Théâtre
Hervé Lénervé
Acte I
Intérieur nuit. Un homme assis à une table de cuisine. Une bouteille de vin rouge et un verre rempli, dessus. Eclairage centré sur la table.
Toc ! Toc ! Toc !
Le souffleur – Psitt ! C'est à toi, Marcel.
Marcel - J'croyais que c'était les trois coups.
Le souffleur - Non ! C'est commencé, le rideau est déjà levé.
Marcel - Ah, bon, j'y vas, alors.
Marcel - Qui peut ben v'nir ? A c't'heure !
Il se lève et va ouvrir l'huis. (La porte, pas lui, le mec.)
Une jeune femme, encore fille, s'encadre dans le chambranle. Elle a les cheveux nattés et le teint nature.
Marcel - Tient ! Qu'est-ce qu'y a la p'tite Marie ?
Marie - Je peux rester avec toi, Marcel ? Mes vieux se battent.
Marcel - Encore ?
Marie - Oui… encore !
Marcel - Rentre, p'tite Marie. Tu veux du lait ?
Marie - Non ! Du rouge, ça ira.
Les deux reviennent s'asseoir autour de la table. - Eclairage tamisé de l'aube naissante. Un coq, à l'extérieur, claironne.
- Tu peux rester ici, aujourd'hui, si tu veux.
- Merci, Marcel.
Silence – (une minute, c'est long)
Marie - Dis ! Tu fais quoi aujourd'hui ?
Marcel - J'vas labourer la Renarde.
Marie - Je peux te tenir compagnie, si tu veux ?
Marcel - T'as pas école ?
Marie - Hi, hi, hi ! J'suis trop grande, je n'y vais plus, voyons !
Marcel - Ah, bon !
Marie - J'ai seize ans, Marcel, je suis une femme, maintenant !
Marcel - Ah, bon ! j'savais pas.
Marie – Pourquoi ? Ça ne se voit pas ?
Marcel - Si, si ! T'es une grande à c't'heure.
Silence – (deux minutes, c'est très long.)
Marcel - Ben ! J'vas donner du foin à Bijoux, mouè.
Marie - J'peux venir avec toi ?
Marcel – Viens !
L'homme se lève et se roule une cigarette.
Silence – (trois minutes, c'est encore plus long d'au moins trois minutes.)
Fondu au noir.
Changement de décors. Une écurie. Un cheval de trait.
Action ! (y'en a pas)
Le cheval – Breulheuouaf
Marcel – Tout doux ! Bijoux ! Tout doux !
La petite Marie caresse la croupe de l'animal.
Un accessoiriste, vêtu de noir, installe une prothèse en caoutchouc sous le cheval. Projecteur sur l'érection de cheval du cheval.
Marcel – Ben, dis donc, tu lui fais de l'effet à Bijoux, la p'tite Marie
Marie – Hi, hi, Oui, on dirait ! Je lui fais un effet de quatre-vingt centimètres.
Marcel – Et encore, t'aurions vu avant, quand il était pas castré.
STOP ! STOP ! STOP !
C'est quoi cette connerie, ce n'est pas dans le script ! C'est le metteur en scène qui s'est levé dans la salle.
Un rang plus loin, le régisseur se lève à son tour.
Le Régisseur – C'est moi qui ai rajouté cette scène pour l'ambiance.
Le Metteur en Scène – Mais quelle ambiance ! Une ambiance de zoo pornographie ?
Le R. – On s'emmerde dans ta pièce. Moi j'ai un théâtre à faire tourner.
Le M.e.S. – Mais tu déconnes ! C'est du Brecht, quand même.
Le R. – Peut-être, mais sa pièce est tellement vide qu'elle n'a jamais été montée.
Le M.e.S. – Alors, toi tu t'es dit, je vais faire jouer le cheval ?
Le R. – Moi, je me suis dit, je vais sauver les meubles, c'est tout.
Le M.e.S. – Mais occupe-toi de la promo ! Moi, je m'occupe de la pièce, c'est tout ! C'est comme cela que ça fonctionne.
Bijoux – On peut continuer, je ne vais pas tenir une heure comme ça, moi !
