T'es qu'un éphémère
Jean Claude Blanc
T'es qu'un éphémère
Je marche sur le sentier qui mène à Pierre sur Haute
Le brouillard envahit le dôme des Hauts de Chaume
Résonnent au lointain les clarines des troupeaux
L'espace se restreint, referme son étau
Je suis résolument le chemin de pierraille
Mon sac sur le dos, le bâton bien en main
Mes lubies divagantes profitent de l'occasion
Pour me tenir crachoir, dérouler leurs déboires
Quelques notes égrenées surgissent dans la brume
Je pense à cet instant au Gustou de Sichard
Joueur d'accordéon jadis dans les burons
On l'a retrouvé raide, un hiver dans la neige
Plus j'avance, me rapproche, le son se fait distinct
Une bourrée d'autrefois, la gigue du Forez
M'attire malgré moi, non je n'ai pas rêvé
Un coup de l'autre pitre, sans doute ressuscité
Dans l'obscure grisaille, une forme se dessine
Une sorte d'épouvantail le chapeau sur la tête
Un piano à bretelles, ligote son veston
Le Gustou de Sichard tout en chair et en os
« Qu'est-ce tu fais là gamin, t'as vu le temps qu'il fait
Tu serais mieux chez toi, devant ta cheminée
Tu n'es qu'un éphémère, moi j'en ai pour perpèt
Condamné à veiller, à braver la tempête
Figure toi mon petit, on m'a foutu dehors
Dans sa grande bonté, le Ciel m'a renvoyé
Sans tambour ni trompette, et pour des clopinettes
Amuser la galerie, et chasser les esprits
Les démons malfaisants rôdent sur la montagne
Moi le gardien du Temple, le vengeur masqué
Je suis sans consistance, on peut pas me toucher
Toi je t'ai repéré, tu es de par ici
J'ai connu ta grand-mère, c'était la Mélanie
Tous les étés jadis, elle montait en estive
Enchainait les bourrées à longueurs de veillées
Je l'aurais bien mariée, mais le temps m'a manqué
Tout à mon instrument à mon soufflet magique
Je les ai fait danser, à donner le tournis
Je n'ai pas trouvé femme, pas grand-chose à léguer
Me restait ma musique, elle m'est restée fidèle
Mais c'était sans compter avec le rabat-joie
Un jour m'a rappelé à son bon souvenir
M'a envoyé en mission, ici dans ce désert
Pour trier à jamais le bon grain de l'ivraie
Vas-y, passe ton chemin, ne traine pas en route
T'as ma bénédiction, ta jeunesse j'absous »
Ceci dit rajusta les notes de son plumier
Se remit à jouer comme si rien n'était
Je m'éloignai sans bruit, sans un mot prononcer
Sa silhouette au loin doucement s'effaçait
Les accords aigrelets de son accordéon
Hoquetaient sur la lande, avant de disparaitre
Est-ce que j'avais rêvé ou vécu pour de bon
Un conte de femme saoule, authentique rencontre
Me retournais souvent en me grattant la tête
Le rideau de brouillard refermait sa coquille
Dure réalité, fallait presser le pas
De peur que la nuit me saisisse soudain
Condamné à errer, çà me foutait la trouille
Avec ces idioties, moi j'en perdais la tête
Le Gustou de Sichard, je le saurai plus tard
Avait bien existé, sauf qu'il était mort
Depuis plus de trente ans, congestion pulmonaire
Avec son biniou, figé dans une congère
La mémoire est tenace, même qu'elle vous ressert
Le plat encore tout chaud des souvenirs amers
Tragédies anodines que l'on croit aux rancarts
Le Gustou de Sichard fut mon bouc émissaire
Les spectres malicieux, attendent l'occasion
Tapis dans le disque dur, hantent nos états d'âme
Il ne faut pas grand-chose pour qu'on plonge soudain
Notre esprit est avide de frissons, de stupeurs
Je suis qu'un éphémère, et je le revendique
De l'insecte provisoire, les caractéristiques
Mes pensées sont tenaces comme la larve aquatique
Me survivront c'est sûr, vous tireront par les pieds
Le Gustou de Sichard, ne perdait pas la tête
Etait-ce sa mémoire ou son clone qui parlait
Ne le saurai jamais, c'est beaucoup mieux ainsi
Le poète se complait de rêves éveillés
JC Blanc décembre 2021 (un rêve éveillé durant ma nuit de Noël où les fantômes surgissent comme par enchantement)