Les poètes et les philosophes me font bien ricaner, croyant avoir percé le mystère et connaître tous les paramètres du cœur humain. A les écouter, on étouffe de bonheur. Au contraire, moi je pense qu'on n'aime pas tant qu'on ne souffre pas. La douleur est le seul état où l'on ressent les choses à 100%. Ça me fait mal de te voir parler à d'autres hommes par exemple, c'est la preuve que je t'aime. Être capable du meilleur c'est trop facile, l'amour c'est être capable du pire. Comme de tuer ce type.
km/h dangereux. La voiture tremble comme un avion qui décolle et les prédateurs se rapprochent dangereusement. Je me souviens encore de la première fois que je t'ai vue : tu prenais un café au chalet à l'angle de la rue, près du commissariat. Je me rappelle t'avoir accostée. Ton regard timide et gêné m'a touché. Seulement il y avait ce type, ton mari, qui te terrorisait et que tu n'osais pas quitter. J'ai pas hésité une seconde quand tu m'as dit qu'il te violentait et te menaçait. Tu m'as dit :"Jusqu'à ce que la mort nous sépare lui et moi. C'est la seule chance pour être ensembles Angelo".
km/h imprudent. Le véhicule de police nous dépasse. Panique, coup de volant, la voiture percute la rambarde et s'envole enfin dans les airs. Ça y est on a décollé mon amour, ils ne peuvent pas nous rattraper là-haut dans le ciel. Ma mère avait raison, je suis un ange ! Le temps s'arrête un instant suspendant le salto de la voiture : la tête à l'envers on reste immobiles plusieurs longues secondes et je te regarde au ralenti. Tu n'as pas peur, au contraire tu fixes étrangement droit devant toi, un sourire énigmatique au coin des lèvres. Qu'est ce que t'es belle à l'envers avec ta chevelure qui ondule dans les airs. Je peux mourir, ça ne me dérange pas tant que je suis avec toi.
0 km/h. La voiture se fracasse au sol et enchaîne les tonneaux sur le bitume de l'autre côté de l'autoroute. Putain de gravité, jamais là quand il faut celle-ci ! Des milliers de lames me transpercent le corps : le pare-brise, comme un feu d'artifice explose en mille morceaux. Mon corps d'ange n'est pas resté céleste bien longtemps et la douleur de la chair me ramène plus bas que terre, en enfer. Je ferme les yeux mais soudain ton rire se met à résonner. Ce n'est pas le rire mélodieux que je connais mais un rire dément. Je frémis. Tu tournes la tête vers moi, tes yeux sont imbibés de sang et tu me regardes avec mépris. Tu murmures alors : "A ton tour!" Et puis soudain, tu disparais dans la fumée du moteur.
Compteur kilométrique HS. Les sirènes de la police et des pompiers se fondent en une musique lointaine. Mon visage perle de sang, j'ai la mâchoire cassée et la moitié des os brisés. J'essaie de balbutier ton nom, mais tu t'es évaporée. Je ne sais pas comment tu as réalisé ce tour de prestidigitation. Ce sont les anges qui s'envolent d'habitude. Les flammes dévorent le véhicule alors que moi je m'éteins à petit feu, les ailes brûlées.
Je n'étais pas un mauvais type tu sais...mais je t'avais dans la peau.
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A LA UNE
Poursuivi par la police, le meurtrier d'Eric Forey trouve la mort dans un tragique accident de voiture sur l'A6
Le drame est survenu hier aux alentours de 7h37 du matin. Angelo Lortini, l'assassin d'Eric Forey a trouvé la mort après s'être encastré dans une rambarde sur l'autoroute A6, seul dans sa voiture, deux jours après avoir assassiné le gendarme. Angelo aurait prétendu vouloir "délivrer Mia de ce tortionnaire", paroles incompréhensibles aux oreilles de l'épouse d'Eric, Mia Forey, qui a certifié ne pas connaître le tueur et encore moins être menacée par son époux. Seul point commun : ils vivaient dans le même immeuble.
Vous vivez dangereusement.
· Il y a plus de 3 ans ·enzogrimaldi7