Le M.e.S – Mais fermez là, les chevaux ! C'est du plastique.
Deux acteurs sortent du cheval et disent de concert.
- On crève là-dessous, y'a pas d'air !
(Je n'annonce plus les dialogues, ça me fatigue. Débrouillez-vous tout seul.)
- Vous voulez quoi ? Un cheval climatisé !
- On aimerait ne pas étouffer, c'est possible, non !
- Non ! Ce n'est pas possible, ce n'est pas le cheval de Troie.
- Attend, on n'est que deux ! Tu économises un acteur et tu ne nous mets même pas de ventilation, c'est de l'exploitation !
- Vous commencez, tous, à me faire chier, tous, que vous êtes ! Vous n'avez qu'à demander au souffleur de souffler.
- C'est pas mon rôle.
- Eh, je n'ai rien dit, moi ! Et tu pourrais être poli, je n'ai que treize ans.
- Tu m'avais dit seize.
- Je fais plus que mon âge.
- Mais pas assez pour t'intéresser aux verges des chevaux.
- C'est du plastique !
- Ça a une portée symbolique.
- C'est pas bientôt fini ? Je n'ai pas que ça à faire !
- Mais qui a parlé, encore ?
- Moi ! Là ! L'accessoire !
- Mais, toi l'accessoire, t'es qu'un tuyau. Tu fermes ta gueule !
- Je ne suis pas un tuyau, je suis la durite de la chaudière.
- Mais, on s'en fout, c'est une histoire de fous, à la fin !
- Ah, si c'est la fin, j'y retourne, car pendant ce temps ça fuit, la chaufferie va être inondée.
- Mildiou ! Mouè aussi, j'ai du travail aux champs ! Le champ, ça attend pas !
- Mais arrête de prendre ton accent de pedzouilles de merde. On discute, là !
- Ne sois pas méprisant envers les agriculteurs que je représente.
- Tu ne représentes rien du tout ! Tu es mon acteur.
- Non ! Môssieur, je ne suis pas Ton… je suis Un acteur professionnel et j'ai été mandaté par la chambre d'agriculture de Bourgogne pour vérifier qu'il n'y ait pas de dérives racistes et xénophobes de la part des parigots. Crévindiou de Mildiou !
- Attend Marcel, je suis parisien pure souche et je ne suis pas xénophobe.
- Touè parigot pure couche et tu joues un ch'val de labour. Toué devoir honte, mon gars !
- Arrête avec ton accent de merde !
- Ça y est, pour me mettre dans la pio du personnage.
- Bon ! On passe tout de suite à la scène de baise.
- Mais il n'y a aucune scène de baise, Marie !
- Si, j'en ai ajouté une, pour le théâtre.
- Mais, c'est pas vrai, c'est pas vrai ! Je deviens fou ou quoi ?
- Juste une petite partouze pour l'ambiance. C'est bon pour la recette.
- Et puis tu comprends, ça nous faire un peu d'exercice. Autrement c'est trop statique.
- Sûr Marie ! Nouè à la campagne, on est porté sur la chose. Nouè sommes des chauds lapins de garenne.
- Bon, moi, j'me tire ! j'dois aller chercher les enfants à l'école.
- Moi, aussi, les courses : deux baguettes, un citron, un kilo de tomates, des…
STOP ! STOP ! STOP !
Là, c'est moi Hervé, him self, c'est trop ! On ne comprend plus rien les gars. Il faut vous calmer maintenant, ça dégénère !
- C'est toi qui es un dégénéré d'écrire des conneries pareilles ! Va te faire Soigner, espèce de grand malade, va !
- L'a pas tort ! notre parigot.
- Laissez le tranquille à la fin, il est gentil de nous donner vie, quand même et puis, il n'est pas grand, il est tout petit.
- Merci, Marie ! Mais je ne suis pas si petit que ça, je suis juste…
- Attend, une vie de merde pareille, je m'en serais bien passé.
- Bien envoyé, la durite. Eh, tu ne devais pas colmater la fuite, toi ?
- J'étais revenue pour la partouze et plus la peine, je me suis fait piquer le rôle par une gouttière en zinc.
