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My Martin

... laissent parfois sortir de confuses paroles ...

Le château de Fougeret

Sud-est de Poitiers, département de la Vienne. Entre Gouex et Queaux



Château privé, mentionné dans les textes dès 1337 -l'année de la déclaration de la Guerre de Cent Ans entre le royaume de France et d'Angleterre. Construit entre le XIV et le XVe siècle.



Situé au sommet d'une falaise de trente-huit mètres, il domine la vallée de la Vienne. Fonction défensive à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle.



Forte rénovation au XIXe siècle. Laissé à l'abandon pendant une cinquantaine d'années.



2009. Mme G -docteur en histoire, née en 1964. Passionnée par les vieilles pierres, elle a précédemment possédé un vieux château. Elle visite Fougeret et tombe sous le charme. Elle convainc son mari, ses trois enfants.

« Depuis toute petite, j'adore les châteaux. Je rêvais d'en avoir un. L'occasion était trop belle. Je l'ai acheté ». , raconte-t-elle.

Le couple n'est pas fortuné. M. G -né en 1965- est agriculteur bio à Usson-du-Poitou, à 15 km du château de Fougeret. La famille habite dans la ferme. Le couple hypothèque ses biens et s'endette sur 25 ans.

Lourds travaux : plafonds, planchers, éventrés. Poutres pourries. Toitures percées.

Projet classique : rénover, restaurer -le plus possible par soi-même. Habiter dans le château. Aménager des chambres d'hôtes, organiser des évènements, pour apporter des financements.



Importants travaux de restauration. Monument historique, classement en 2010. Chambres d'hôtes.



*



Le château tient son nom de la noble famille Fougères / Fougeré / Faugère.



1337. Début de la Guerre de Cent Ans, place forte, fonction défensive.



La construction du château remonte au XVe siècle, par la famille Frotier. Château champêtre, vocation féodale, sans prétention architecturale.

La famille Frotier / Frottier -vassale des comtes de la Marche, au nord du Limousin- fortifie également les châteaux de la Messelière et de Chamousseau, à Queaux.

Cet ensemble de places fortes -château de la Mothe à Persac- vise à défendre la vallée de la Vienne contre les envahisseurs

Sous l'Ancien Régime, Fougeret est un lieu de haute justice (peine de mort).



1789. A la Révolution, son propriétaire fuit la France. Le château est repris par Louis-François Bonaventure, maire de Queaux, qui en fait sa résidence.



1851-1870, Second Empire. Auguste Robin-Médard, négociant, dont l'épouse possède le château. Les propriétaires -la famille Robin-Médard- engage une campagne de restauration et donne au château son aspect actuel. La restauration a pour but de moderniser l'édifice, de mettre en valeur la fortune de ses propriétaires. Le château est surélevé d'un étage. La répartition, l'organisation des fenêtres, sont modifiées. L'intérieur est luxueux. Éléments de style néo-gothique et troubadour -atmosphère idéalisée du Moyen Âge et de la Renaissance.

Style éclectique. Dans la mouvance des gravures de Gustave Doré 1832-1883 -châteaux de contes de fées.



Premier tiers du XXe siècle. Le château est la propriété de Paul Robain 1875-1950, avocat catholique, d'opinion royaliste et nationaliste. Ami de Charles Maurras 1886-1952 et sympathisant de l'Action française créée en 1899. Bals costumés de la bourgeoisie fascisante de l'entre-deux-guerres. Rencontres, fêtes pour l'aristocratie et la haute bourgeoisie -cercles catholiques et royalistes.



Seconde moitié du XXe siècle. Fougeret est acquis par une famille de commerçants rochelais, les Perrineau. A la mort du père en 2007, les enfants vendent.



Mars 2009. Rénovation, restauration en cours.

Les propriétaires sont témoins d'une activité paranormale dans le château. A partir de 2010, soirées avec des médiums, nuitées spirites.

Chambres d'hôtes, exploitation par une société commerciale -comptes privés. L'argent sert aux travaux, aux réparations.

Mme G publie un livre, "Les Invisibles de Fougeret - L'histoire du château le plus hanté de France".

En France, à l'étranger, les médias attirent l'attention sur "le Château aux Dix Fantômes". Les sceptiques doutent, critiquent, ironisent.



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Parc de dix hectares en bord de Vienne.

Grille rouillée, brinquebalante. Allée tortueuse, végétation dense, arbres touffus.

Allées en étoile, arboretum d'essences venues du Nouveau Monde : noyers américains, séquoias géants, ...



Le corps de logis est flanqué de trois tours rondes et d'une chapelle. Deux tours indépendantes, à proximité du bâtiment principal.



Des éléments remarquables.

peintures murales et fresques.

plafonds à voûtains -voûtes plates-, clés de voûte décorées et peintes.



cheminée gothique monumentale en pierre, sculptée.

escalier en pierre style gothique, avec une rambarde en remplage de type "Chambord" (réseau de pierre en X avec des vides).

mosaïque, boiseries, fenêtres à meneaux en pierre.


Des éléments médiévaux.

Crypte du XIe siècle -vertigineux escalier. Les bretèches -sorte de guérite rectangulaire, en saillie sur la muraille, pour lutter contre les assaillants. Les caves. La glacière -local extérieur semi-enterré pour conserver en été, la glace. Cette dernière était recouverte de paille et de branchages. Deux fenêtres à meneaux. Sarcophages mérovingiens -500-750 après J.-C.



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Mme G dit :

Les évènements paranormaux, imprévisibles, interviennent sans fréquence régulière.



"Le château est à nous. Je devrais être folle de joie, je me sens triste et déçue. Drôle d'ambiance. L'impression de ne pas être la bienvenue. D'être épiée. Je doute, regrette d'avoir embarqué ma famille dans ce projet insensé. Renoncer, revendre le château ? Je suis décidée, pas mon mari.



Je fais du ménage. Je descends de la chapelle du dernier étage, je rencontre une ombre massive, qui traverse le hall d'entrée. Je suis seule. Sur le coup, je suis tétanisée mais préfère ignorer cette apparition. Je n'en parle pas.

Plus tard, j'entends la voix d'une vieille femme : elle me demande sèchement ce que je fais là. Net, improbable.

J'entends des conversations lointaines.

Bruits : des intrus au rez-de-chaussée ? Personne.

Des odeurs de cuisine ? Personne.

Jour sans vent, pièce fermée. Des courants d'air glacé dans l'escalier, dans le salon.

Brève apparition : une dame brune, cheveux au carré, robe rouge, une cigarette à la main.

Maladies subites, inexpliquées.

Peu impressionnable, M. G travaille dans le parc. Une présence "virile, autoritaire" l'accompagne. Alors qu'il abat un arbre, on lui tape sur l'épaule.

Les membres de la famille vivent des évènements similaires.



Dix chambres d'hôtes.

Les trois enfants G - Violette, Mathilde et Enguerrand, nés dans les années 1990- s'occupent de l'intendance, gestion des chambres, cuisine -Mathilde, née en 1992. Confort rustique, chambres en l'état, pas de chauffage. Poussière d'époque, toiles d'araignée aux fenêtres ; portraits inquisiteurs, châles déchirés.

Portes ouvertes, lumières allumées, des hôtes partent en pleine nuit et courent toujours.

Une femme s'enfuit sans ses chaussures.



Une table ou planche de Ouija pour communiquer avec les esprits, est à la disposition des hôtes.

Le Ouija est une marque déposée par l'entreprise américaine Parker Brothers. Le nom est construit à partir du mot français Oui et du mot Ja -« oui », en allemand et néerlandais ; première réponse attendue, lorsque l'on demande à l'esprit s'il est là.

"Conseil de l'Esprit". Le Ouija est une petite planche sur laquelle est inscrit l'alphabet, les chiffres de 0 à 9 et les mots «Oui», «Non» et «Au revoir».

Les participants se placent autour et posent leurs mains sur une morceau de bois appelé «goutte».

L'esprit invoqué dirige la goutte sur les lettres du Ouija, épelle ses réponses. Mis en vente en 1891, le Ouija s'inspire des «talking boards», des planches populaires pendant la guerre de Sécession 1861-1865 aux Etats-Unis, auprès des familles qui souhaitaient entrer en contact avec les soldats décédés.



Chambre de la Petite Fille -chagrin prégnant-, de Marie, du Portrait, des Échauguettes, …

La chambre du Chevalier.

La chambre de Marie. Une voix appelle parfois "Marie" : Marie-Marguerite Robin-Médard 1865-1935, la sœur de Félix 1859-1898 ?

La chambre de la Grand-Mère. Ancienne nounou. Chuchotements, caresses sur la tête. Elle ignore qu'elle est morte, attend son mari.

