Ton regard
lylia
L'être humain est si fragile. Un rien suffit pour le blesser, et le transformer.
Auparavant ce rien se traduisait par de simples blessures obtenues lors de bagarres. Rien de grave, blessures insignifiantes qui ne bouleversait pas mon quotidien, mais ça c'était avant...
Avant que le rien ne devienne bien plus grave, avant l'accident.
Je ne me souviens pas de grand-chose, surement à cause du traumatisme crânien d'après les médecins. Ma moto, la vitesse, une voiture ne respectant pas un feu rouge, puis le choc de nos deux véhicules. Mon corps projeté, rebondissant d'abord sur le capot de la voiture puis atterrissant lourdement sur le sol. Ma vue qui s'embrouille, une douleur diffuse qui m'envahit, puis le noir.
Lorsque je me suis réveillé, plusieurs jours avaient passé. J'étais dans un état critique quand l'hôpital m'avait admis, et j'étais resté quelques temps dans le coma.
A mon réveil, les médecins m'annoncèrent que j'étais à présent hors de danger, que j'allais récupérer petit à petit, à part pour une chose...
Lors de l'accident ma colonne vertébrale avait été atteinte, les chirurgiens avaient fait de leur mieux mais c'était trop tard. Le verdict tomba comme un couperet sur une guillotine : les chances de remarcher un jour étaient très faibles. Je devrai désormais me déplacer dans un fauteuil roulant.
Je mis un certain temps avant de comprendre le sens de leur parole, avant d'assimiler l'information. Puis je compris, et ma vie s'écroula.
Terminé la moto, les randonnées, les courses avec mon chien, et tout ce que je faisais librement.
De plus je ne serai plus vraiment autonome, à un moment ou un autre, j'aurai toujours besoin de l'aide de quelqu'un, surtout si l'endroit où je suis n'est pas adapté aux personnes en fauteuil roulant ; descendre les marches, les monter, attraper un objet placer en hauteur...Autant de petites choses où on ne fait pas attention d'habitude et qui deviennent vite un obstacle pour les gens comme moi.
On ne se rend pas compte, lorsque l'on a ses deux jambes, à quel point celles-ci nous servent au quotidien, tout ce que l'on fait grâce à elles. Je m'en rendis vite compte.
Mais finalement ce n'est pas cela qui me dérangea le plus, non. Ce qui me frappa, et me blessa, fut le regard des gens. Tout changea. Du jour au lendemain ma vie bascula.
Ce fut mon retour au lycée qui m'en fit prendre conscience. Habituellement j'avais mon escorte de fans, avec à leur tête la pire des pestes, Anna. Mais là ce ne fut plus le cas. Quelle fille voudrait d'un infirme ?
Les gens me regardaient avec gêne. Me parlaient avec douceur et condescendance. Tout, dans leurs gestes, dans leurs paroles, dans leur regard, exprimait la pitié.
Cela devient vite insupportable et je ne fréquentais plus grand monde, à part mes amis.
Ce fut les seuls dont l'attitude ne changea pas, à me parler et à agir comme autrefois. Elise, Michael, David. Mais ce fut ton attitude qui me surprit le plus.
Toi, la fille timide, à la beauté discrète, qu'Elise nous avait présenté en début d'année.
Toi qui rougissais chaque fois que je t'adressais la parole. Dont je prenais un malin plaisir à taquiner.
Toi qui m'avait avoué, en balbutiant, ton amour. Que j'avais rejeté d'un éclat de rire. Car tu n'étais pas mon genre, comment une fille aussi discrète que toi aurait pu m'attirer ? Je pensais alors que tu étais insignifiante, sans grand intérêt.
Après cet épisode tu m'avais fui pendant plusieurs semaines, avant de finalement réintégrer le groupe et de manger de nouveau avec nous. Au fond, tu m'attirais un peu, mais je n'étais pas le genre de garçons fait pour toi. Je t'aurais fait souffrir et tu ne méritais pas ça. Mieux valait rester ami.
Tu fus une des premières personnes que je vis après l'accident, lorsque je rouvris les yeux.
Elise m'a dit que tu n'avais pratiquement jamais quitté mon chevet.
A partir de cet instant, tu fus tout le temps présente, malgré la façon odieuse dont je t'avais repoussé avant. Tu me raccompagnais chez moi lors de ma sortie. Tu m'aidais à réaménager ma maison, pour qu'elle soit adaptée à mes nouveaux besoins. Tu m'accompagnais lors de mes séances de rééducation.
Mais ce que j'admirais était que tu ne me faisais jamais sentir ma condition d'infériorité. En présence des autres je me sentais diminué, mais avec toi c'était comme si rien n'avait changé. Tu avais cette sorte de pouvoir, qui me donnait l'impression qu'au travers de ton regard j'étais le même qu'autrefois.
Les filles, qui avant me dévisageaient, m'entouraient d'attention, minaudaient devant moi, se détournaient aujourd'hui à mon passage.
Mais toi tu restais égale à toi-même, rougissais toujours lorsque je te parlais ou te taquinais gentiment.
Comment n'avais-je pas pu remarquer quelle perle tu étais ? Comment avais-je pu penser une seule seconde que tu étais insignifiante ?
Tu n'étais pas comme ces autres filles qui aujourd'hui m'ignoraient car je n'étais plus digne d'intérêt. Non avec toi je riais comme avant, je me sentais vivant.
Et petit à petit, à force d'être toujours ensemble, mes sentiments ont évolué. Oui, je crois bien que je suis amoureux de toi.
Mais oserai-je seulement te le dire ? Toi que j'ai rejeté. Pourrais-tu encore m'aimer malgré tout ? Malgré la souffrance que je t'ai imposée ? Et malgré mon handicap ?
Il faut que je trouve le courage nécessaire pour tout t'avouer. Pour m'excuser de n'avoir pas vu plus tôt la fille formidable que tu es. Pour te remercier d'avoir su me redonner confiance en moi et en la vie. Pour avoir toujours porté sur moi le même regard qu'autrefois. Pour te dire à quel point je t'aime.
Oui, c'est décidé, je te dirai tout....
Une superbe nouvelle sur le handicap. Avant, pour lui, c'était les courses avec son chien, la liberté. Ensuite, le regard des autres qui change, la pitié...Avant, c'était aussi la frivolité, la superficialité. Et puis, miracle,,. la découverte d'une perle...d'un véritable amour !
· Il y a environ 8 ans ·Bravo pour ce texte très émouvant !
Louve
Merci beaucoup pour ce commentaire qui m'a vraiment touché! Ce thème me tenait à cœur, mais j'hésitais sur la façon de le traiter, j'ai donc choisi une approche "légère" du sujet :)
· Il y a environ 8 ans ·lylia