The Last Jedi : retour de la Force vers l'Immanent

A Mind On The Brink Of Collapse

Notes sur The Last Jedi, Rian Johnson, 2017. ***SPOILERS AHEAD***


Avec The Last Jedi, Rian Johnson fait littéralement un procès d'intention aux deux précédents opus Disney, rappelant le studio à l'ordre sur des points idéologiques essentiels, armé de scènes échos. Est réclamé un traitement nouveau du mythe de la Force (pour lequel 5 milliards ont été déboursés); mais aussi une reformulation de la popote interne de Star Wars, qu'elle épouse une autre version du monde actuel. Le mainstream étant l'affaire de larges groupes hétérogènes (tout âge, origine ou orientation sexuelle), son horlogerie est plutôt suisse - on sera vite traités dans un blockbuster, là où le cinéma indépendant ne répond à aucune exigence démographique.


Dans The Last Jedi, la scène d'ouverture donne le ton : le cliffhanger de Force Awakens est jeté aux oubliettes (la passation du sabre est tournée en ridicule). Nous ne sommes pas dans une trilogie, mais dans un film qui y répondra, un épisode 2 mais d'une suite critique, au milieu d'un tryptique écrit par deux auteurs voués à se renvoyer dos à dos (JJ Abrams réalisera le troisième épsiode).


Deuxième pilier attaqué, la quête des parents de Rey : en communication directe avec l'étalonnier, ou “l'enfant au balais”.  Par son écriture des personnages, Rian Johnson tue dans l'oeuf la tentative d'un nouveau cycle clanique relancée par JJ Abrams. Les parents de Rey ne sont ‘personne(s)'. A voir Canto Bight (la planète-casino) on dirait presque : car les élites sont trop corrompues pour légiférer sur les questions relatives à la Force.


Rian Johnson épargne aussi peu à Rogue One : où comment Rose sauve Finn in-extremis d'un sacrifice contre une miniature du canon de l'Etoile de Mort.  Cette scène envoie paître le standalone de Gareth Edwards (“We're going to win this war, not by fighting what we hate, but saving what we love...”). Rogue One se terminait sur une attaque suicide au nom d'un espoir difficilement identifiable (répété mais peu défini), de personnages face à la part militaro-industrielle de l'Empire Palpatine. En fait, des kamikazes se font sauter et on n'en saura pas plus sur l'arc narratif de Jyn Erso si ce n'était crever pour la résistance (dans The Last Jedi, Luke part de façon décidée, étant trop malin pour se sacrifier inutilement). Non, Disney, en 2017, tu ne diras pas aux enfants que se faire exploser dans les bras l'un de l'autre est un acte de résistant (même au nom de la cité sacrée Jedha); il y a assez de propagande sur le sujet; surtout si (retour à Canto Bight) bons et méchants sont empêtrés dans un combat où chacun réussit des campagnes destructrices et se fait livrer chez les mêmes fabricants d'armes. En 2017, le thème du héros kamikaze appartient dorénavant à une erreur de casting historique.


Faisant travailler ses muscles, en véritable sauveteur du mythe, Rian Johnson détricote les problèmes posés par ses prédecesseurs - on dirait presque ses antécédents. D'abord dans le souci de présenter aux enfants (d'esprit ou d'âge) des idées quasi ‘politiques' qui leurs serviront plus tard d'analogies du monde réel.  Principalement, pour The Last Jedi (étrangement au pluriel), la Force n'est pas délimitée à un clan, elle est redistribuée à la multitude.