Années 1920. La chambre d'Alice Robin-Médard, décédée à 22 ans des suites de la tuberculose et d'une affection des reins. Elle aimait la poésie, les fleurs et les agrumes. Une fille G dort dans cette chambre ; sensiblement au même âge qu'Alice, elle tombe malade. Elle souffre de la même maladie qu'Alice, une pyélonéphrite -infection bactérienne des reins, heureusement détectée à temps et guérie. Elle ne veut plus revenir à Fougeret.

Deuxième étage. La chambre de l'Huissier, tué au XVIIIe siècle d'un coup de hache dans le sternum par Louis Taveau, né en 1681. Les hôtes repartent avec des griffures, des éraflures sur le corps.



Certains hôtes assistent à des phénomènes inexpliqués.

En 2017, les objets tombent au sol, sans explication.

Les tables de chevet, les chaises, se déplacent seules.

Les lits tremblent.



Les visiteurs prennent des photos :

Un visage dans une fumée grisâtre. Une ombre vaporeuse dans un couloir.

Journées du Patrimoine, dans une chambre de Fougeret : un homme en habits d'une autre époque se dissimule dans une échauguette du château.



Les langues se délient avec le temps. Les voisins, les villageois. Fougeret a une riche histoire, parfois sombre ; d'anciens occupants, morts depuis longtemps, habitent toujours les lieux.



Mme G se rend au diocèse de Poitiers : les exorcismes ne sont plus pratiqués. En France, chacun des cent diocèses dispose d'un prêtre exorciste, nommé par l'évêque ; il existe un manuel du rituel d'exorcisme officiel de l'Église catholique.


Les G contactent des médiums, pour "mesurer", essayer de comprendre.

Ces derniers utilisent des capteurs electromagnetic field EMF, pour mesurer l'intensité des champs magnétiques. Les Spirit ou Ghost Boxes, ces radios balaient la bande FM et captent des bruits inaudibles par l'oreille humaine. Les caméras et torches infrarouges filment dans l'obscurité.



Les enquêteurs analysent les enregistrements vidéos et audios et décèlent des TCI -transcommunications instrumentales. Des silhouettes se déplacent.



Au cours de la nuit, les instruments s'affolent : des pas, des voix. Bruits étranges. Des présences. Une dizaine dans le château, bien plus dans le parc.

Coup de feu.



Caméras ou appareils photos : flous mystérieux -un visage, sur la vitre d'une fenêtre.



Dans l'escalier monumental, La silhouette d'une femme est photographiée. Une femme distinguée. Chignon, collier de perles et robe longue. Cigarette à la bouche, coiffure années 1920, robe rouge. Elle sourit.



Enregistrée sur un magnétophone, une voix de petite fille demande T'es qui ?

La Petite Fille. On ne sait rien d'elle. Elle trottine.



Mme G effectue des recherches approfondies dans les archives. Le château est construit sur deux sources, avec de possibles phénomènes magnétiques et géobiologiques.

En sept siècles, histoires de famille, revers de fortune, successions difficiles, trahisons, spoliations. Maladies, morts brutales, suicides. Les gens meurent "mal".

Floridas Frotier -fils de Jean Frotier III- , faible d'esprit, né peu avant Jeanne d'Arc 1412-1431. Dépouillé par ses frères et sœurs.

L'un des propriétaires du château. Louis Taveau, né en 1681, mauvais payeur. Vingt-huit procès en vingt-sept ans. Il assassine l'huissier venu saisir ses meubles dans une chambre, au deuxième étage du château.

Félix-Marie Ernest Robin-Médard 1859-1898. Félix, râleur, mort en 1898 à trente-neuf ans -suicide par arme à feu-, veille sur Mme G.

Alice Robin-Médard 1901-1924, mal mariée en 1924, morte quelques mois plus tard à 23 ans, d'une maladie des reins. Enceinte de quatre mois.

Maurice Patrice. Jambe de bois. Sa femme décède prématurément, six enfants qu'il élève seul avec sévérité.



Été 2012. Le neveu de Mme G, perdu de vue depuis cinq ans, se pend dans le parc du château.



Mme G adore le château, puis le déteste. Puis avec le temps, le connaît mieux, l'apprivoise. Apprend à l'aimer.

La famille change au contact de l'édifice, voit la vie différemment.

Des évènements douloureux se sont produits à Fougeret, aussi ailleurs dans le monde. Respecter le château, l'ouvrir aux visiteurs, raconter son histoire.



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     Correspondances



     La Nature est un temple où de vivants piliers

     Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

     ...



     Charles Baudelaire 1821-1867

     "Les Fleurs du mal" (1857)



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