Vous m'emmerdez avec vos embrouilles, je m'en vais, démerdez-vous pour écrire la fin tout seul.
- Hervé, je peux partir avec toi ?
- Viens Marie !
- Tu peux me ramener jusqu'à Eglise de Pantin.
- Pas de problème !
- Et après, on pourra baiser, un peu ?
- T'es folle ou quoi ? T'es trop jeune !
- T'as qu'à me vieillir.
- On verra !
- Vingt-cinq, j'aimerais bien !
- On verra ! Allez, on vous laisse avec le théâtre, Brecht, la culture c'est bien pour se cultiver.
- Ouais ! Mais l'agriculture c'est encore mieux ! Crévindiougétorix de Mildiou.
FIN
- Dis, Hervé ! T'as connu des autruches ?
- Tais-toi, Marie. S'il te plait.
- Les ornithorynques ?
- Tais-toi, Marie. C'est mieux.
- Les phaco…
- Tais-toi, Marie.
- Les…
- Tais-toi.
- Le…
- T…
- …
- ..
- .
-
J'ai failli rater ça. Moins chiant que Brecht, moins hermétique que Ionesco (qui est très drôle tout de même). Aussi vif que du Marivaux, aussi absurde que du Courteline, aussi bon que du Roubignolle (euh bon, enlève ça c'était mon coté auto-promotionnel). Excellent Maestro, tu m'as détendu les zygomatiques et je vais mieux en dormir cette nuit...
· Il y a environ 7 ans ·arthur-roubignolle
Mais non ! Tu ne pouvais pas nous rater, car on part pour une grande tournée internationale dans tout Trifouillis-les-Oies. Malheureusement, la troupe à subit quelques remplacements. On déplore la perte de l’acteur du cul du cheval qui s’est cassé un jarret en marchant sur la durite. Il a fallu l’achever et la durite s’est pêtée. Autrement les autres sont tous là. La p’tite Marie a bien grandi, elle est tjrs aussi nympho. Elle te donne le bonjour et sa petite culotte portée de la veille.
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
Excellent vraiment ! On sort rincé mais c'est ça qui est fort ! Martine -pardon Marie- à la ferme à côté c'est du pipi de chat.
· Il y a environ 7 ans ·Je voudrais bien tout relire mais ça risque de m'embrouiller
anna-c
Merci beaucoup Anna, tu me fais plaisir, car sincèrement, je n’avais rien écrit d’aussi… d’aussi con, c’est ça, d’aussi con que ça, depuis belle luzerne.
· Il y a environ 7 ans ·Psitt « Lurette. »
Mais t’es encore là, toi ? Allez, rentre chez-toi, maintenant ! C’est fini ! Il n’y a plus rien à souffler.
Hervé Lénervé
La première tirade du cheval est juste géniale
· Il y a environ 7 ans ·"Le cheval – Breulheuouaf"
Ça a été dur de reprendre la lecture après ça.
:)
Bravo !
le-droit-dhauteur
Pourquoi ? Tu ne sais pas parler cheval, toi ?
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
Non, j'ai fait extraterrestre en deuxième langue.
· Il y a environ 7 ans ·le-droit-dhauteur
C’était un bon choix, il y a plus d’extraterrestres que de chevaux équestres.
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
Haha!!! Totalement déjanté! !!
· Il y a environ 7 ans ·unrienlabime
Un peu de respect pour Brecht ! Lol. Merci !
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
assez marrant ; rappelle un peu les Bodins. Tragédie c'est sûr !
· Il y a environ 7 ans ·Gabriel Meunier
Merci du compliment ! Les Bodin’s sont mes maîtres à penser… mes plaies à l’âme…éh, oui ! J’ai une âme, moi aussi… si… dans la grange, je lui donne du foin, chaque jour que Nature fait.
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
belle; façon de voir les choses !
· Il y a environ 7 ans ·Gabriel Meunier
Pour être sérieux une minute, mais pas plus. Les Bodin’s puisent leur humour dans la ruralité de leurs répliques cocasses. Moi, je verse facilement dans l’absurde. C’est mon problème arithmétique éh, la minute était passée !
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé