Suivre le chemin de l'eau

Christian Lemoine

A suivre le chemin de l'eau, on fait le choix des vaux contre celui des cimes, on prend le plus sûr chemin tendu entre l'amont et les marées, au risque des cascades et des chutes ; à suivre le chemin de l'eau, facilité d'un courant univoque où se laisser couler, glisser dans l'ombre des vallées, là où d'abord l'ombre mouillée et froide s'enlace de gerbes, se faufiler sous les a-pics des gorges, toujours subjugué et inquiet des équilibres de roches suspendues, là où tout se retient et s'espère, là où les plissures des sédiments regardent peu l'âge des rives. A suivre le chemin des eaux, à se terrer peut-être dans l'aine liquoreuse des villes d'Omdurman et Bahri, tel un Richard Francis Burton brûlant de fièvre, les yeux rivés à la vulve sèche de l'île de Tuti, et tous ses Nil y télescoperaient leurs eaux térébrantes, gonflées de tant de remous, secouées de tant de cataractes où l'on verrait les flots se mettre en spire et engloutir dans l'entonnoir des felouques légères comme fétus, des temples anciens, des Sphinx lavés de tout mystère ; ou comme au bord du lac baptisé comme une reine, un autre John Hanning Speke frappant des coups si nets à la face des parois raides que la moindre éclaboussure jaillie de l'anfractuosité s'éclaterait comme un delta vaste à y noyer cinq Rhône, vingt Seine, ou cent Amazone. Mais il aurait fallu grandir ailleurs, vieillir ailleurs. Il aurait fallu vieillir un autre ; pour qu'à suivre le chemin de l'eau on n'en vînt pas à suffoquer, pris d'algues et d'herbes, dyspnéique asphyxié dans l'eutrophisation des marécages. Mais tout aussi bien, à suivre le chemin de l'eau, parfois le plus abrupt, le plus glissant, tracer l'itinéraire liquide et remonter à la source.

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