Au départ, n'importe qui - et ce n'importe qui était Luke Skywalker - pouvait s'éveiller, obtenir la Force et faire partie d'une bataille sublime. C'est ce qu'on croyait grâce à Obi-Wan Kenobi, chose que le personnage de l'Elu (Anakin) avait mis en doute, en transformant l'arc des personnages en histoire d'amour et de filiation au sein de la noblesse. Ce n'est pas Anakin qui a manifesté sa propre destinée, par l'intermédiaire de la chance, mais c'est bien une observation biométrique (son taux en midichloriens) qui a mené à sa découverte. Tout enfant en 1999 a dû s'étonner d'apprendre que la Force ne s'intéressait pas à ceux que l'enseignement Jedi intéressait, mais à un groupe limité d'élus; qu'en fait il s'agissait d'abord d'une histoire compliquée de gouvernements et de noblesse (Amidala). Idées encore débattables et rattrapables auourd'hui.


En cela, The Last Jedi retourne à l'état de grâce du premier épisode. Par ce côté très 2018 : anti-élitiste, végan, où un petit gars finit toucher la cible de l'Etoile de la Mort, victoire qu'aucune machine de précision n'aurait pu accomplir. Dans the Last Jedi, il est montré que le clan Skywalker, l'arbre, les vieux livres, la sagesse des Jedis retournent à l'état immanent (le Ciel vu par l'enfant au balai). Qui sait, dans la prochaine trilogie, quelqu'un deviendra Jedi et utilisera la Force sans midichlorien dans son sang (autre que Silent Bob).


On ne négligera pas non plus tout un commentaire social fin (dans le contexte d'un film pour enfants), propre à l'esprit de la science-fiction, présent dans un film qui à la base n'avait qu'à être une redite avec deux Jedis et trois X-wings (ce à quoi s'était limité Abrams). On n'a d'ailleurs d'attente d'un Star Wars que ses marques déposées (sabre-lasers, vaisseaux, musique : ces éléments suffisent car exclusifs à la Guerre des Etoiles).

Star Wars est étrangement populaire, comme à l'épreuve d'une pléthore de films souvent considérés comme mauvais, le génie d'A New Hope ayant été d'inventer un genre tout entier (avec ses codes, sa musique, ses héros, ses décors, ses méchants). En bref, ce qui s'y trouve ne peut se trouver nulle part ailleurs, et reste en théorie excitant. Ayant trouvé Force Awakens potentiellement laid (à comparer avec la merveille visuelle d'un film comme Valerian) et Rogue One pas tellement mieux, on soulignera l'énorme clarté, la presque beauté de The Last Jedi.


Le problème va-t-il se poser, une fois Abrams de retour pour l'épisode suivant, comme en colère d'avoir eu son horrible pull de Noël détricoté, d'un retour vers la question clanique (tu es mon père, tu es ma soeur, mon cousin germain et au bout de notre affrontement familial la galaxie est apaisée) ? Une histoire étant faite de personnages hauts en couleur, on ne peut évidemment héroïser la multitude qu'à travers des destinées individuelles qui la concrétise, même si l'épisode 8 laisse entrevoir une ambition plus universelle et humaniste. S'il est peu probable qu'il puisse suivre The Last Jedi (trop autonome et résolu), les graines mise en terre pour Force Awakens ne pourront pas germer. Tuer Snoke dès l'épisode 2, autour duquel gravitaient toutes les théories conspirationnistes, est aussi un acte délibéré de redistribuer les cartes des arcs narratifs, et rend l'objet The Last Jedi palpitant dans ses implications en tant que suite. Là où est censé se jouer le troisième acte et la conclusion, une négociation est nécessaire, menant ou non au renvoi d'une fin aux calendes grecques. Mon petit doigt me dit qu'ils ne pourront pas terminer ce cycle en trois parties et devront vraisemblablement terminer par un cliffhanger. A l'avenir, il est évident que toute autre trilogie aura à sa tête un raconteur plénipotentiaire, veillant à la continuité des idées, mais pour le coup, on en serait presque déçu d'avance.


*** Côté haut en prévision d'une version longue (les coupes sautent aux yeux et sont très prometteuses au vu d'une structure très maîtrisée - on se dirige vers une version longue du genre des Deux Tours)). Au cas où la version longue ne tient pas ses promesses, il sera peut-être retrogradé.

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