T'es plus un gamin

On m'a souvent dit  "Grandis dans ta tête, t'es plus un gamin". Je n'ai plus le droit aux caprices, aux toboggans dans les parcs, à monter sur les épaules de celui que j'ai maintenant dépassé en taille. Je n'ai plus le droit d'avoir de l'attention, mais moi je voudrais qu'on me regarde. Parfois. Qu'on prenne en considération que j'existe. Je n'ai plus le droit de m'amuser. Je voudrais m'énerver à coups de cris, de larmes et de trépignements. Et on viendrait me consoler, me rassurer, frotter sa manche chaude contre mes joues qui seraient irritées par la laine. A présent, mes joues ne sont plus rouges pour les même raisons. Je n'ai plus que le droit d'agir avec responsabilité, ce qu'ils appellent être adulte. Savoir se contrôler, se taire.  Mais je ne veux pas grandir moi. C'est grave Docteur ? Ça se soigne avec le temps ? Mais pourquoi je n'en aurais pas le droit après tout ? Est-ce écrit quelque part, dans la Constitution, qu'on n'a pas le droit de rester enfant ? Peut-être qu'ils me mettront une amende, peut-être qu'ils me jetteront en prison. Je rêve d'aller courir dans les champs, de lâcher le téléphone au fond de la rivière près de la maison de chez Papi, de monter dans le grand arbre. Je veux revenir au temps du pardon, des sourires et de l'affection. Parfois, dans les foules, je me mets tout devant, assis en tailleur, et je baisse la tête pour ne pas trop gêner. Je vois bien le regard entre condescendante et pitié qui me fixe, là-bas. Mais je sais que quelque part, il m'envie. Ne me dis pas qu'ils y en a qui ont perdu ce désir. Nous sommes tous comme ça, ne mens pas. Seulement certains se voilent la face, donnent raison à la soumission, et d'autres comme moi refusent de perdre le combat, le combat contre le temps. Et quand je vois un gamin, là qui chiale, j'ai envie de le prendre dans mes bras, de soulever ses petits pieds du sol, et de lui glisser à l'oreille "Profite".