Sur le quai de la gare

aile68

Se séparer doucement, sans un cri, sans un mot plus haut que l'autre,  en se serrant la main. Ne restent que les souvenirs, les cicatrices, une saison italienne dans la campagne ensoleillée. Les arbres ont chaud, les corps transpirent, et le train s'en va, on ne peut l'arrêter. Bracelets brésiliens, montres arrêtées, recueil de poèmes, on se cachait derrière les piliers, les murs pour quelques baisers à la dérobée.  Sur le quai de la gare, on s'est regardé les yeux dans les yeux au moment de nous dire adieu. On aurait voulu s'enlacer mais les gens autour de nous auraient pu le prendre mal, nous étions presque des adultes, nous avions dix-sept ans. On s'appellera promis, on se souviendra de tout. Faudra tenir bon jusqu'à une autre saison, d'autres vacances ou un hiver italien. L'Italie sourit de ces amours jeunes, clandestines, on se reverra c'est sûr tandis que la ville tout entière dégage  une chaleur de fin d'été.  La rivière sera bien calme à présent, les jeunes gens ne se verront plus que dans les bars et au terrain de volley. Les cours c'est pour bientôt, on révisera les derniers examens, des photos cachées dans un bouquin. La mélancolie c'est un peu comme une compagne qui fait mal qu'on ne veut pas quitter malgré tout. Les librairies commencent à se remplir, on cherche le livre magique qui expliquera les poèmes romantiques et l'impact de la pluie sur la montagne italienne. Des trains se sont croisés, ont passé des frontières, le mien s'est arrêté dans une petite ville de campagne encore ensoleillée, encore en vacances. Personne ne m'attend à la gare, comme une grande je vais prendre mon bus pour la maison. Je porte sur moi le tee-shirt que tu m'as donné. Mon sac à dos qui a maintes fois porté tes affaires me semble bien vide à présent. Ton journal de vacances, ton petit dico italien comme ils me manquent déjà! A l'arrêt de bus, une jeune attend comme moi, un pompon attaché à son sac. Elle est belle et bronzée, vêtue d'un short et d'un débardeur noir. J'ai envie de lui parler, de lui demander comment se sont passées ses vacances mais bien sûr je me tais, je ne bouge pas, comme si j'étais figée dans la tristesse de l'instant.

Une affiche de cinéma annonce la sortie d'un film comique. Moi je reste ébahie à l'abri du soleil. Tiens quelques gouttes commencent à tomber! On aura un arc-en-ciel dans un quart d'heure. Là-bas le soleil brillait dans la rivière, plongeait dans l'eau fraîche qui descendait de la source des montagnes. En fermant les yeux, je revois mes vacances défiler sous ma casquette. C'est à la fois bon et triste, comme certains souvenirs d'enfance et de Noël quand on les évoque avec les frères et soeurs. Je pense à mon retour à la maison. Maman va vouloir faire tourner une lessive, elle aura préparé une petite collation. Je serai contente de tous les revoir. Dans trois jours on sera en septembre, la rentrée, les cours, les copines et le courrier que je guetterai constitueront ma vie, cette année je passe mon bac, je suis un être doué disait-il, ces mots résonnent dans mes oreilles je veux bien le croire. Mon été italien me porte bien au-delà des frontières, l'Italie n'est pas si loin, on se reverra avant Pâques, il y aura de la neige sur les montagnes et sur la rivière, le soleil de cet été sera devenu tout pâle. J'ai des montagnes moi aussi là où je vis, le prolongement des Alpes italiennes en fait. Leur présence me tient compagnie, c'est comme si tu étais là à côté de moi, comme si tu voulais m'enlacer et me dire les mots que tu  voulais me dire en me serrant la main sur le quai de la gare tout à l'heure.  

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